Le Pen, Philippot ou l'impossible divorce

Publié le par S. Sellami

INTERVIEW La situation dégénère au Front national. Jadis main dans la main, Florian Philippot et Marine Le Pen se déchirent en public. Pour Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite, le FN doit rapidement trancher entre deux lignes diamétralement opposées s'il veut se remettre d'une présidentielle ratée.

Crise Le Pen-Philippot: le Front national se dirige-t-il vers une nouvelle scission?

Les deux têtes du Front national se déchirent en public.

Le débat raté de l'entre-deux tours continue de faire des remous au Front national. Après huit ans de collaboration à la tête du parti d'extrême droite, Marine Le Pen et Florian Philippot sont au bord de la rupture. La présidente du FN reproche à son secondd'avoir pris la tête d'un laboratoire d'idées, "Les Patriotes", au moment où la formation politique fondée par Jean-Marie Le Pen en 1972 est en plein doute. Sommé à plusieurs reprises de quitter la tête de son association, le vice-président du Front national oppose pour l'instant une fin de non recevoir. Pour Jean-Yves Camus, politologue et directeur de l'observatoire des radicalités à la fondation Jean Jaurès, au delà d'un problème de personnes, c'est une question de ligne politique qui déchire le parti. Les partisans de "l'union des droites" veulent sortir du ni droite ni gauche pour chasser sur les terres des Républicains et élargir la base électorale du Front national. Les "Philippistes" défendent le discours social du Front qui aurait permis selon eux de remporter cinq des huit sièges de députés frontistes dans le Nord. Il reste six mois au Front national pour apaiser les tensions dans ses rangs et éviter que le congrès du parti prévu en mars 2018 ne tourne à la foire d'empoigne.

La crise actuelle au Front national peut-elle se résumer à un simple affrontement entre Florian Philippot et Marine Le Pen pour prendre le contrôle du parti ?

C’est beaucoup plus vaste que ça. Derrière les enjeux de personnes – Florian Philippot est une personnalité clivante – il y a un réel problème de détermination de la ligne politique du Front national. Le FN a réussi à dépasser la bipolarisation de la vie politique française mais il piétine aux portes du pouvoir. C’est une situation très inconfortable pour les cadres du parti et particulièrement frustrante pour les militants. Pourquoi le Front national n’y arrive pas ? Il y a deux réponses. Celle de Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, qui consiste à dire que la voie du ni droite ni gauche n’est pas conforme aux aspirations des militants, plutôt favorables à « l’union des droites ». Et celle de Florian Philippot et ses amis, qui imputent le succès du Front national, et le dépassement du clivage droite-gauche, au discours social développé depuis quelques années. En tout état de cause, il sera difficile de tenir sur ces deux discours totalement antinomiques. Jusqu’à présent, Marine Le Pen parvenait à maintenir l’unité dans le parti sur une ligne de crête que son leadership incontestable lui permettait de tenir. Après l’élection présidentielle, il y a peut-être un peu plus de fragilité de son côté

Entre ni droite ni gauche et "union des droites", le Front national peut-il trouver la martingale ?

Tout le problème pour le Front national, c’est d’agrandir sa base électorale. Mais où trouver de nouveaux électeurs ? Ce n’est pas possible à gauche. Les études des transferts de voix lors de la présidentielle sont claires : seuls 8% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon se sont reportés sur Marine Le Pen au second tour. Ce n’est pas possible, non plus, à droite où à peine 20% des électeurs de François Fillon ont voté pour la présidente du Front national face à Emmanuel Macron. Une immense majorité des électeurs de droite se détourne encore du Front national. Au final, la situation est presque aussi difficile quelle que soit la ligne choisie. A noter que dans le cas d’une hypothétique « union des droites », il faudra encore trouver des partenaires qui voudront bien s’allier avec le FN. Aujourd’hui, seul Nicolas Dupont-Aignan y est vraiment prêt, mais son score à la présidentielle (4,9%), tout honorable qu’il soit, n’est pas suffisant pour faire pencher la balance en la faveur du FN. Je vois mal Laurent Wauquiez, élu président des Républicains, expliquer qu’il veut travailler avec le Front national. Il peut utiliser des images qui parlent aux électeurs du FN et tenter de les faire revenir chez LR, après tout c’est son job - c'est aussi ce qu’a fait pendant des années Charles Pasqua au RPR - mais il n’y aura pas de suite dans les actes.

