L’image idyllique d’un pseudo réformiste

Publié le par S. Sellami

L’histoire du Bachagha Bengana par le texte

Par Fateh Adli
Publié le 28 juin 2017
L’auteure du livre qui a été à l’origine de la polémique autour du bachagha Bengana, Feriel Furon, pompeusement titré : Si Bouaziz Bengana, dernier roi des Ziban, s’est évertuée à montrer une image idyllique, quasi mythique d’un personnage condamné par l’Histoire, pour avoir cautionné les pires entreprises coloniales contre l’aspiration du peuple algérien à l’indépendance
D’entrée, l’auteure qui se présente comme l’arrière-petite fils du bachagha, explique sa démarche, en s’interrogeant : «Pourquoi vouloir écrire cette saga familiale ? Pourquoi révéler les circonstances de la mort de mon arrière-grand-père, ce qui a été depuis soixante-dix ans un secret de famille ? Pourquoi moi qui ne porte même pas son nom ? » Pour elle, il s’agit de transmettre une mémoire pour « aller de l’avant » et « pour enfin tourner la page ». Mais quelle page ? Sa réponse toute prête : « Tourner une page de haine, d’ignorance et d’incompréhension. Comme si mon arrière-grand-père, martèle-t-elle,  attendait que je le fasse pour enfin reposer en paix. »
Elle estime que, aujourd’hui, le temps a passé et que beaucoup de passions se sont apaisées. « Une nouvelle génération vit dans un monde radicalement différent de celui qui l’a précédé. Mais on n’est jamais totalement hors sol de ses propres racines, c’est vrai pour moi, mais c’est vrai pour chacun d’entre nous. C’est pour cela que j’ai choisi de raconter l’histoire de la famille Bengana. » Veut-elle signifier que l’esprit d’ouverture et de dialogue exige que son aïeul soit réhabilité, sans même formuler le moindre mea culpa, sans se repentir ? 
Pour Feriel Furon, l’histoire du bachagha Bengana « fait partie intégrante de l’Histoire de l’Algérie et à bien des égards de l’Histoire de la France aussi ». Or, c’est bien le cas de tous les bachaghas, caïds et autres collaborateurs qu’a connus l’Algérie durant l’époque coloniale. Cependant, leur parcours et leur action doivent être connus et étudiés dans un contexte précis, qui est essentiellement celui de la colonisation et de l’évolution de la lutte algérienne pour le recouvrement de sa souveraineté.  
 Jouant les victimes, l’auteure de l’ouvrage parle d’une « vérité qu’on a voulu effacer des deux côtés de la Méditerranée pour des raisons différentes mais convergentes ». 
Enumérant les « grandes œuvres » et les « positions honorables » de son ancêtre, Feriel Furon revient sur l’épisode ô combien douloureux du 8 mai 1945. Elle nous raconte que le bachagha Bengana, intronisé 
« roi des Ziban » et reconnu comme « cheikh el-Arab », plus haut titre donné par les Français à ses valets, a été éprouvé et choqué par la brutalité avec laquelle ont été traités les manifestants algériens par les forces coloniales. Elle écrit, à ce sujet : « Très en colère et attristé par ces massacres dont son peuple venait de payer un lourd tribut, il se demande quel sera son avenir et le rôle politique qu’il pourra jouer dans ce moment de révolte. Il pense à sa mission au sein du mouvement qu’il a fondé et qu’il préside depuis 1938, «El Miad El Khaïri», (Une Société pour le Bien). Cette association de bienfaisance rassemble l’élite musulmane de la province de Constantine. »
Si tel était le cas, on se demande pourquoi ce haut dignitaire philanthrope n’a pas porté la colère des Algériens dans les concerts parisiens où il était régulièrement convié ? En 1939, il avait été même été reçu, en grand pompe, par le président de la République Albert Lebrun avec toute une délégation de « personnalités musulmanes » : le cadi Bensaci (grand croix de la Légion d’Honneur), le bachagha Smati (membre du Conseil supérieur de l’Algérie, Grand officier de la Légion d’Honneur), le cadi Daoudji (Grand officier de la Légion d’Honneur), Allaoua Benaly Cherif (délégué financier, commandeur de la Légion d’Honneur, de la Soummam), Abdelmadjid Ourabah (délégué financier, d’Amizour), Sidi Boudemine (membre de la Chambre d’agriculture de Constantine, commandeur de la Légion d’Honneur), le bachagha Benabid (commandeur de la Légion d’Honneur), le bachagha Benchenouf (commandeur de la Légion d’Honneur), Salah Arzour (attaché à la Direction générale des Affaires Indigènes), pour ne citer que les plus connus. 
