L’homme qui défia le Bachagha Bengana

Publié le par S. Sellami

Chebbah El-Mekki

Par Fateh Adli
Publié le 28 juin 2017
A l’image de la relation de conflit qui les opposait aux autorités coloniales, les nationalistes algériens croisaient doublement le fer avec les bachaghas et autres collaborateurs qui n’hésitaient pas à les dénoncer à l’ennemi ou à les lyncher, comme ce fut le cas avec Chebbah El-Mekki, militant de la première heure, homme de culture bilingue et figure emblématique du mouvement syndicaliste et communiste algérien.

Originaire de la même région que Bouaziz Bengana, Biskra, Chebbah El-Mekki s’est très tôt confronté à la tyrannie du Bachagha dit « Cheik el-Arab » qui avait carte blanche pour opprimer et réduire la résistance du peuple.
Selon les historiens, Chebbah El-Mekki défiait publiquement le bachagha Bengana qu’il surnommait « le Pharaon arabe » (Feraoun el-arab, en opposition au titre de Cheikh el-Arab qui lui a été attribué par les Français pour légitimer, aux yeux des tribus dites arabes établies à Biskra, son autorité temporelle et religieuse sur la population). Ce qui a fait de lui une cible privilégiée et l’exposait à la peine capitale, selon la législation de l’époque.  
Cette cabale finira par l’arrestation, en 1936, de Chebbah El-Mekki sur dénonciation de Bengana qui jura de venger son honneur « bafoué ». Son arrestation souleva une vague d’indignation et de dénonciation aussi bien en Algérie qu’en France. Le bachagha Bouaziz Bengana l’accusa alors de s’adonner à la politique « subversive », ordonna de fermer son café et le fit condamner à trente jours de prison. Le Secours populaire français, tenu alors par les communistes, a même diffusé un timbre de solidarité qui représentait Chebbah enchaîné et traîné derrière un cheval de Biskra à Ouled Djellal (dans les environs de Touggourt), sur une distance de 100 km, où il sera interné. Selon plusieurs versions, Bouaziz Bengana lui tient rigueur pour ses pièces de théâtre, où il dénonce l’injustice pratiquée par les valets du colonialisme, et aussi pour ses discours où il accusait ouvertement le bachagha de Biskra de détourner systématiquement les récoltes de blé, tout en plaidant la cause des populations appauvries par l’expropriation, l’abus d’autorité et l’asservissement.
A sa libération, il écrivit au gouverneur général de l’Algérie, Le Beau, pour l’informer et demander une Commission d’enquête. En vain. Chebbah Mekki fut alors obligé de se réfugier à Alger.
Dans ses Mémoires, Chebbah El-Mekki décrit la peine qu’il vécut : « C’est au cours de l’année 1936 que j’ai été traîné poings liés attachés à une corde tirée par une jument sur un parcours de 130 kilomètres entre Biskra et Ouled-Djellal. Mon arrestation a eu lieu « un certain jour de 193 » après une réunion de l’association des oulémas qui s’était déroulée à Biskra pour fêter la libération de Cheikh El-Okbi et de Abbas Turqui qui avaient été accusés à tort de l’assassinat du muphti Kahoul. A la suite de cette réunion, je fus arrêté par le représentant du bachaga Bengana qui m’avait accusé ‘‘d’avoir tenu des propos hostiles à ce dernier et à la France’’. Le représentant de Bengana m’a informé que je serai conduit à la prison d’Ouled-Djellal où je serai mis aux arrêts durant un mois. J’ai rejeté ces accusations mensongères et j’ai refusé de me laisser mener à la prison d’Ouled-Djellal sans qu’il y ait un jugement en bonne et due forme. C’est donc par la force et en usant de moyens violents que les serviteurs zélés du féodalisme et du colonialisme ont pu me mener à Ouled-Djellal.»
Pour rappel, Chebbah El-Mekki est né en 1894 dans la commune de Sidi-Okba, wilaya de Biskra. Il a appris l’alphabet et le Coran dans cette même ville. En 1924, il part en France, où il adhère à l’Etoile nord-africaine (ENA). En 1929, il retourne à Sidi-Okba où il ouvre un café maure et créé le premier «théâtre indigène», dont le secrétaire général était l’écrivain algérien Ahmed Reda-Houhou. Dans son combat anticolonialiste, Chebbah El-Mekki était membre à la fois des oulémas et du Parti communiste algérien (PCA). Défendant l’idée que le communisme et l’islam pourraient cohabiter dans la même pensée, Chebbah El-Mekki était un fervent anticolonialiste et un militant coriace, ce qui lui vaut plusieurs peines d’emprisonnements dont la plus célébre en compagnie d’autres militants communistes, livrés par le potentat de Biskra, le bachagha Bengana, dont ce n’est pas la première victime. 
Chebbah El-Mekki poursuivit son action militante après l’indépendance au sein du PCA puis du PAGS. Chebbah El-Mekki est décédé dans l’anonymat en 1991. Il est enterré dans sa région natale, à Sidi-Okba.

Adel Fathi

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