Le Front national peut-il changer de corpus idéologique sans en faire les frais électoralement ?

Il est presque certain que ça leur coûtera des voix. Est-ce que Marine Le Pen aurait été élue dans le Nord-Pas-de-Calais si elle avait fait campagne sur la loi travail, le maintien dans l’Europe ou les allégements de charges pour les entreprises ? Je n’en suis pas certain. On le voit bien avec ce récent sondage : 63 % des électeurs frontistes soutiennent le mouvement en cours contre la loi travail. Ils sont la même proportion dans les rangs LR à penser exactement le contraire. Ce sont des positions diamétralement opposées ! Quand aux questions d’identité, mis à part le discours sur l’aide médicale d’état (AME), je ne vois pas un seul dirigeant des Républicains s’aligner sur la préférence nationale, qui est la clé de voûte du programme frontiste. Cela supposerait une révision constitutionnelle, et ce serait en contradiction totale avec les injonctions de Bruxelles. Les frontistes qui défendent « l’union des droites » répondent que la Pologne, la Hongrie tiennent tête à Bruxelles. Mais ce sont des cas particuliers ! La Pologne est sous le parapluie militaire de l’OTAN, elle n’est pas totalement isolée, quant à la Hongrie, on ne peut pas comparer son poids politique, sa place dans la construction européenne, à celle de la France. Les petits pays ont paradoxalement un peu plus de marge de manœuvres qu’un pays comme le nôtre. Enfin, si le Front national devait engager une alliance avec la droite, ce serait quasiment exclusivement à son désavantage : en termes de nombre de militants, de cadres nationaux, ou même d’expérience du pouvoir, le FN est en position de faiblesse face aux Républicains.

En cas de départ de Florian Philippot, le Front national peut-il revivre la scission de 1998, lorsque Bruno Mégret avait claqué la porte du parti d’extrême droite avec fracas ?

Cela n’aura certainement pas le même impact que la scission de 1998-1999. Florian Philippot a des fidèles au sein du Front national, mais il n’a pas la même maîtrise du parti que Bruno Mégret à l’époque. On le voit déjà au niveau local, dans le Doubs notamment, où le compagnon de Sophie Montel, un proche de Florian Philippot, a été démis de ses fonctions. Une scission n’a pas le même effet selon que l’on soit – ou non – prédominant dans le parti. D’autre part, je ne suis pas sûr qu’il y ait de la place pour l’offre politique de Florian Philippot. Notre expérience des mouvements politiques d’extrême droite dans les autres pays européens tend à prouver que l’offre se structure généralement autour d’un seul parti. D’un point de vue purement rationnel, personne n’a intérêt à ce que Florian Philippot parte : ni lui, ni ses ennemis. Cela affaiblirait le parti alors qu’il peut encore espérer réaliser un bon score aux élections européennes de 2019. D’autant qu’il est difficile d’imputer uniquement à Florian Philippot la défaite de l’élection présidentielle : il y avait aussi des partisans de « l’union des droites » dans l’entourage de Marine Le Pen. Chacun a sa part de responsabilité. Evidemment, le parti ne peut pas rester dans le statu quo éternel et les militants seront appelés à trancher lors du congrès du parti qui doit se tenir en mars. Pour l’instant, il est difficile de savoir quel est l’équilibre des forces en présence car le Front national est très réticent aux sondages internes. Et en la matière, les réseaux sociaux agissent comme autant de miroirs déformants.

Par Rémi Clément le 19.09.2017 à 16h35

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