L’auteure trouve l’échappatoire dans les longues lettres adressée par le bachagha Bengana aux plus hautes autorités françaises, réclamant plus de moyens d’instruction aux Algériens, mais dans le cadre de la culture française. On lit dans une de ses missives : « Un principe fondamental doit dominer la matière. L’instruction devra être gratuite et obligatoire pour tous les enfants des deux sexes. (…) L’Administration devra envisager un programme vaste et hardi de constructions scolaires. Le rythme actuel des constructions ne correspond même pas à l’effectif de la population scolaire pendant une année. Ainsi, le retard non seulement ne se rattrapera jamais mais il s’aggravera… »
Autre aspect magnifié par l’auteure : la démarche prétendument réformiste du bachagha. « Ses recommandations, enchaine-t-elle, étaient celles d’un visionnaire qui œuvrait pour une société plus juste et résolument tournée vers le progrès. Cependant, il avait conscience de la défiance que les chefs arabes – dont il était l’un des plus influents – suscitaient auprès des leaders séparatistes. Les cent seigneurs d’Algérie étaient caricaturés et considérés comme des « supplétifs » de l’administration française, des « béni-oui-oui ». Mais leur rapport avec les autorités coloniales était bien plus complexe que cela. Il avait profité de la présence, lors de cette commission, de Ferhat Abbas, leader du Manifeste du peuple algérien et d’Omar Ouzegane – représentant communiste – pour dissiper auprès d’eux quelques malentendus ».
Elle cite un échange entre Bengana et Ferhat Abbas, lors d’une séance tenue le 3 janvier 1944. Le fondateur de l’UDMA était venu présenter son Manifeste aux membres de la commission.
« Cheikh El Arab Bouaziz Bengana : M. Ferhat Abbas a cité, tout à l’heure, comme représentants du peuple les membres du PPA et les communistes. Croyez-vous que nous, chefs indigènes, ne soyons pas les représentants du peuple ? Vous êtes le représentant d’une partie de la population, mais nous estimons que nous sommes, nous aussi, ses représentants légitimes.
Je vous assure, Monsieur Ferhat Abbas, que lorsque le Gouverneur général nous a désignés pour siéger au sein de la commission d’études économiques et sociales musulmanes, nous avons parlé en toute liberté. Nous avons même déposé un projet de réformes. En avez-vous eu connaissance ? Nous avons seulement regretté que vous ne fussiez pas parmi nous. (… ) ».
La réponse de Ferhat Abbas fut cinglante : « Vous êtes à la fois fonctionnaires de la République et représentants de ce que j’appelle, moi, la forme sociale d’autrefois, c’est-à-dire des grandes familles qui ont administré, dans le temps, les populations de ce pays. J’avoue que dans certaines régions – la vôtre notamment – les populations sont très fidèles à ces grandes familles. Par votre position à cheval sur l’Administration puisque vous êtes un fonctionnaire de la République, et l’influence que vous exercez sur la population musulmane, vous êtes qualifié pour représenter cette population, c’est entendu, mais je persiste à penser qu’il n’y avait pas lieu de désigner 8 bachaghas pour faire partie d’une commission où il n’y avait ni communiste ni membre du PPA. L’équilibre était rompu. Mais je n’ai jamais dit qu’un chef indigène ne pouvait représenter l’opinion publique musulmane. » 

Adel Fathi
https://www.memoria.dz
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