Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Jugeons les gardes des Sceaux qui ont interdit le “BDS”

Publié le par S. Sellami

« La Cour Européenne des Droits de l’Homme vient de mettre une énorme claque aux politiciens, supporters de Netanyahou et du CRIF. Criminaliser le « BDS », comme Paris le fait depuis huit ans, est une atteinte aux droits humains, c’est la Cour qui le dit. Malchance pour ces Gardes des Sceaux, ennemis de la liberté, ils sont souvent mis en cause par la justice.

Dans un rendu à l’unanimité de ses juges le 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) met un formidable coup de pied au cul d’une France qui, entre la liberté républicaine ou la soumission aux désirs de Netanyahou, avait fait de choix du petit monstre. La Cour déclare que les condamnations de la justice française, celles qui ont frappé des militants de la campagne « BDS » (pour Boycott, Désinvestissement, Sanctions), constituent une « violation de leur liberté d’expression ». La lutte a été longue, le chemin douloureux et couteux, mais l’injustice est renvoyée à un enfer qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Ceux qui ont mis en œuvre cette politique contre la Palestine sont non seulement les complices de criminels, mais encore des salauds en trahissant le principe de liberté de la République.

Dans le passé, on nous a justement fait sonner le violoncelle des droits humains pour nous dire combien il était vital de boycotter l’Afrique du Sud, celui de l’apartheid. Le combat était juste, et ce fut Mandela sans ses chaînes et un pays libéré. Au XVIIIe siècle, treize colonies britanniques d’Amérique obtiennent leur autonomie par le boycott. L’histoire de l’Irlande libre passe aussi par ce refus collectif d’un système. Le boycott est l’arme de ceux qui n’ont rien. Puisque chaque nef à ses fous, en 2011 c’est Martine Aubry qui appelle au « boycott du Mexique » au prétexte qu’une de ses administrées y est retenue en prison. Ces protestations de masse n’ont jamais heurté les consciences. Boycotter était juste. Juste jusqu’en 2005 où un groupe de militants planétaires décide d’appeler au boycott d’Israël. Pour son refus d’appliquer les résolutions de l’ONU et la conduite de sa politique criminelle d’occupation. En France, pays d’Europe où le personnel politique est le plus réceptif aux sanglots de Netanyahu, Michèle Alliot-Marie, fille d’arbitre, va siffler le pénalty imaginaire. Appeler au boycott c’est être convoqué à la barre, licencié, ruiné.

Le problème avec Michèle Alliot-Marie, c’est que, pour décrire ses turpitudes, on n’a jamais assez de noir dans le stylo. Pas assez de cartouches, il faut la bouteille à l’encre. Dossiers immobiliers, dossiers financiers : cette diplômée n’a jamais manqué de mises en examen. On a vu son menton s’allonger sous les jugulaires de ministre de l’Intérieur, de la Défense et s’enkyster à la Justice où elle fût un fléau. Elle se rêvait Présidente, et pourquoi pas puisque, plus tard, Macron l’a fait. Lui c’est Jupiter, elle n’a fait qu’entrevoir son zénith. Puis elle est tombée de son rêve. Le 11 janvier 2011 à l’Assemblée nationale, trois jours avant la chute du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, alors que la révolution tunisienne prend de l’ampleur, MAM réagit en proposant que « le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu dans le monde entier, permette de régler des situations sécuritaires de ce type ». Mieux : ministre des Affaires étrangères, elle propose grenades et matraques au bon général de Carthage. Fin janvier, Le Canard Enchaîné révèle qu’en plein chaos Michèle Alliot-Marie a passé ses vacances de Noël 2010 en Tunisie, avec vol dans l’avion privé d’un oligarque local, Aziz Miled. D’ailleurs les avisés parents de MAM ont conclu avec lui l’achat d’une résidence. Le 27 février 2011, la dame à tout faire remet sa lettre de démission à Sarkozy président.

C’est le retour à la vide rude où le chauffeur n’est pas toujours sous la main, une vie de députée puis de députée européenne. Le bagne de la déchéance. Et l’injustice continue. Le 21 février 2019 elle est mise en examen pour « prise illégale d’intérêt », une histoire de mouvements de fonds « suspects ». Micmac financier entre des associations locales et un hôtel de Chantaco dirigé par le papa de la ministre, elle-même détenant des parts. La bagatelle ne portant que sur 200 000 euros, rien dans ce monde-là, on se demande bien pourquoi le Parquet National Financier a déclenché un tel massacre ?

Voilà donc, chers amis du « BDS » et autres outils de lutte contre le crime fait aux Palestiniens, le visage obscur d’une ministre intègre. Qui n’allait pas supporter que l’on ne puisse digérer des oranges produites par des arbres arrachés par Israël aux mains de « Philistins ».

Grimace de l’histoire il semble que, pour un garde des Sceaux, combattre le « BDS » porte malheur. Le 2 août 2017, Le Canard Enchaîné, encore lui, révèle que Michel Mercier, le successeur de MAM place Vendôme, a embauché ses deux filles comme assistantes parlementaires, dont une à temps partiel de 2012 à 2014, pour un salaire de 2 000 euros par mois, alors qu’elle vivait à Londres. Excuse du télétravail ? Non puisque le Parquet National Financier ouvre, une enquête préliminaire pour « détournement de fonds publics », et obtient une ordonnance pour perquisitionner au palais du Luxembourg ancienne cantine de Mercier. Mais le colossal Gérard Larcher barre la route des flics. Ce qui mériterait une clé d’étranglement. Dans ce jeu de famille, les enquêteurs étudient également le cas de la femme de Michel Mercier, qui fut sa collaboratrice entre 1995 et 200925. Le Parisien nous informe : « Il s’agit de vérifier si, outre deux de ses enfants, le sénateur du Rhône a recruté son épouse Joëlle comme collaboratrice, sur une période encore plus longue, allant de 1995 à 2009 ». Du Pénélope tout craché. Au bout du bout, notre Michel renonce à son siège, programmé tout chaud, au Conseil constitutionnel. Ce « BDS » est bien un chat noir. Dommage, Michel Mercier est un nom qui me plait, il évoque la douce vision d’une marquise des anges.

Je n’imagine pas Christine Taubira en marquise. C’est pourtant elle, dans le cycle, qui succède au Mercier. Le « BDS » est pour elle une patate pas vraiment douce. Certains affirment que Taubira est « une femme de gauche », donc, sauf incohérence elle n’aime pas l’injustice, comme celle faite au peuple palestinien. Mais comment faire, quand on veut garder son boulot, pour annuler la circulaire MAM. Alors que Valls, qui voue « une amitié éternelle à Israël », et que Pépère tout aussi sioniste tendance Goldnadel, sont aux manettes ? Alors Taubira bredouille, balbutie, ânone, fait la sourde : « objectivement, dans l’histoire des luttes, aussi bien en France qu’ailleurs, le boycott est un acte militant »… mais qu’il « ne faut pas idéaliser non plus la lutte contre l’apartheid… ». D’ailleurs, le « BDS » c’est quoi ? Une marque de vélo ? Gloire à Christine, dans la litanie des Gardes des Sceaux, elle au moins échappe à une mise en examen pour des affaires de tirelire.

Taubira retirée, un certain Jean-Jacques Urvoas tombe du fléau de Thémis. Comme le dirait l’expert qui ne s’est jamais regardé, Gilles Le Gendre, Urvoas ne regorge pas de charisme. Pas grave, pour nous autres épris de justice (et non repris), et donc ayant la Palestine en douleur, nous savons que le député Urvoas a écrit à Taubira, encore ministre de la Justice, pour lui demander l’abrogation de la circulaire MAM… La place Vendôme est bien connue des experts médicaux, sorte de Raoult, pour savoir que le lieu provoque l’oubli, voire de grave amnésie. Le syndrome n’épargne pas le député du Finistère, devenu Garde à son tour. Vous avez dit « BDS » ? « BTS » ? C’est une marque de chaussures ? Non ?

