Jack Ma mis au pas par le Parti communiste chinois

Publié le par S. Sellami

Le milliardaire chinois, fondateur du géant de l’Internet Alibaba, a disparu de la scène publique depuis fin octobre. Un de ses discours sur le secteur financier aurait déplu au numéro un Xi Jinping. Son retrait suscite les interrogations.

Il existe deux personnalités en Chine, dont l’absence prolongée de la scène publique peut nourrir un flot ininterrompu de spéculations : le numéro un Xi Jinping, 67 ans, secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), et le fondateur du géant numérique Alibaba, Jack Ma, 56 ans.

Dans le cas du premier, cela est arrivé à deux reprises : en 2012, juste avant sa désignation à la tête du PCC, et début 2020 dans les premières semaines de la pandémie. À chaque fois, les rumeurs ont été nombreuses. Mais on n’a jamais su exactement ce qu’il s’était passé en raison de l’opacité qui entoure les dirigeants communistes de la deuxième puissance économique mondiale.

En ce qui concerne Jack Ma, c’est une première. Personne ne l’a plus revu depuis fin octobre. La chute a été terrible. Quelques heures avant sa « disparition », il exultait. Il devait en effet placer en Bourse son entreprise de fintech (technologie financière) Ant pour la plus grande introduction de l’histoire : 34 milliards de dollars. Sans compter qu’elle devait se faire sur les places de Shanghai et de Hong Kong. Non pas à New York. De quoi flatter le nationalisme de l’État-Parti.

 

Jack Ma dans un court-métrage en 2017. © Capture d'écran/YouTubeJack Ma dans un court-métrage en 2017. © Capture d'écran/YouTube

 

Mais Jack Ma, ancien prof d’anglais originaire de Hangzhou, dans la province orientale du Zhejiang, devenu l’un des hommes les plus riches au monde après avoir fondé en 1999 Alibaba, rival d’Amazon, s’est cru intouchable en raison de sa renommée mondiale – n’avait-il pas été le premier Chinois à être reçu par le président élu Donald Trump à la Trump Tower à New York il y a tout juste quatre ans ? – et il est allé trop loin.

Le discours qu’il a prononcé à Shanghai pour présenter l’introduction d’Ant n’a pas été du goût des dirigeants chinois et a signifié le début de ses ennuis. 

Alors que la restructuration du secteur bancaire, étroitement contrôlé par le pouvoir, est un sujet hautement sensible, Jack Ma a dénoncé à la fois le système de régulation et les banques traditionnelles dont il a dénoncé la mentalité de « prêteurs sur gages », trop frileuses à son goût pour financer les entreprises d’avenir. « Le système financier actuel est l’héritage de l’ère industrielle, a déclaré Jack Ma. Nous devons en mettre en place un nouveau pour la prochaine génération et les jeunes. Nous devons réformer le système actuel. »

Mais celui qui décide des réformes en Chine s’appelle Xi Jinping. Selon le Wall Street Journal, citant des responsables chinois anonymes, c’est lui qui a décidé de rappeler à l’ordre l’impudent self-made man

 

Jack Ma en novembre 2009 à Hangzhou. © Ni Yanqiang/Imaginechina /AFPJack Ma en novembre 2009 à Hangzhou. © Ni Yanqiang/Imaginechina /AFP

 

Dans un premier temps, l’introduction historique d’Ant a été stoppée le 3 novembre. Et Jack Ma a disparu. Sur le moteur de recherches chinois Baidu, il suffit de taper son nom chinois, Jack Ma, pour voir que le sujet passionne les Chinois : « Jack Ma s’est fait la malle », « Ce qui est arrivé à Jack Ma ces derniers temps », « Jack Ma a disparu ». Et l’on trouve aussi une citation (prémonitoire ?) de l’entrepreneur lorsqu’il avait décidé de se retirer de la présidence d’Alibaba : « Je sais déjà comment je vais finir. »

Si Jack Ma n’a cessé de fasciner et d’être courtisé dans les pays occidentaux, avec son anglais courant et ses discours qui semblent tirés de ces manuels de développement personnel disponibles dans les boutiques d’aéroport, son image en Chine s’est dégradée. En septembre 2019, le Quotidien du peuple jugeait, dans un éditorial, qu’« il n’y a pas d’ère Jack Ma, seulement une ère dans laquelle se trouve Jack Ma ».

Pour le New York Times, il paie aussi la haine des riches qui s’est renforcée dans une période où les jeunes générations se sont endettées pour payer leurs études et leurs appartements. Ces milliardaires sont des boucs émissaires faciles jetés en pâture par le Parti qui détourne ainsi les critiques des citoyens. D’autres en ont fait les frais auparavant, Wang Jianlin du groupe immobilier Wanda Group et Wu Xiaohui de la société d’assurances Anbang.

Jack Ma est ainsi membre – son appartenance a été dévoilée en 2019 par le Quotidien du peuple, l’organe officiel du PCC – et victime du Parti. 

Xi Jinping a décidé de resserrer son emprise sur le secteur privé. Un texte du Comité central a été publié en septembre pour recommander de renforcer la présence du Parti dans le secteur privé, soit 90 millions d’entreprises et 360 millions de salariés.

Si le message n’était pas assez clair, Ye Qing, vice-président de la Fédération chinoise de l’industrie et du commerce, a détaillé les mesures nécessaires pour bâtir un « système d’entreprises privées modernes avec des caractéristiques chinoises », où l’accent est mis sur l’intérêt commun entre les entreprises privées et le PCC. « Les entreprises privées sont les bénéficiaires du système socialiste à caractéristiques chinoises », a-t-il déclaré, soulignant que « ce n’est qu’en maintenant ce système et en le rendant plus solide que les entreprises privées pourront mieux se développer et que chacun pourra vivre et travailler dans la paix et le bonheur. Pour maintenir ce système, nous devons soutenir activement les entreprises pour qu’elles réalisent les travaux de construction du Parti ».

Dans un court-métrage diffusé en 2017 (produit par la branche cinéma d’Alibaba), Jack Ma affrontait toute une série de vedettes des films de kung-fu, dont Jet Li. À la fin, il s’éveillait de ce songe pour se rendre compte qu’il avait attaqué un commissariat et une bande de policiers. Réprimandé, il s’excusait auprès d’eux. Un policier s’exclamait : « Comportement civilisé ! » 

Aujourd’hui, Jack Ma n’écrit plus le scénario et il s’est attaqué à trop gros pour lui. Selon un journaliste américain de la chaîne CNBC qui l’a interrogé à plusieurs reprises, il n’aurait pas disparu, mais il ferait juste profil bas à Hangzhou – en chinois, on dit « baisser la voix ». « Il a été moins visible à dessein », a affirmé mardi David Faber. Le temps de laisser passer l’orage.

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