LES TROPHÉES INDUS D’UNE GUERRE LOINTAINE

Publié le par S. Sellami

Restes mortuaires de résistants algériens

Restes mortuaires de résistants algériens

AU MUSÉUM DE PARIS

LES TROPHÉES INDUS D’UNE GUERRE LOINTAINE

 

Ali FARID BELKADI

« L'origine ou la cause primitive de cette fatale guerre qui fait le malheur de tous les Algériens perdra infailliblement les Français dans l'opinion de la postérité, pour avoir permis, pour ne pas dire commis, toutes les horreurs dont Alger est devenu le théâtre ».

L’auteur Algérien Hamdan ben Uthman Khodja (1773-1842).

 

 

Dans sa pièce « Antigone », Sophocle, (vers 441 avant J.-C.) se réclamant des décisions divines, évoque la loi qui interdit à Antigone d'accomplir les rites funéraires pour son frère Polynice, mort assassiné. Dans cette tragédie, qui se développe autour de la cérémonie mortuaire refusée par Créon, les morts, à défaut de sépulture, se retrouvent retenus chez les vivants.

Au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, les restes mortuaires de plusieurs dizaines de résistants algériens à la colonisation, dont ceux de chefs renommés, sont toujours privés de rituels funéraires et de sépulture depuis le milieu du XIX° siècle. Depuis le mois de mars 2011, date de cette découverte par moi-même, l’indifférence quasi-générale des autorités algériennes.

Ces crânes originaires de plusieurs régions du pays, sont regroupés dans des armoires métalliques dont les sûretés sont cryptées. Ils sont entreposés pour la plupart dans des boîtes en carton. Parmi ces crânes, figure la tête momifiée, à la manière d’une momie égyptienne, du résistant Al-Hamadi, qui fut le lieutenant du chef de guerre Mohamed Lemdjed Ben Abdelmalek, alias le « cherif Boubaghla ».
 

L’argumentaire culturel ambigu avancé pour le maintien de ces restes au MNHN de Paris, allègue de la nécessité de garder ces crânes, afin de permettre à la science d’approfondir l’étude des groupements humains pour la postérité. Sauf que ces restes mortuaires algériens n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque étude scientifique, depuis leur entrée au MNHN de Paris, au milieu du XIX° siècle. On aurait aimé entendre le Coryphée des scientifiques récents, suggérer à ces Créon du XXI° siècle, de lever les commandements infâmes qui ordonnent le maintien de ces restes mortuaires au MNHN de Paris.

Misanthropologie

Au MNHN, j’ai ainsi dénombré une quarantaine de restes humains, appartenant à de grands noms de la résistance algérienne à la colonisation. Certains de ces restes sont incomplets, il manque le maxillaire inférieur à la plupart des têtes. Tous ces restes ont souffert d’un manque d’entretien patent, du fait de leur rétention antérieure dans des lieux inappropriés en Algérie, tel le cagibi du domicile de la famille Vital à Constantine. Cette famille normande immigrée en Algérie dès le début de la colonisation, collectionnait les têtes tranchées de prestigieux chefs de différentes insurrections Algériennes.

Aucun inventaire détaillé n’a jamais été établi de manière satisfaisante au MNHN de Paris. Des crânes ont disparu, tel celui d’Al-Hassen Bouziane, qui fut décapité le mardi 27 novembre 1849, en même temps que son père, le fameux Cheikh Bouziane (crâne portant le N° 5941 du MNHN), et Moussa Al-Darkaoui (crâne portant le N° 5942 du MNHN).

L’état-civil officiel, l’origine, l’appartenance tribale et lieu du décès de ces hommes, ne figurent pas dans les données du Muséum de Paris. Les collectionneurs plus curieux que réellement savants, n’étaient pas habilités à la conservation de restes humains, mus par la haine de ces « gueux », selon les propos de René-Honorin Vital, le frère du collectionneur Auguste-Edmond Vital. Le Dr Reboud qui s’affairait à clouer la caisse contenant les têtes de résistants algériens, avant leur envoi au Muséum de Paris, demanda à René-Honorin Vital : « s’il pouvait enrichir l’envoi de quelques crânes intéressants »...

René Vital répondit : « Prenez donc tout ce que mon frère a laissé, vous y trouverez des têtes de gueux célèbres, et vous ferez le bonheur de mes servantes, qui n’osent monter au galetas, parce que l’une de ces têtes a conservé ses chairs fraîches, et que malgré la poudre de charbon dans laquelle elle est depuis de nombreuses années, elle répand une odeur sui generis... »

Issus de rapines celées

Les réserves des musées français sont encombrées de biens patrimoniaux soustraits aux ex-colonies de la France.