Chat noir jamais blanc, Urvoas est lui aussi pris dans une clé type Castaner. Jean-Jacques Urvoas, entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2017, a transmis des informations confidentielles au député de droite Thierry Solère. Un Solère visé par une enquête pour « fraude fiscale, blanchiment et trafic d’influence ». Le 19 juin 2018, Jean-Jacques Urvoas est mis en examen par la Cour de justice de la République pour « violation du secret professionnel ». Le 30 septembre 2019 la CJR juge que Jean-Jacques Urvoas, « juriste expérimenté, maître de conférences en droit public, ne pouvait ignorer qu’il commettait un délit en transmettant la Fiche d’Action Publique (FAP) à une personne visée par une enquête en cours ». Elle le condamne à un mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende.

Il est réconfortant de constater, qu’outre Taubira qui est une sainte, tous ces gardes des Sceaux anti Palestiniens vivent dans les tourments de la Justice. A croire que, parfois, ils ont été choisis pour leur aptitude à tordre le droit ?

La diaphane Nicole Belloubet, outre un oubli fâcheux dans sa « déclaration d’intérêts », est réputée honnête. Mais pas assez, instruite en droit, pas assez forte et humaniste pour stopper cette folie honteuse de Circulaire MAM. Elle est donc elle aussi pendue au clou de la CEDH, et rêvons qu’elle ne pensera jamais à présenter des excuses aux victimes de la politique anti palestinienne de Paris. Que je ne confonds pas avec la France. Alors qu’on l’annonce bientôt hors du gouvernement, pour Nicole Belloubet la malédiction est en marche. Nous lui conseillons de vivre désormais dans la hantise du chat.

Jacques-Marie BOURGET

Le Grand Soir

https://oumma.com/jugeons-les-gardes-des-sceaux-qui-ont-interdit-le-bds/?utm_medium=oumma&utm_source=pushnotification&utm_campaign=pushnotification

Partager cet article
Repost0

commentaires

Liban, Syrie, Irak : qui a inventé le Moyen-Orient ?

Publié le par S. Sellami

 
Proclamation du Grand Liban par le général Gouraud à Beyrouth, le 1er septembre 1920. © Wikimedia Commons
 

Après 1918, les Français et les Britanniques ont tracé des frontières à la règle, parachuté des rois fantoches, infiltré des faux experts et vrais espions… De bien mauvaises fées penchées sur le berceau de ces trois Etats.

 

En novembre 1918, l’armistice ne met pas seulement fin aux hostilités en Europe. Il aiguise les appétits des vainqueurs pour des territoires situés à l’autre bout de la Méditerranée. L’Empire ottoman, allié de l’Allemagne vaincue, est démantelé. Le territoire de l’ancien colosse est réduit à l’actuelle Turquie ; ses possessions perdues sont préemptées par la France et la Grande-Bretagne. Pourquoi les deux puissances sont-elles si impliquées dans le partage du gâteau moyen-oriental ? Là-bas, les Britanniques sont militairement incontournables, de la Palestine à Mossoul. Quant aux Français, quoique plus portés sur l’Afrique, ils ont des troupes au Mont-Liban et en Syrie.

La répartition des terres a eu lieu en grand secret deux ans plus tôt. C’est le Britannique Sir Mark Sykes, un ambitieux baronnet de 37 ans, qui s’en est chargé. Un fieffé menteur qui prétend parler le turc et l’arabe. Ce jeune député conservateur vient alors de publier un best-seller aux allures de guide touristique – Le Dernier Héritage du calife – qui laisse entendre qu’il possède une haute expertise sur la « question d’Orient ».

Invité par le Premier ministre Henry Asquith à s’exprimer sur le sujet au 10 Downing Street, Sykes arrive avec une carte de l’Arabie sous le bras. Au cours de la réunion, il la déploie et trace à la règle une diagonale partant du « e » d’Acre et allant jusqu’au dernier « k » de Kirkouk. C’est la ligne de partage ! Londres contrôlera tout ce qui se situe au sud de la ligne : Palestine, Transjordanie, Mésopotamie (Irak actuel). Paris s’arrogera tout ce qui se trouve au nord : Liban et Syrie. Agréée par Asquith, la proposition convient au négociateur français François Georges-Picot. Fervent partisan de la « mission civilisatrice » impériale de la France, cet ancien consul à Beyrouth saura convaincre le président du Conseil Aristide Briand de la justesse du tracé dit « Sykes-Picot ».

 

Syrie : la « créature » du général Gouraud

En réalité, cette « ligne tracée arbitrairement au milieu des sables », selon l’expression de l’historien anglais James Barr, ne fera qu’exacerber la rivalité entre le Royaume-Uni et la France. Car ce que veut surtout la Grande-Bretagne, c’est s’assurer le contrôle de l’ensemble de la péninsule arabique. Hyperpuissance maritime, elle veut aussi avoir la main sur l’ensemble du golfe Persique, ainsi que sur les ports du Koweït, confetti riche en pétrole et idéalement placé sur la route des Indes. Les Français, eux, jouent la carte de la protection des chrétiens d’Orient. Ils se réservent le Levant, à l’exception de la Palestine, qui reste sous contrôle anglais.

En 1919, la Société des Nations (SDN), créée par le traité de Versailles, rebat encore les cartes du Moyen-Orient. Cette institution, dominée par la France et la Grande-Bretagne, est censée garantir le nouvel ordre international. C’est en fait un nouveau lieu d’affrontement pour des puissances aux appétits féroces. En avril 1920, la SDN place sous mandat français l’ancienne province ottomane de Syrie et sa capitale Damas. Paris exulte. Théoriquement, l’objectif du mandat est de mener la Syrie et le « Grand Liban » vers l’indépendance. Mais à quoi bon se défaire de territoires qui sont des étapes très utiles sur la route des possessions extrême-orientales de la France (Annam, Cambodge, Cochinchine, Laos et Tonkin) ?

 

Paris rit, les Arabes enragent et le War Office est embarrassé. Car pendant toute la guerre les Britanniques ont laissé entendre au chérif de La Mecque, Hussein ben Ali, qu’une fois la paix venue ils l’aideront à constituer un « royaume arabe » avec Damas pour capitale. La promesse a été maintes fois relayée par Thomas Edward Lawrence, un officier de renseignements de l’armée britannique. Ce trentenaire est déjà célèbre dans son pays sous le patronyme de Lawrence d’Arabie. Attifé en Bédouin, El Aurens, comme l’appellent les Arabes, a multiplié les razzias et les opérations de sabotage contre les Ottomans aux côtés de Fayçal, fils d’Hussein et icône de la rébellion, avec lequel il s’est lié d’amitié. Ce dernier ne veut pas renoncer à son rêve de royaume arabe.

