Des femmes dans la Guerre d’Algérie

Publié le par S. Sellami

Parlons-en en dehors du 8 mars !

Que ce soit en Algérie ou en France, la femme algérienne marqua de son empreinte l'Histoire par son engagement dans les rangs de l’ALN/FLN durant la guerre de libération nationale Le chiffre des anciennes moudjahidates avoisine les 11000 selon une source du ministère des Anciens Moudjahidines.
Le texte de la plateforme du congrès de la Soummam consacre quelques mots à la femme décrivant son rôle dans le combat par « des méthodes originales propres aux mœurs du pays »à savoir : « soutien moral des combattants et des résistants , renseignements, liaisons, ravitaillement, refuges,aide aux familles et enfants de maquisards, de prisonniers ou d’internés »
En réalité la femme impliquée dans la guerre dès 1954,participa au combat au même titre que les hommes en prenant les armes ,en soignant les blessés,en se distinguant dans la guérilla urbaine durant « la bataille d’Alger »....Ce qui est certain c’est qu’elle fut exclue de la hiérarchie militaire n’ayant droit à aucun grade ni responsabilité .
La femme aspirait au même titre que tous ses compatriotes à la liberté et à l'égalité dans sa lutte face à l'occupant oppresseur .
Cette liberté/égalité fut finalement confisquée à l'indépendance par un dirigisme étatique à tendance autocratique qui s'occupa beaucoup plus de pérenniser son système politique que d'oeuvrer aux aspirations légitimes de son peuple .Pourtant il se réclamait en permanence par slogan interposé de son peuple. Quant à la femme ,personne ne se soucia de son émancipation .Elle se retrouva le plus souvent comme avant la guerre soumise aux traditions séculaires de femme au foyer.Sa réinsertion ne fut pas des plus faciles dans un pays où la vie sociale et économique n’avait guère changé .Après son long et pénible vécu pendant la guerre ,elle aspirait à une vie normale .
Citons ces beaux textes de Daniele Djamila Minne Amrane (in les femmes algériennes dans la guerre ):
« à l’annonce de sa libération Zehor Zerari écrit ce bref mais déchirant poème :

Que m’importe le retour
Si mon père 
N’est pas sur les quais
De la gare
Le 14 mars 1962,six ans .

(Six ans depuis l’arrestation de son père qui n’est jamais revenu ) »

Djamila Amrane exprime sa tristesse dans jBoqala,poème écrit en juillet 1962

« Non mes sœurs je ne suis pas guérie 
J’ai ramené la boqala du puits
Chaque goutte qui en tombait
Portait le nom d’un frère tué 
Et chacune de ces gouttes
M’a brûlée pour toujours. »

Certaines anciennes combattantes purent continuer des études ,exercer divers métiers ,mais la plupart d’entre elles se retirèrent de la vie politique . Elles se retrouvèrent alors face à des courants conservateurs et religieux qui s’échinèrent à leur concocter un code de la famille rétrograde basé évidemment sur l'inégalité des sexes .Pourtant dans l'euphorie de l'indépendance ,les utopistes pensaient que la femme ,forte de sa participation à la guerre de libération ,devait accéder tout naturellement et légitimement à un statut égalitaire .Mais chacun sait qu’aux grandes espérances succède la réalité amère des illusions perdues.
Malgré de nombreuses manifestations menées dans la rue par des anciennes moudjahidates,des enseignantes ,des étudiantes ,des militantes et militants ,un Code de la Famille infâmant fut adopté par notre Assemblée Nationale en 1983 ,largement influencé par la progression des courants intégristes pour qui l’unique mission de la femme ,être inférieur par essence,est de procréer et d’éduquer ...Les manifestations d’associations de femmes progressistes se réclamant toujours des anciennes moudjahidates ,qui ne se compromirent jamais avec le système, ne s’arrêtèrent pas pour autant.
En 1962, la femme d'origine algérienne en France pouvait prétendre au statut de son homologue française dont l'égalité constitutionnelle avec l'homme ne datait que de 1946 .Mais le choc des cultures obligea nos compatriotes émigrées à se référer beaucoup plus à leurs traditions ancestrales qu'à l’évolution du statut féminin du pays d'accueil.Ce fut le début d'une lutte intracommunautaire pour leur émancipation.En France non seulement la laïcité est un principe Institutionnel fondamental mais la démocratie et la pluralité politique sont de rigueur .Le musulman français devait apprendre à vivre dans « un pays sécularisé où les références religieuses n'occupaient plus le terrain politique et social ».Les parents furent déstabilisés ou désemparés par ces lois qui ne leur étaient pas coutumières et en opposition avec le régime patriarcal traditionnel.

Ainsi naquit un conflit larvé voire violent ,mais réel entre parents et enfants (en particulier les filles)représentés par ces jeunes générations bénéficiant par ailleurs de l'instruction publique laïque et de l'intégration naturelle dans leur pays d'accueil.Les nouvelles générations durent apprendre à concilier leur islamité et leur nationalité française dont ils se réclamaient ,s'éloignant ainsi naturellement de la conception de l'islam coutumier de leurs parents .