L’obélisque de Louxor, qui s’élève place de la Concorde, a été escamoté aux Égyptiens par le vice-roi d'Égypte Mehmet Ali, né en Grèce, de parents albanais, désigné le 18 juin 1805 par un gouvernement ottoman illégitime comme pacha d’Égypte. Des momies importées d’Égypte ont servi d’engrais pour fertiliser les campagnes françaises selon Philippe Pomar, anthropologue et professeur au CHU de Toulouse : « Au XIXe siècle, après l'expédition de Bonaparte en Égypte, les sarcophages ont été pillés pour leurs trésors. On a même transformé des momies en engrais, puis en combustible pour locomotive à vapeur. » (« La Dépêche du Midi », 23/06/2008).

C’est ainsi que les ossements des résistants algériens à la colonisation, indûment conservés dans les réserves du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, sont considérés jusqu’à ce jour comme faisant partie du patrimoine culturel inaliénable français. Au même titre que les œuvres d’art détenus au Musée du Louvre.

Des savants de notre époque, encore imprégnés des dispositions ségrégationnistes des anthropologues du XIX° siècle, Armand de Quatrefages et Ernest Théodore Hamy, en ont décidé ainsi.

La présence de ces restes au M.N.H.N de Paris, est un offense dilatoire à la dignité humaine, et l’une des expressions les plus abjectes de la domination coloniale. Il y a plus infâme, c’est le désintérêt total des gouvernants de l’Algérie depuis la découverte de ces têtes, il y a trois ans. Historien et chercheur, il ne m’appartient pas de demander à titre personnel le retour de ces têtes sur le sol natal, où luttèrent jusqu’à la dernière goutte de leur sang ces martyrs. Pas plus que je n’appartiens aux familles de ces « pensionnaires » du MNHN de Paris. Les descendants de ces résistants à titre privé, ou le gouvernement algérien à titre officiel, sont seules habilités à formuler une demande de retour de ces restes mortuaires en Algérie.

L’exemple des maoris, à suivre...

A l’image des têtes maories qui ont été remises à la Délégation du Musée de Nouvelle-Zélande Te Papa Tongarewa de Wellington (Nouvelle Zélande). Celles-ci, qui se trouvaient au Muséum d’Histoire Naturelle de Rouen, ont été rassemblées au Musée du Quai Branly à Paris pour être remises aux représentants des tribus Maories, à leur demande.

Lors de la restitution officielle des têtes maories appelées " Toï moko" en Nouvelle-Zélande, le doyen des tribus, qui conduisait la cérémonie s’est adressé ainsi à ces têtes :

« Vous êtes le souffle de la vie, vous, nos ancêtres ! Vous avez été en France depuis si longtemps, et aujourd'hui, nous allons pouvoir vous ramener chez vous, en Aotearoa, le pays du long nuage blanc ». Le pays du long nuage blanc, est le nom de la Nouvelle-Zélande pour le peuple Maori.

  1. qui est un pays musulman de tradition révolutionnaire, devrait prendre un exemple sur ces aborigènes, synonymes de bons sauvages, jaillis du roman d’aventure de Robinson Crusoë.

La tête d’une enfant, âgée de 7 ans

Les convictions scientifiques racistes au milieu du XIX° siècle, assignaient aux êtres humains des catégories ethniques et culturelles spécifiques. Selon les idéologues occidentaux de l’époque, le modèle blanc européen surpassait qualitativement les êtres humains des autres continents : « Les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité », écrivait Cuvier dans un rapport adressé à l'Académie de médecine. Des propos passibles de nos jours de poursuites judiciaires.

La chasse aux têtes algériennes

Georges Cuvier, qui fut anatomiste et professeur-administrateur du Muséum de Paris, demandera à J. Polignac d’encourager les officiers de l’armée d’Afrique à « s’intéresser aux productions naturelles du pays » et de « procurer au Jardin du roi les animaux vivants qui lui font défaut ». Cette demande insistante, appuyée par le ministre de l’intérieur, est adressée à Polignac le 23 juillet 1830 qui finira par donner son aval.

C’est le même Cuvier qui donna le coup d’envoi à la collecte de vestiges humains pour le Muséum. Georges Cuvier dira, en parlant des Africains de race noire : « (c’est) la plus dégradée des races humaines dont les formes s'approchent le plus de la brute, et dont l'intelligence ne s'est élevée nulle part au point d'arriver à un gouvernement régulier » (George Cuvier, « Recherches sur les ossements fossiles ».

A propos de Saartjie Baartman, surnommée la Vénus Hottentote, qu’il disséquera lui-même, Cuvier écrit : « Notre Bochimane a le museau plus saillant encore que le nègre, la face plus élargie que le calmouque, et les os du nez plus plats que l'un et l'autre. A ce dernier égard, surtout, je n'ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne ».