Coup de théâtre ! En mars 1920, Fayçal crée à Damas une monarchie parlementaire, à la barbe des Français, dans une Syrie indépendante qui inclurait la Palestine et la Transjordanie. Le général Henri Joseph Eugène Gouraud ne l’entend pas de cette oreille, lui que la France vient de nommer haut-commissaire au Levant. « Fougueux, barbu, manchot et la main lourde », résume un diplomate britannique ! Homme à poigne, il a perdu un bras à Gallipoli, s’est couvert de gloire en Champagne et s’est illustré au Soudan par la capture de Samory Touré, un chef mandingue qui s’opposait aux Français. Gouraud lance un ultimatum à Fayçal, l’invitant à se soumettre ou à se démettre. Après sa défaite à la bataille de Maysaloun, où son armée est écrasée par un contingent de spahis marocains et de tirailleurs sénégalais, l’émir cède…

 

En juillet 1920, lorsqu’il pénètre dans Damas, Gouraud visite le tombeau de Saladin, devant lequel il déclare : « Réveille-toi, Saladin, nous sommes de retour ! Ma présence ici consacre la victoire de la croix sur le croissant ! » Ce nouveau croisé est pris d’une frénésie créatrice. Fin 1920, le général fixe unilatéralement les frontières de quatre nouvelles entités : le Grand Liban (voir plus bas), les Etats d’Alep et de Damas, ainsi que le territoire des Alaouites (chiites hétérodoxes). Sa stratégie ? Diviser pour mieux régner. « Ma proposition […] doit permettre au haut-commissariat de mettre en balance des rivalités pouvant être exploitées au plus grand profit de son autorité et, par conséquent, de la France », révèle Gouraud dans un télégramme adressé au chef du gouvernement français en août 1920.

Qu’en disent les populations locales ? Rébellion ! Parties du Djebel druze, les révoltes essaiment dans la Ghouta en périphérie, puis explosent à Damas, que l’aviation française bombarde en octobre 1925, provoquant des centaines de morts. Les troupes françaises ne quitteront le pays qu’en 1946. Ce dernier connaîtra pas moins de sept coups d’Etat et basculera en 1970 dans le régime militaro-policier de Hafez el-Assad, dominé par la minorité alaouite.

 

L’Irak : aux services secrets de sa Majesté

Retour en mars 1921. Vaincu par Gouraud, Fayçal est « exfiltré » de Syrie par les services secrets britanniques. Ces derniers ont décidé de le placer à la tête de l’Irak, un pays qu’ils viennent de créer à l’initiative de Winston Churchill, alors secrétaire d’Etat aux Colonies. C’est T. E. Lawrence, devenu entre-temps conseiller au Colonial Office, qui lui a soufflé l’idée, une manière pour lui d’honorer sa promesse à Fayçal. L’Irak est pourtant un amalgame disparate des anciens gouvernorats ottomans de Bagdad et de Bassora, dont la Grande-Bretagne a hérité depuis le traité de Sèvres d’août 1920. Ah oui ! Ce traité garantissait aussi la création d’un Etat kurde. Une autre promesse… On rattache de force les Kurdes et Turkmènes de l’ancien gouvernorat de Mossoul à l’Irak. Et s’ils se plaignent ? Dans une note adressée au War Office, Churchill préconise l’utilisation d’armes chimiques pour combattre les populations animées par des velléités d’indépendance !

Mais il y a pis : en bombardant Fayçal à la tête de l’Irak, Londres décide unilatéralement que ce « patchwork ethnique et confessionnel », pour reprendre l’expression de l’historien Pierre Blanc, sera une monarchie sunnite. Un plébiscite est organisé pour légitimer le nouveau souverain. Toute candidature rivale étant proscrite, Fayçal obtient 96% des suffrages dans un pays où 65% des musulmans sont de confession chiite ! Résultat : « Le royaume hachémite ainsi fondé ne reposait sur aucune assise locale », écrit l’historien Jean-Pierre Filiu. Pour preuve : lors de la cérémonie d’intronisation de Fayçal à Bagdad, faute d’hymne national irakien, l’orchestre joua le God Save the King !

 

En 1924, en Irak, un nouveau code de la nationalité distingue un « certificat A » qui octroie aux sunnites la pleine nationalité irakienne et un « certificat B » qui n’accorde que des droits restreints aux chiites, pourtant majoritaires. « Dès le début de son existence, l’Irak est déchiré entre une minorité au pouvoir dominée par les sunnites et une population à dominante chiite avec un fort irrédentisme kurde dans le Nord », poursuit Jean-Pierre Filiu. Le général Gouraud ne s’y trompe pas. Lors d’un entretien avec Churchill à propos de l’Irak, il déclare que, en portant au pouvoir un sunnite, « les Britanniques façonnent comme Frankenstein un monstre qui finira par les dévorer » !

Grand Liban : « une mosaïque quasi ingouvernable »

Henri Gouraud peut bien sermonner les Anglais : il est le plus doué des apprentis sorciers ! Dès 1920, le haut-commissaire crée par décret le Grand Liban et multiplie les décisions arbitraires, aux conséquences tragiques. Il considère ainsi que les limites traditionnelles du Mont-Liban ne sont pas viables économiquement. Qu’à cela ne tienne ! Il y adjoint la plaine fertile de la Bekaa, «un territoire pris à la Syrie qui deviendra un point de discorde entre les deux pays», note l’historienne Julie d’Andurain. Gouraud veut aussi combler les partisans chrétiens du Grand Liban. Cette communauté est marquée par la famine de 1915, conséquence du blocus ottoman. «Le patriarche de l’Eglise chrétienne maronite Hoyek revendique la sécurisation alimentaire du pays», explique Pierre Blanc. Pour éloigner le spectre de la faim, ils obtiennent des Français un Grand Liban plus vaste, incluant des plaines nourricières et des facilités portuaires. Mais ce sont aussi des hommes et des communautés différentes qui s’invitent dans le nouveau pays : Druzes, maronites, sunnites… Les chrétiens libanais perdent en réalité leur suprématie démographique. Ce pays est dès son origine une mosaïque de peuples et de communautés « dont la coexistence apaisée s’annonce dès le début difficile, sinon impossible », estime Pierre Blanc.

 

L’instabilité du pays, aggravée au cours des décennies suivantes par la présence de Palestiniens chassés de leur foyer, débouchera sur une guerre civile qui durera quinze ans, de 1975 à 1990. Elle s’accompagnera de la multiplication de milices politico-mafieuses (Amal, Forces libanaises, Brigade Marada, PSP druze, Hezbollah, etc.) enracinées dans une matrice communautaire qui reste aujourd’hui quasiment ingouvernable.

Les protagonistes

Le géomètre : Sir Mark Sykes > En 1915, le War Office britannique demande à cet ancien député conservateur de plancher sur le partage futur de l’Empire ottoman. Catholique et francophone, il propose une solution plutôt favorable à la France, allié crucial dans le combat contre l’Allemagne. Il n’en mesurera jamais les conséquences désastreuses : il meurt en 1919 à Paris de la grippe espagnole.

L’apprenti sorcier : François Georges-Picot > Appelé au printemps 1915 au ministère des Affaires étrangères, cet ancien consul à Beyrouth est chargé de signer pour la France l’accord secret dit « Sykes-Picot » qui définit les futures zones d’influence française et britannique dans l’Arabie ottomane. Pas plus que son homologue Sykes, il ne sut voir que cet accord allait être mis en échec par la montée du nationalisme arabe et la création d’un foyer juif en Palestine.

 

L’exalté : Thomas Edward Lawrence > Le futur Lawrence d’Arabie est dans les années 1910 un aristocrate qui sillonne la péninsule arabique pour une thèse d’archéologie à Oxford. Engagé en 1914 dans l’armée britannique, il devient agent de liaison auprès de l’émir Fayçal et combat à ses côtés dans sa guérilla contre les Ottomans. Après la guerre, il pousse Fayçal à la tête du royaume d’Irak, entité créée par les Britanniques.

L’héritier : Fayçal ben Hussein > Issu d’une lignée hachémite qui remonterait à Mahomet, il est le fils d’Hussein ben Ali, chérif de La Mecque. Il devient roi d’Irak en 1921. Horrifié par le massacre des chrétiens nestoriens d’Irak en août 1933, il part le 2 septembre en Suisse et y décède le 8.