Ceci dit ,certaines anecdotes illustratives et frôlant le tragi-comique ,datant de l'époque où j'étais jeune praticien,rappellent comment fut pénible cette période pour beaucoup de nos jeunes compatriotes émigrées ,alors à peine sorties de l'adolescence et ramenées par les parents pour les marier de "force"au bled.Cela paraîtra bien ridicule de nos jours où nos jeunes garçons et filles rêvent plutôt de mariages (et beaucoup de mirages...)de préférence côté « Tour Eiffel». Ce qui représente en définitive une manière de "harga", dont la finalité est de fuir le marasme social,économique et culturel entachant notre si beau pays .

À l'époque de "l'allocation touristique "de 320 francs, imaginez-vous que le taux de change du dinar national nous était favorable .L'Algérien ,soumis à une hypothétique autorisation de sortie du territoire par les autorités locales pouvait alors se rendre en France sans visa,ce qui pourrait paraitre incroyable actuellement.Chaque touriste comptait sur "son émigré"pour récupérer des francs supplémentaires en débarquant de l'autre côté de la Méditerranée .C'est ainsi que je pus compter sur l'aide financière modeste d'un ami ,originaire d'un village proche de Bejaia,à qui je rendais visite dans le sud de la France . Ce dernier considérait sa fille unique,Assia,comme"la prunelle de ses yeux" .C’était une lycéenne brillante, charmante et qui malgré son jeune âge n'avait de cesse d'aider ses parents analphabètes à régler leurs tracasseries administratives .Son rêve était de devenir sage-femme.
L'année où elle obtint brillamment son baccalauréat (début 1970),elle rentra en Algérie avec ses parents passer ses vacances d’été .Ce qui devait être la fête pour toute sa famille se transforma en drame pour elle.Son père lui confisquant son passeport ,la maria sur le papier bien avant de le lui annoncer. Elle entra dans une forte dépression face à cette pratique d’un autre temps et c'est là que son père ,très inquiet ,me l'amena en consultation.Evidemment j’essayai de convaincre le père de revenir sur sa décision pour le moins brutale,seul moyen d'arranger l'état psychologique de sa malheureuse fille.
Je revis le père quelques années plus tard et lui demandai des nouvelles de sa fille.Il l'avait finalement ramenée en France après avoir annulé le mariage.Elle avait réalisé son rêve de devenir sage-femme et son père ne cessait de répéter qu'il était fier d'elle .

On peut dire qu'elle l'avait échappé belle ce qui ne fut pas le cas de Doudja:
Les maladies à transmission hydrique (gastro-entérites) survenaient par épidémies surtout durant la période estivale ,en particulier chez les bébés.Un jour ,afin d’examiner un nourrisson,je demandai à la grand-mère qui l’accompagnait de le démailloter.Le bébé était déshydraté et en état de dénutrition avancée.Constatant que la grand-mère ne m’était d’aucun secours pour l’interrogatoire concernant l’anamnèse du bébé , j’exigeai la présence de la maman .La tradition voulait que la belle -mère exerçât son autorité matriarcale sur sa belle-fille même chez le médecin.Elle fit rentrer sa bru et quel ne fut pas mon étonnement de découvrir une adolescente d’une quinzaine d’années ,toute émue, toute jolie dans sa robe traditionnelle kabyle..En entamant mon interrogatoire clinique ,elle me répondit en français avec un accent marseilllais très prononcé .Elle me raconta d’une voix sanglotante que ses parents ,émigrés ,l’avaient ramenée en Algérie dans un village à la montagne pour la marier à un cousin qu’elle ne connaissait pas auparavant .D’une candeur et d’une naïveté émouvantes,elle arrivait à peine à situer le village où elle habitait ...C’était sa première sortie dans la grande ville!

Tlidja était une belle jeune fille élancée que je vis en urgence pour une crise d’hystérie caractérisée .Elle était accompagnée par trois beaux jeunes hommes ,probablement ses frères.Je demandai à ces derniers d’attendre dehors après avoir installé la jeune fille sur la table d’examen .Aussitôt seule, la belle émigrée me raconta ses déboires :vacances à Béjaia et projet de mariage forcé avec un cousin.Je la rassurai comme je pus ,puis pris en aparté l’un des jeunes hommes en lui expliquant que la « crise de nerfs »de la jeune fille était consécutive évidemment à ce projet inadmissible de mariage forcé et que le futur mari devrait être mis au courant de toutes les complications psychologiques risquant d’assombrir cette union forcée.
Le jeune homme ,les larmes aux yeux me répondit :« Docteur ,que faire alors ? Le fiancé c’est moi ! »...

Les cas de jeunes émigrées ramenées de force par leurs parents furent nombreux .Beaucoup d’entre elles ,diplômées purent bénéficier d’une réinsertion salutaire soit dans l’éducation nationale soit dans d’autres secteurs .Elles se marièrent par amour ou par convenance ,mais à ce jour ,à ma connaissance ,nombreuses repartirent en famille .Juste retour des choses pour ces jeunes femmes devenues maintenant des grand-mères ?

En hommage à Jacqueline Guerroudj, Zehor Zerari, Fatima Benosmane, Daniele Djamila Amrane Minne, Halima Ghomri, Malika Ighilaliz,et tant d’autres...

En hommage également à Assia, Doudja, Tlidja ( même si j’ai dû utiliser des prénoms fictifs )et tant d’autres ...

Yama Triki  

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