Pourquoi les Etats-Unis quittent l’UNESCO

Publié le par S. Sellami

La décision prise la semaine dernière par les Etats-Unis, immédiatement suivis par Israël, de démissionner de l'institution éducative et culturelle des Nations Unies est étrange. Pourquoi pénaliser un organisme qui se préoccupe de l'eau potable, de l'alphabétisation, de la préservation du patrimoine et des droits des femmes ? L'affirmation de Washington selon laquelle cette organisation est antisémite et œuvre contre Israël occulte les péchés capitaux que l'empire refuse de lui pardonner.

- Le premier péché date de 2011, quand l'Unesco a accueilli la Palestine en tant que membre, ce qui a permis aux Palestiniens d’améliorer leur statut à l'assemblée générale de l’ONU un an plus tard. Il faut quand même rappeler qu'en 1993, quand Israël et les Palestiniens ont signé les accords d'Oslo, l'objectif était de créer un Etat palestinien. Mais la plupart des observateurs semblent frappés d’amnésie. Encore mieux, sous la pression des lobbyistes israéliens (qui n’existent pas, évidemment), le Congrès des États-Unis a adopté une loi en 2011 qui oblige les États-Unis à annuler le financement de tout organisme de l'ONU intégrant les Palestiniens. Six ans plus tard, les États-Unis avaient « un retard de cotisations » de 550 millions de dollars et sans droit de vote à l'Unesco. Leur départ n'est donc rien d’autre qu'une formalité.

- Le deuxième péché concerne le rôle de l’UNESCO dans la sélection des sites du patrimoine mondial. Ce pouvoir s'est avéré plus qu'irritant pour Israël et les États-Unis.

Les territoires occupés, supposés constituer l’espace géographique d'un futur Etat palestinien, regorgent de tels sites. Les reliques grecques, romaines, juives, chrétiennes et musulmanes constituent non seulement des avantages économiques pour le tourisme, mais elles donnent également la possibilité de garantir l’intégrité du récit historique. Les israéliens s’impliquent dans l'excavation, la préservation et la mise en valeur des couches juives du passé de cette contrée, et ils utilisent ces vestiges pour justifier l'expulsion des Palestiniens et l’établissement de colonies juives. L'Unesco, en revanche, valorise tout le patrimoine de la région et vise à protéger les droits des Palestiniens vivants, et pas seulement les ruines de civilisations disparues. En juillet, l'Unesco a exaspéré Israël et les Etats-Unis en inscrivant Hébron comme l'un des rares sites du patrimoine mondial "en danger". Israël a qualifié cette résolution de "falsification de l’histoire".

- Le troisième péché est la priorité que l'Unesco accorde aux noms palestiniens pour les sites patrimoniaux sous occupation. Les toponymes influencent la mémoire collective. Ils donnent un sens et une mémoire signification aux lieux. L'historien israélien Ilan Pappe a forgé le terme « mémoricide » pour caractériser l'effacement par Israël de la plupart des traces du passé des Palestiniens après les avoir dépossédés des quatre cinquièmes de leur patrie en 1948 - ce que les Palestiniens appellent leur Nakba ou Catastrophe. Israël a fait plus que raser 500 villes et villages palestiniens en implantant sur leurs décombres de nouvelles communautés juives portant des noms hébreux destinés à masquer les anciens noms arabes. Saffuriya est devenu Tzipori ; Hittin a été remplacéé par Hittim ; Muyjadil a été transformé en Migdal. Un processus similaire de ce qu’Israël appelle la « judaïsation » est en cours dans les territoires occupés. Les colons de Beitar Ilit ont comme point de mire les Palestiniens de Battir. Les Palestiniens de Sussiya ont été délogés par une colonie juive du même nom.

Mais les enjeux cruciaux se situent à Jérusalem. La vaste place du Mur occidental située sous la mosquée Al Aqsa a été créée en 1967 après que plus de 1000 Palestiniens aient été expulsés et leur quartier démoli. Des millions de visiteurs passent chaque année sur cette place en ignorant cette action de purification ethnique. C’est dans ce contexte que les récents rapports de l'Unesco mettent en lumière les menaces qui pèsent sur la Vieille Ville de Jérusalem, notamment le refus d'Israël au droit de culte à Al Aqsa pour la plupart des Palestiniens.

Israël a fait pression pour que Jérusalem soit retirée de la liste des sites du patrimoine en voie de disparition et reproché à l'Unesco de ne pas donner la priorité aux noms hébreux utilisés par les autorités d'occupation.

Pourtant, la responsabilité de l'Unesco n'est pas de sauvegarder l'occupation ni de renforcer les efforts d'Israël en matière de judaïsation. L’Unesco est là pour faire respecter le droit international. La décision des Etats-Unis de quitter l'Unesco est loin d'être une initiative de Trump. Ses prédécesseurs ont été en conflit avec cette institution depuis les années 1970, principalement pour son refus de céder à la pression israélienne.

Aujourd’hui, Washington a une raison supplémentaire pour punir l'Unesco d’avoir permis à la Palestine de devenir membre. Il s’agit de faire un exemple pour dissuader d'autres organismes de suivre ce « mauvais » exemple.

L'indignation de Trump à propos de l'Unesco et le fait de balayer d’un revers de la main ses programmes mondiaux souvent vitaux pour les populations et le patrimoine rappellent que les États-Unis ne sont pas un messager de la paix au Moyen-Orient mais plutôt le principal obstacle à sa réalisation.

par Jeussey de Sourcesûre 
mercredi 18 octobre 2017

https://www.agoravox.fr/

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article