Le conquérant : Henri Joseph Eugène Gouraud > Militaire de carrière, il participe activement à la constitution de l’empire colonial français d’Afrique de l’Ouest, du Maghreb et du Moyen-Orient. Il perd un bras aux Dardanelles et joue un rôle décisif dans la contre-offensive victorieuse de Champagne en juillet 1918. Nommé haut-commissaire au Levant, il crée dans les années 1920 le Grand Liban et une éphémère Fédération d’Etats de Syrie.

L’impitoyable : Winston Churchill > En 1921, le bouillonnant homme politique est nommé secrétaire d’Etat aux Colonies lorsque la Palestine, la Transjordanie et la Mésopotamie (futur Irak) passent sous contrôle britannique. Ayant pris T. E. Lawrence comme conseiller, il favorise le couronnement de Fayçal en Irak et d’Abdallah en Transjordanie. Il se montre favorable à l’utilisation d’armes chimiques sur les Kurdes d’Irak pour contrer leurs velléités d’indépendance.

Jean-François Paillard

Par l'équipe Ça m'intéresse
Partager cet article
Repost0

commentaires

Le tribunal correctionnel de Paris condamne le FN dans l’affaire des Kits de campagne

Publié le par S. Sellami

Tous les effets de manche des avocats du Rassemblement national (RN) pour que le blason de l’extrême droite française, dont seul le nom a changé, ne soit pas trop terni par la fameuse affaire des Kits de campagne lors des législatives de 2012, n’auront servi à rien.

Ils auront eu beau, avec emphase, s’extasier devant « l’ingéniosité de ce système », censé remédier aux difficultés de financement de l’ancien FN, notamment après les lourds revers électoraux de 2007, voire même y déceler un trait de génie de la part de Marine Le Pen, sa présidente indétrônable, tout en criant à sa parfaite légalité, rien n’y a fait !

Plaidant la relaxe en pure perte, même le doigt accusateur qu’ils ont pointé vers « l’entrée de la politique dans le prétoire » à seule fin « d’éliminer la concurrence de l’échiquier politique », n’aura pas infléchi le jugement du tribunal correctionnel de Paris. A trop tirer sur la corde de la victimisation de l’extrême droite française, elle finit par se rompre…

Le vernis de respectabilité du RN n’aura pas résisté à l’épreuve d’un procès long de trois semaines, au cours duquel le système de kits – tracts, affiches, site internet, prestations comptables… – vendus aux candidats par Jeanne, le micro-parti créé par Marine Le Pen, et fournis par Riwal, la société de communication de Frédéric Chatillon, son proche conseiller et ex-président du Gud dans une vie antérieure ( le syndicat étudiant d’extrême droite), a été minutieusement décortiqué.

Un vernis un tantinet trop brillant, qui s’est fissuré de toutes parts à l’énoncé du verdict rendu ce mardi 16 juin : l’ancien parti de Jean-Marie Le Pen, dont la nouvelle virginité politique n’est que de la poudre aux yeux, a été condamné à une amende de 18.750 euros.

                                                           Frédéric Chatillon

Certains de ses cadres ont été condamnés à passer par la case prison, dont l’homme clé du dispositif, Frédéric Chatillon. Celui-ci s’est vu infliger une peine de 30 mois d’emprisonnement, dont 20 avec sursis, assortie de 250.000€ d’amende pour « escroquerie ». A 52 ans, il était sous le coup de l’accusation « d’enrichissement frauduleux »,  en détournant les bénéfices juteux engrangés par ses sociétés.

« Le Front national est ainsi condamné pour “recel d’abus de biens sociaux” (et non pour “complicité d’escroquerie” de l’Etat comme nous l’avions écrit précédemment par erreur) à une amende de 18.750€, soit le maximum encouru pour une personne morale », a précisé le tribunal.

                   Wallerand de Saint-Just
                                          Jean-François Jalkh, au premier plan

Ils ont eux aussi échoué à s’attirer la clémence des juges :  le trésorier Wallerand de Saint-Just est condamné à 6 mois de prison avec sursis, tandis que le député européen Jean-François Jalkh écope de 2 ans de prison, dont 18 mois avec sursis, et une peine de 5 ans d’inéligibilité.

Contre Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen qu’il présidait et qui a servi de couverture à ces basses manoeuvres, le tribunal a fixé une amende de 300.000 euros, dont la moitié avec sursis. Dans le volet des prêts fictifs, le tribunal a estimé le préjudice de l’Etat à quelque 860.000 euros, qui doivent être dédommagés solidairement par Frédéric Chatillon et Jean-François Jalkh, le micro-parti Jeanne, et deux autres protagonistes. Les représentants du parquet ont aussi appelé à sanctionner des opérations suspectes lors de la présidentielle de 2012 et d’autres campagnes électorales jusqu’en 2015.

Moralité : faire croire au renouveau d’un coup de baguette magique, en changeant juste de nom, n’abuse que Marine Le Pen et tous les sinistres illusionnistes de l’extrême droite française… qui ne dit pas son nom.

Partager cet article
Repost0

commentaires

"Aux yeux de la philosophie dialectique, rien n’est établi pour toujours, rien n’est sacré"

Publié le par S. Sellami

"Aux yeux de la philosophie dialectique, rien n’est établi pour toujours, rien n’est sacré" (Karl Marx).

La reconstruction, la refondation, la rénovation, la renaissance du Parti communiste est un thème, un objectif, un programme presque aussi vieux que le Parti communiste lui-même.

Programme toujours proclamé, annoncé, promis mais jamais réalisé. Tentons de voir pourquoi.

Faibles ou pesant sur la vie nationale de façon incontournable, les partis communistes, fondés sur l’élan de la Révolution d’Octobre et de la IIIe Internationale, confortés par la victoire soviétique durant la Deuxième Guerre mondiale et leur participation centrale aux Résistances patriotiques et anti-fascistes, ont connu depuis bien des vicissitudes.

Cela étant, ils ont marqué d’une forte empreinte le XXe siècle.

Depuis les années 1980 et surtout 1990 avec l’effondrement de l’Union Soviétique, du camp socialiste et de la mutation de la Chine en pays capitaliste, les PC sont, pour nombre d’entre eux, soit dissous, soit anémiés, soit dégénérés. Quelques uns résistent et gardent une base de masse significative mais même dans ce cas ils sont tendanciellement sur une pente déclinante. Les victoires ou du moins les résistances populaires actuelles s’expriment à travers des organisations de type nouveau. On se souvient que, déjà, la révolution cubaine à fin des années 1950 ne fut pas dirigée par le PC Cubain.

Que l’on regrette ou qu’on se réjouisse de ce constat, il est difficile de la contester.

Face à cette situation la thématique de la reconstruction du PC est mise encore à l’ordre du jour chez certains militants se réclamant du communisme.

Certes, nous le disions précédemment, le projet est ancien. Dès 1923, soit trois ans après la fondation en France du parti communiste, son ancien et premier secrétaire général, Ludovic-Oscar Frossard, fonde un éphémère Parti Socialiste Communiste (PSC) mais c’est pour, assez rapidement, rejoindre la SFIO et finalement sombrer dans le pétainisme.

Puis ce furent, au fil des décennies, les oppositions "de gauche et de droite" aux directions du PC qui se lancèrent dans l’aventure de la refondation du Parti communiste.

Les trotskistes furent sans doute les premiers à avoir espéré y parvenir et cela dès la fin des années 1920 et au début des années 1930. Le "redressement révolutionnaire" du PCF était leur slogan. 200 à 300 militants de la Ligue Communiste s’attaquèrent donc à la réalisation de ce projet grandiose. Cela l’amena à s’opposer à la ligne sectaire de l’IC ce qui ne manque pas d’humour involontaire. Le fiasco fut au rendez-vous. Après guerre,un autre courant du trotskisme, le PCI (parti communiste internationaliste) prit la relève avec toujours le même échec au bout.