Décédé à Paris le 13 mai 1832 Cuvier, comme la plupart des nombreux anthropologues ségrégationnistes du XIX° siècle, sera très chrétiennement inhumé à la division 8, du cimetière du Père-Lachaise. Aucun anthropologue, n’a jugé utile, jusqu’à nos jours, de léguer ses restes mortuaires au MNHN, « afin de permettre à la science d’approfondir l’étude des groupements humains pour la postérité ».

 

Ainsi s’amorça l’envoi des têtes algériennes à Paris. Parmi lesquelles celle d’une enfant à peine âgée de 7 ans.

La tête de cette petite fille, âgée de 7 ans, se trouve au MNHN de Paris. A l’époque on envoyait à Paris, via le port de Marseille des barils remplis de cadavres, têtes, troncs, bras, jambes.

La tête décapitée d’un algérien fut ainsi casée dans un tonneau, entre une tête de poule et le cadavre d’une tortue morte.

On offrait des têtes d’algériens en guise de souvenir de voyage en Algérie : « Tête de kabyle offerte par Mr Le Dr Lacronique, au nom des officiers de santé militaire d’Alger, à Mr le professeur Roux. Souvenir d’un voyage d’Afrique.». En ce temps-là, le mot Afrique désignait la seule Algérie. Cela se passait en 1850. Une lettre datée de l’époque, envoyée d’Alger indique : « Tête de Salem Ben Mekaoui, arabe des environs d’Alger, mort à l’hôpital le 6 Octobre 1838. Venu de la prison Militaire, cet homme qui passait pour avoir volé, avait été envoyé à l’hôpital avec de profondes plaies gangréneuses aux fesses, suite à une bastonnade qu’il avait reçue un mois auparavant ». Durant la colonisation, les résistants étaient traités de simples voleurs, de brigands, de coupeurs de route. A la façon du mot Fellagha, qui était appliqué aux soldats de l’Armée de Libération Algérienne, durant la lutte pour l’indépendance de 1954/1962.

Plusieurs dizaines de têtes

Les restes mortuaires qui ont été identifiés dans la « collection Vital » du MNHN s’élèvent à plusieurs dizaines. Certaines indications sont imprécises, les patronymes étant incomplets ou tronqués. Enfin, quelques restes humains demeurent identifiables. Alors que d’autres qui sont inscrits au registre du MNHN de Paris ont définitivement disparu de la collection et restent donc introuvables.

Les restes qui ont été identifiés avec précision, sont ceux de Chefs de la Résistance, qui font partie de la Collection Vital. Du nom du médecin-chef militaire de l’Hôpital de Constantine dans les années 1850 qui amassait les restes des résistants Algériens morts au combat. On trouve dans cette collection, la tête momifiée d’Aïssa Al-Hammadi, qui fut le compagnon de Boubaghla, «un des plus adroits et des plus hardis voleurs ou coupeurs de routes de l'Algérie », selon la base de données du MNHN. Le Crâne du chérif Boubaghla. Le crâne du Cheikh Bouziane, Chef de la résistance de Zaatcha. Bouziane fut décapité à l’issue du siège de Zaatcha en même temps que son fils, Al-Hassan et Moussa Al-Darkaoui. La tête de Moussa Al-Darkaoui (Hadj Moussa), qui fut le compagnon de Bouziane. La tête du chérif Boukedida, qui fut le chef de l’insurrection de Tébessa, décapité par le commandant Japy. Le crâne de Mokhtar ben Kouider Al-Titraoui, le fils de Kouider Al-Titraoui, tous deux chérifs de la tribu des Ouled el Boukhari, commune de M'fatha (Médéa), morts en combattant les Français en Kabylie. D’autres encore, dont la Tête de Salem ben Messaoud, un « Arabe des environs d’Alger, mort à l'hôpital le 6 Décembre 1838, venant de la prison Militaire. Cet homme, qui passait pour avoir volé, avait été envoyé à l'hôpital avec de profondes plaies gangréneuses aux fesses, à la suite d'une bastonnade qu'il avait reçue un mois auparavant. » (« Notes sur les têtes d'indigènes envoyées à M Flourens par le courrier parti d'Alger le 4 mai 1839 »). Mort, après avoir été supplicié.

La liste est bien longue.

 

Ces têtes qui sont toujours conservées au MNHN de Paris, sont les trophées indus d’une guerre injuste, honnie par les consciences équitables de notre époque. ils n’ont rien à faire avec les biens propres, patrimoniaux de l’État français. Ce ne sont pas des œuvres d’art.

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