Non seulement les lignes politiques de ces groupes trotskistes étaient discutables (refus du Front Populaire entre autres) mais de plus l’émiettement et l’éparpillement était la règle. Les groupes trotskystes faisaient concurrence aux poupées russes. Bégayant les orientations de Trotski, ils répétaient des années durant des mots d’ordre comme si ceux-ci étaient intemporels. Ainsi en 1946 il exigeaient un "gouvernement ouvrier PS/PC sans le MRP" et en 1981 "Un gouvernement PS/PC sans les Radicaux de gauche"....Il en va de même à l’international où en 1945 ils dénoncent Yalta " A bas le super-Versailles Roosevelt-Churchill-Staline ! Vive la révolution prolétarienne allemande !" On le voit un grand sens de l’opportunité...et un grand divorce avec le réel. Quant à aujourd’hui, le mégaphone remplace la Faucille et le Marteau et l’anticapitalisme remplace le communisme dans le nom de l’une des organisations trotskystes...

Au sein du PCF lui-même, des opposants – divers – aux directions ont toujours existé. Certes de façon quasi clandestine dans les années 1950-1960 mais avec quelques moments forts et publics comme lors du XXe congrès du PCUS ou l’intervention soviétique à Budapest en 1956 ou Prague en 1968. Des bulletins internes circulaient. Comme "Unir pour le socialisme" ( de 1952 à 1975) qui était animé par de grands Résistants (Marcel Prenant, Maurice Gleize, Jean Chaintron, Roger Pannequin...) et dont l’objectif était déjà "un PCF révolutionnaire et démocratique".

N’oublions pas la tentative maoïste avec le PCMLF qui, malgré le soutien chinois, fut un échec. Lui aussi fut l’objet de divisions et de scissions jusqu’à extinction, même si quelques petits débris virtuels subsistent.

Depuis les années 1980 et 1990 des oppositions "de droite et de gauche" se sont exprimées dans et hors du Parti. Ces qualifications de "droite et de gauche" sont d’ailleurs discutables. Elles correspondent à ce que les directions du PC voulaient faire croire : face aux "déviations" de droite et de gauche , elles étaient le centre, l’orthodoxie. Toujours est-il que face à la crise du communisme dont les directions elles-mêmes ont conscience dès les années 1960 *, des tentatives de redressement se succèdent comme les vagues sur le rivage. Avec le même résultat : les vagues érodent le sol qui finit par s’effondrer. Mais de reconstruction rien, des nèfles, nada.

Les critiques portées par ces oppositions aux directions du PCF ont un point commun : l’exigence de démocratie interne, une libre discussion dans le Parti et la fin du verrouillage du fonctionnement démocratique au prétexte du "centralisme démocratique". Henri Lefebvre, Louis Althusser, Henri Fizbin, Lucien Sève et bien d’autres tenteront donc la renaissance du PC en interne et/ou hors du Parti. En vain. Sans doute parce que quelque chose dans la définition figée, dogmatisée de l’organisation ne permettait pas de satisfaire cette exigence pourtant élémentaire. Parce que mettre en cause une direction est difficile même dans une organisation communiste. Surtout parce que nous n’avons pas été capables d’une pensée dialectique : "Rester fidèle ou se renier" dit Waldeck Rochet (1). Ce choix est mortifère : ni fidélité, ni reniement, "analyse concrète de la situation concrète".

De nos jours de nombreux groupes proclament lutter pour la reconstruction/ renaissance/refondation du PC : au moins deux tendances internes au Parti (Vive le PCF et Faire Vivre et Renforcer le PCF) et d’innombrables groupuscules en externe (RPCF, PCOF, RC, PRCF, ANC, PCRF, PRC et tous les autres qui voudront bien nous excuser). Si le ridicule ne tue pas, la vie s’en charge.

Cet émiettement est bien sûr l’expression d’une situation objective : les classes populaires n’ont pas confiance dans la possibilité d’un autre monde et depuis les années 1980 le rapport des forces international a basculé en faveur du capital. Mais cette situation est due aussi à l’incapacité pour les marxistes de mettre en synergie et d’unifier leurs analyses des contradictions sociales. On l’a vu plus haut. Au contraire de cette démarche nous assistons, dans la sphère militante comme dans la sphère intellectuelle à des oppositions dogmatiques, à des conflits byzantins au lieu d’un débat fructueux, d’autant que les différents "camps" auraient des choses à apporter à une éventuelle synthèse commune. Par exemple comment ne pas comprendre que l’universalisme républicain ne s’oppose pas à la prise en compte des effets du colonialisme ni aux mutations ethniques et culturelles de la classe ouvrière outre ses mutations structurelles dues au capitalisme contemporain. Comment des marxistes ne voient-ils pas le nécessaire dépassement dialectique de ces contradictions par la lutte de classe et non par des affrontements théoriques qui ne font qu’alimenter la division et l’impuissance de la gauche.

Loin des chimères des orphelins des certitudes du passé, ne devons-nous pas tenter au moins de rassembler, d’unifier, de confronter fraternellement les analyses progressistes et demain les forces populaires. Pendant que les "indigénistes communautaristes" combattent les "républicains esclavagistes" et réciproquement, que les dix sectes des vrais croyants, des "vrais marxistes-léninistes" s’excommunient puis s’embrassent puis s’excommunient de nouveau, les vrais fascistes, et les forces sociales qui peuvent demain leurs donner le pouvoir, travaillent à gagner l’hégémonie. Le sursaut viendra quand nous aurons vaincu la désespérance et la résignation des masses. Non par la re-construction mais par la construction.

Et pendant ce temps là les champions du centralisme "démocratique", les petits timoniers de sous-préfecture parviennent, difficilement, à s’imposer à quelques centaines de militants qui voient les années passer sans que rien ne bouge, sans que les effectifs augmentent, sans que cesse le turnover militant, sans parvenir à l’inaccessible étoile de la reconstruction du Parti communiste éternellement retardée ou ubuesquement proclamée. Simplement parce que la résurrection des morts et du passé sont impossibles.

Le vieux est mort ? N’attendons pas sa renaissance. Contribuons plutôt à la naissance du neuf.

♣  Antoine MANESSIS

(1)Waldeck Rochet ne dit-il pas en 1961 : "Nous menons une bataille en retraite. Depuis de longues années on recule lentement. Nous n’aurions pas plus de quatre millions de voix (en cas d’élections). C’est ainsi. Ça sera long. Tant qu’il ne sera pas évident que tout est mieux en URSS qu’en Occident, il n’y aura pas de nouvelle poussée pour le socialisme. Et c’est toujours plus long qu’on ne le croit : dix ou quinze ans probablement. En attendant il faut maintenir ce qu’on peut. Si on lâchait nous disparaîtrions comme les petits partis. On n’a pas le choix ou rester fidèle ou se renier. On devrait faire un grand effort pour trouver des mots d’ordre, un style d’organisation mieux adapté à notre temps, capable de mouvoir les masses. Les Italiens le tentent bien mais eux aussi reculent lentement. Ils frisent le révisionnisme." (Mémoires de Jean Pronteau).

Partager cet article
Repost0

commentaires

Les problèmes de l'Algérie doivent être réglés entre Algériens

Publié le par S. Sellami

Les problèmes de l'Algérie doivent être réglés entre Algériens
 
 

ALGER - Les problèmes de l'Algérie doivent être réglés "exclusivement" entre Algériens, loin de toute ingérence étrangère, a souligné dimanche à Alger, Ahmed Bensaada, chercheur à l'Ecole polytechnique de Montréal et enseignant à l'Université d'Oran.

Intervenant sur les ondes de la Chaîne III de la Radio nationale, M. Bensaada a évoqué le Hirak, estimant que celui-ci fait l'objet d'une "manipulation" d'officines, comme c'était le cas pour nombre de pays arabes. Il a souligné, à ce propos, que "pour qu'une révolte aboutisse, il faut qu'elle soit absolument intrinsèque, c'est-à-dire nos problèmes doivent être réglés entre nous", a-t-il dit.

Il a tenu à souligner, dans ce sens, que "le fait de parler de manipulation ne veut pas dire que je suis contre le Hirak", en relevant certaines similitudes entre le Hirak du 22 février avec les révoltes en Egypte et la Tunisie en 2011, et même les révolutions colorées survenues en Géorgie, l'Ukraine ou le Kirghizistan, visant à changer les régimes "pacifiquement", en utilisant la technique de la "non-violence".

Pour le chercheur, ces méthodes sont enseignées par des organismes étrangers spécialisés, et ce qui se passe en Algérie "n'est pas nouveau", a-t-il fait observer, affirmant qu'il "prend sa source dans les révolutions colorées", et les méthodes ressemblent, également, aux pays touchés par, ce qu'on appelle, le "printemps arabe".

L'universitaire a expliqué que des officines basées aux Etats-Unis et en Europe "financent et forment différents organismes et associations à travers, notamment, des cyberactivistes pour déclencher des révoltes populaires dans ces pays".

Selon lui, "il y'a une manipulation contre l'Algérie et notre pays est visé", en rappelant, à ce propos, qu'après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis avaient décidé de provoquer des "changements radicaux" dans les pays arabes, et se sont alors donné les moyens pour le faire, à travers, entre autres, la formation de "cyberactivistes autochtones" pour la mise en œuvre de leur projet.

A travers les réseaux sociaux, ces derniers mettent en œuvre leur stratégie, en planifiant les manifestations, en donnant des directives concernant les lieux de rassemblement, les idées sur les slogans, par exemple.

M. Bensaada a tenu à souligner également que les revendications du Hirak sont "justes", et ce mouvement populaire est "bénéfique" pour le pays. "Mais nous n'avons pas besoin de financement étranger qui va nous pousser à nous entre-tuer", et le peuple algérien "n'a pas besoin de revivre l'expérience de la décennie noire", a-t-il fait savoir.

"Si nous suivons ce que nous dictent les agendas étrangers nous irons directement droit au mur", a-t-il mis en garde, en rappelant que le député européen, Raphaël Glucksmann, qui est à l'origine de la Résolution du Parlement européen sur la situation en Algérie, fait partie du Cercle de l'oratoire, un cercle de réflexion français "néoconservateur, qui était pour l'invasion de l'Irak et de l'Afghanistan et la destruction de la Libye".

"Nous souhaitons un réel printemps en Algérie, régler nos problèmes entre nous, avoir un pays démocratique sans qu'il y'ait une ingérence étrangère", a-t-il insisté, mettant en avant le fait que "jamais notre pays ne reviendra à avant le Hirak". "Nous ne pouvons plus revenir en arrière, sauf que donnez-nous la chance d'avoir un pays qui est tenu par les Algériens et par des agendas purement algériens, et non pas des agendas étrangers", a souligné M. Bensaada.

L'auteur de "Arabesque américaine" a souligné que "l'arrogance, l'entêtement et l'obstination sont de très mauvais conseillers dans cette période", appelant à faire en sorte que ce soulèvement populaire "soit un vif succès pour une Algérie nouvelle, apaisée, pleine de promesse pour un peuple qui a tant espéré".

Partager cet article
Repost0

commentaires

Liban 2005-2015 : d’une « révolution » colorée à l'autre

Publié le par S. Sellami

 

En 2011, en pleine effervescence sur la place Tahrir, on questionna Srdja Popovic sur les activités de formations révolutionnaires de centre CANVAS (Center for Applied Non Violent Action and Strategies) qu’il dirige à Belgrade. Il s’empressa de répondre, non sans une petite pointe de fierté : « Nous travaillons avec 37 pays. Après la révolution serbe, nous avons eu cinq succès : en Géorgie, en Ukraine, au Liban et aux Maldives ». Dans son empressement, il avait juste oublié de mentionner le cinquième pays : le Kirghizstan. Il ne se priva pas d’ajouter : « Et maintenant l’Égypte, la Tunisie et la liste va s’allonger. Nous n’avons aucune idée du nombre de pays où le poing d’Otpor a été utilisé, probablement une douzaine… » [1]. Cette déclaration n’est pas anodine. Elle exprime l’évidente relation entre les révolutions colorées et les différents mouvements de contestation qui ont touché le Moyen-Orient, jusqu’au mal nommé « printemps » arabe.

Documentaire: The Revolution Business (La déclaration de Srdja Popovic est à 4:20)

Les révolutions colorées

Ces révolutions, qui doivent leur dénomination aux noms avec lesquels elles ont été baptisées (rose, orange, tulipe, etc.), sont des révoltes qui ont bouleversé certains pays de l’Est ou ex-Républiques soviétiques au début du 21e siècle. C’est le cas de Serbie (2000), de la Géorgie (2003), de l’Ukraine (2004) et du Kirghizstan (2005).

Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire ces révoltes : Otpor (« Résistance ») en Serbie, Kmara (« C’est assez ! ») en Géorgie, Pora (« C’est l’heure ») en Ukraine et KelKel (« Renaissance ») au Kirghizistan. Le premier d’entre eux, Otpor, est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Miloševic. Après ce succès, Popovic (un des fondateurs d’Otpor) a créé CANVAS avec l’aide des activistes du mouvement serbe. Comme indiqué par Popovic, ce centre a aidé, conseillé et formé tous les autres mouvements subséquents. CANVAS a formé des dissidents en herbe à travers le monde, et en particulier dans le monde arabe, à l’application de la résistance individuelle non violente, idéologie théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp dont l’ouvrage « From Dictatorship to Democracy » (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées et du « printemps » arabe [2].

 

Logo de CANVAS

 

Aussi bien CANVAS que les différents mouvements dissidents des pays de l’Est ou des ex-Républiques soviétiques ont bénéficié de l’aide de nombreuses organisations américaines d’« exportation » de la démocratie comme l’USAID (United States Agency for International Development), la NED (National Endowment for Democracy), l’IRI (International Republican Institute), le NDI (National Democratic Institute for International Affairs), Freedom House et l’OSI (Open Society Institute). Ces organismes sont financés par le budget américain ou par des capitaux privés américains. À titre d’exemple, la NED est financée par un budget voté par le Congrès et les fonds sont gérés par un conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat American Federation of Labor-Congress of Industrial Organization (AFL-CIO), alors que l’OSI fait partie de la Fondation Soros, du nom de son fondateur George Soros, le milliardaire américain, illustre spéculateur financier [3].

Il a été montré que ces mêmes organismes ont aidé, formé et réseauté les cyberdissidents arabes impliqués dans le fameux « printemps » qui a balayé leurs pays [4]. On retrouve aussi les « empreintes » de ces organismes dans les évènements de Téhéran (Révolution verte – 2009) [5], de l’Euromaïdan (Ukraine – 2013/2014) [6] et, un peu plus récemment, à Hong Kong (révolution des parapluies - 2014) [7].

 

La révolution du Cèdre

Selon certains, le plus grand succès de CANVAS dans la région MENA (Middle East and North Africa) est certainement le Liban (Révolution du Cèdre – 2005) et son plus grand échec, l’Iran [8]. C’est ce qui explique pourquoi Popovic avait fièrement mentionné le Liban comme un trophée dans son tableau de chasse « révolutionnaire » et ne pipa aucun mot sur l’Iran.

La révolution du Cèdre a été un prélude au « printemps » arabe et, ainsi, le premier pays arabe à connaître cette « saison » fut le Liban. Cette série de manifestations admirablement bien orchestrées au début de l’année 2005 revendiquait, entre autres, le retrait des troupes syriennes après l’assassinat, le 14 février 2005, du Premier ministre libanais de l’époque, Rafiq Hariri.

Néanmoins, Sharmine Narwani explique, dans un article détaillé sur le sujet, que cette « révolution » avait été planifiée environ un an avant la mort de Hariri. La cellule de décision comprenait un noyau d’activistes formé par un trio d’amis : Eli Khoury, un expert en communication et marketing chez Quantum et Saatchi & Saatchi, Samir Kassir, un essayiste qui dirigeait le Mouvement de la gauche démocratique (MGD) formé en septembre 2004 et le journaliste Samir Frangieh [9].

Ajoutons à cela les noms d’autres activistes qui ont joué un important rôle : Nora Joumblatt (l’épouse du leader druze, Walid Joumblatt), Asma Andraous (membre du groupe 05AMAM, créé après le 14 février 2005), Gebran Tueni (à l’époque, directeur du journal An-Nahar) et Michel Elefteriades (musicien, producteur et homme d’affaires gréco-libanais).

 

Eli Khoury Samir Kassir Samir Frangieh

Nora Joumblatt Asma Andraous Michel Elefteriades


L’étroite relation entre les activistes de la révolution du Cèdre et les organismes américains de promotion de la démocratie a souvent été mentionnée.

En effet, le New York Post a rapporté (en 2005) que, selon des sources du renseignement américain, la CIA et d'autres services de renseignement européens ont donné de l’argent ainsi que du soutien logistique aux organisateurs des manifestations anti-syriennes pour accroître la pression sur le président syrien Bachar Al-Assad et afin de le contraindre à quitter complètement le Liban. Selon ces sources, ce programme secret était similaire à ceux que la CIA avait précédemment mis en place pour aider les mouvements pro-démocratiques en Géorgie et en Ukraine et qui avaient également mené à des manifestations pacifiques impressionnantes [10].

Certains activistes, comme Bassem Chit (décédé en 2014), ont reconnu avoir été contactés par Freedom House dans le but de « financer des mouvements de jeunesse pour aider au processus de démocratisation ». Selon Bassem Chit, Jeffrey Feltman, l’ambassadeur américain à l’époque, a invité un grand nombre de dirigeants du mouvement anti-syrien à des dîners et ce, durant la révolution du Cèdre. Il affirme aussi que l'ambassade américaine a également été directement impliquée dans la fomentation des manifestations anti-syriennes [11].

Sharmine Narwani précise dans son article précédemment cité que Gebran Tueni était en contact avec Frances Abouzeid, directrice de Freedom House à Amman (Jordanie). C’est sur ses conseils que Tueni a fait venir les formateurs de CANVAS à Beyrouth. Il est important de noter que Freedom House est le principal bailleur de fonds du centre de formation serbe.

Les serbes de CANVAS ont formé les activistes libanais en utilisant les locaux du journal An-Nahar. Ivan Marovic, le cofondateur de CANVAS, avait lui-même assuré des cours de formation à la résistance non-violente.

Michel Elefteriades a rencontré Ivan Marovic et ses collègues bien avant le 14 mars 2005 : « Gebran Tueni m’a appelé et il m’a dit que je devrais donner un coup de main à un groupe de Serbes qui venaient nous aider. Ils avaient l’air hyper-professionnels par rapport à ce qu’ils voulaient faire. Je voyais leur influence dans tout ce qui se passait. C’étaient des spécialistes des révolutions de couleur ». Et d’ajouter : « Puis ils ont commencé à nous dire ce qu’il fallait faire ou non. Je les accompagnais à des réunions avec les médias – rien que des médias internationaux – et ils coordonnaient les choses avec eux. Ils se connaissaient tous très bien […]. Ils nous ont donné une liste de slogans qui devaient être diffusés par les télévisions occidentales. Ils nous ont dit, à nous et aux journalistes occidentaux, où mettre les banderoles, quand les brandir en l’air, et même la taille qu’elles devaient avoir. Par exemple, ils demandaient aux journalistes de les prévenir des créneaux horaires où ils allaient passer, puis ils nous disaient de régler nos montres et de brandir nos pancartes juste à 15h05, en fonction du moment où les chaînes télévisées retransmettaient en direct depuis Beyrouth. C’était une mise en scène totale » [12].

 

Ivan Marovic (Otpor)

 

De son côté, Asma Andraous affirme que « toutes les organisations américaines pour la démocratie étaient là. Ils ont appris aux jeunes comment mobiliser, comment garder les militants occupés, ils étaient très enthousiastes » [13].

Certains activistes ont déclaré s’être éloignés ou avoir gardé leurs distances vis-à-vis des organismes américains ou proaméricains de promotion de la démocratie. C’est le cas de Michel Elefteriades qui aurait refusé de continuer à travailler avec les formateurs de Canvas ou de Bassem Chit qui aurait décliné les généreuses offres de Freedom House. D’autres ont essayé de minimiser le rôle de ces organismes ou de prétendre qu’ils ne soient intervenus que tardivement [14].

Néanmoins, le modus operandi de la révolution du Cèdre suit minutieusement le procédurier des révolutions colorées orchestrées par CANVAS. Parmi les 199 méthodes d’actions non violentes listées dans le manuel de CANVAS (distribué gratuitement sur Internet), on peut citer, par exemple, celle qui porte le n°33 : « La fraternisation avec l’ennemi » qui s’exprime sur le terrain par la distribution de fleurs aux forces de l’ordre (en général par le biais de jeunes et jolies jeunes filles) [15].  Cette méthode a été observée dans toutes les révolutions colorées, dans les pays arabes « printanisés » ainsi que dans les rues de Hong Kong, lors de la révolution des parapluies [16].

 

Jeune fille distribuant des fleurs aux forces de l'ordre libanaises (Février 2005)

Serbie (2000) Ukraine (2004)

Tunisie (2011) Égypte (2011)

Distribution de fleurs aux forces de l'ordre selon la méthode d’action non violente n°33 de CANVAS

D’autre part, Aleksandar Maric, l’ex-activiste d’Otpor et formateur de CANVAS n’a-t-il pas déclaré que son organisation avait établi des contacts avec les dissidents libanais et ce, avant la révolution du Cèdre [17] ? Cette précision a le mérite de corroborer les dires de Sharmine Narwani sur la planification de la « révolution » bien avant l’assassinat de Hariri.

En outre, tout le monde aura remarqué que le « Mouvement du 14 Mars », coalition de forces opposées à la Syrie créée après le meurtre du Premier ministre libanais, a choisi comme logo le poing d’Otpor légèrement modifié par l’ajout d’une branche verte.

Rappelons que le poing d’Otpor a été largement utilisé lors des différentes révolutions colorées et des manifestations qui ont accompagné le « printemps » arabe [18].

 

Logo du "Mouvement du 14 mars" libanais

 

Quelques exemples d'utilisation du poing d'Otpor: Serbie (Otpor), Égypte (Mouvement du 6 avril), Géorgie (Kmara)

 

Il est curieux de savoir que la dénomination « révolution du Cèdre » n’est pas celle qui a été utilisée à l’origine par les activistes libanais. Les contestataires avaient plutôt opté pour « intifada de l’indépendance », « intifada du Cèdre », « printemps du Liban » ou « printemps du Cèdre ».

Michel Elefteriades raconte que le mot « intifada », qui fait allusion aux révoltes palestiniennes, ne plaisait pas aux spécialistes de CANVAS : « Dès le premier jour, ils me dirent que nous ne devions pas l’appeler notre mouvement ‘l’intifada du Cèdre’, parce qu’on n’allait pas aimer le mot intifada en Occident. Ils disaient que l’opinion arabe n’était pas importante, que ce qui comptait c’était l’opinion occidentale. Alors, ils ont dit aux journalistes de ne pas utiliser le mot intifada » [19]. 

En fait, l’expression « révolution du Cèdre » était plus agréable aux oreilles de l’administration Bush. Selon le journaliste Jefferson Morley du Washington Post, cette appellation a été inventée par Paula J. Dobriansky, la sous-secrétaire d'État à la démocratie et aux affaires internationales (2001-2009) sous les administrations Bush fils. Vantant la politique étrangère du président Bush lors d’une conférence de presse tenue le 28 février 2005, elle a déclaré : « Au Liban, nous voyons un élan grandissant pour une Révolution du Cèdre qui unifie les citoyens de cette nation à la cause de la vraie démocratie et la liberté de l'influence étrangère. Des signes d'espoir couvrent le monde entier et il devrait y avoir aucun doute que les années à venir seront grandes pour la cause de la liberté » [20].

Cette similitude entre l’appréciation de CANVAS et celle de l’administration américaine prouve (une fois de plus) une évidente concertation étant donné que le centre de formation serbe est essentiellement financé par les organisations américaines d’« exportation » de la démocratie, en particulier Freedom House, l’IRI et l’OSI [21].

Il faut signaler que Paula J. Dobriansky est non seulement membre du CA de Freedom House mais aussi titulaire de la Chaire de Sécurité nationale à l’U.S. Naval Academy. Elle est également membre fondatrice du think tank néoconservateur (néocon) « Project for the New American Century » (PNAC) qui a eu une influence considérable sur l’administration Bush fils. Son nom figure parmi les 75 signataires d’une lettre envoyée en août 2013 au président Obama, lui recommandant d’attaquer la Syrie de « Bachar » en l’exhortant de « répondre de manière décisive en imposant des mesures ayant des conséquences significatives sur le régime d’Assad » [22].

On retrouve le nom d’Eli Khoury dans la liste des invités à une conférence internationale sur la « Démocratie et la sécurité » qui s’est tenue à Prague (République Tchèque), du 5 au 6 juin 2007. Cette rencontre a regroupé de nombreuses célébrités dans les domaines de la dissidence, de l’espionnage, de la politique et de la sphère académique. Citons, pêle-mêle, l’ancien Président tchèque Vaclav Havel, l’ancien Premier ministre d’Espagne, Jose María Aznar, le sénateur américain, Joseph Lieberman, l’ancien directeur de Freedom House, Peter Ackerman, l’égérie de la révolution orange et ancienne Premier ministre de l’Ukraine, Ioulia Timochenko ou le « néocon » Joshua Muravchik, lui aussi membre du PNAC  [23]. Dans cette conférence, Khoury a également côtoyé l’activiste égyptien Saad Eddin Ibrahim, le dissident soviétique (actuellement israélien), anticommuniste et sioniste Natan Sharansky et l’opposant russe Garri Kasparov.

 

Paula J. Dobriansky Joshua Muravchik

Saad Eddin Ibrahim est le fondateur du l’« Ibn Khaldoun Center for Development Studies », ONG très généreusement subventionnée par la NED.  Honoré par Freedom House, cet ancien professeur de l’université américaine du Caire a déjà été membre du conseil consultatif du « Project on Middle East Democracy » (POMED), un organisme américain qui travaille de concert avec Freedom House et qui est financièrement soutenu par la NED [24].

Mais ce qui attire l’attention dans cette liste, c’est le très grand nombre de participants de premier plan en provenance d’Israël dont l’ambassadeur de cet état en république tchèque Arie Arazi et son homolgue tchèque Michael Zantovsky, le responsable des affaires économiques de l’ambassade d’Israël aux États-Unis, Ron Dermer ainsi que de nombreux universitaires israéliens.

Néanmoins, le clou de la conférence a été, sans conteste, la présence du président G.W. Bush qui profita de l’occasion pour faire un discours sur la liberté, la démocratie, la dissidence et l’activisme politique [25].

Discours du président G.W. Bush (Czernin Palace, Prague, 5 juin 2007)

La conférence a été organisée par le « Prague Security Studies Institute » (PSSI) et l’« Adelson Institute for Strategic Studies » [26].

Financé, entre autres, par l’OSI, le PSSI compte dans son conseil consultatif James Woolsey, l’ancien directeur de la CIA (et ancien président du CA de Freedom House) et Madeleine Albright, la 64e Secrétaire d’état américaine et, accessoirement, présidente du CA de la NDI [27].

L’« Adelson Institute for Strategic Studies » est un institut de recherche créé par un généreux don de l’« Adelson Family Foundation » (Miriam and Sheldon G. Adelson).  Il est dédié « à l’exploration des défis mondiaux auxquels Israël et l’Occident font face » et à l’étude de sujets tels que ceux qui sont reliés à l’avancement de la liberté et de la démocratie au Moyen-Orient [28]. Mentionnons que Sheldon G. Adelson est un milliardaire américain d’origine juive ukrainienne (comme Natan Sharansky). Considéré comme un des plus grands mécènes de l’État d’ Israël, il finance, à coup de millions de dollars, des voyages de juifs en Israël dans le but de resserrer les liens entre Israël et la diaspora [29]. En effet, la mission primaire de sa fondation tient en une seule ligne : « Renforcer l'Etat d'Israël et le peuple juif » [30]. Selon le journaliste Nathan Guttman, l’idéologie de Sheldon G. Adelson est un mélange de soutien au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, de sympathie pour le mouvement des colons et d'hostilité envers l'Autorité palestinienne [31].

 

Le milliardaire sioniste Sheldon G. Adelson et son "grand" ami Benjamin Netanyahu (Jérusalem, le 12 août 2007)

 

Comment se fait-il qu’Eli Khoury se retrouve dans une conférence aussi prestigieuse, regroupant des présidents, des Premiers ministres, des ambassadeurs, des faucons « néocons », d’illustres dissidents et un club select d’officiels israéliens ? Serait-ce pour le remercier pour son rôle proactif dans la révolution du Cèdre ?

En fait, Eli Khoury n’est pas un inconnu pour l’administration américaine. Le câble Wikileaks « 06Beirut1544_a » nous apprend qu’environ un an avant cette conférence, il était invité à un dîner organisé par l’ambassadeur américain à l’occasion de la visite de Kristen Silverberg, secrétaire d'État adjoint aux organisations internationales. Jeffrey Feltman identifie Khoury comme directeur général de Saatchi & Saatchi (une compagnie publicitaire) et le décrit comme « un stratège de la publicité et un expert créatif » qui a contribué au « branding » de la révolution du Cèdre [32]. En réalité, le rôle de cette compagnie a été tellement important, que certains n’hésitent pas à qualifier la révolution du Cèdre de « révolution Saatchi » [33] ou même, en tenant compte de l’implication des organisations américaines, de « révolution parrainée par l’USAID et Saatchi & Saatchi » [34].

Et ce n’est pas tout. Eli Khoury est cofondateur de la « Lebanon Renaissance Foundation » (LRF), une ONG établie en 2007 à Washington qui se définit comme « un organisme éducatif indépendant, non gouvernemental et non-sectaire dont les fondateurs ont été impliqués à travers leurs propres activités professionnelles dans la promotion de la pratique de la non-violence et de l'activisme démocratique » [35]. On retrouve ainsi, dans cette description, des termes chers aux « prophètes » des révolutions colorées, Srdja Popovic et Gene Sharp.

Cette fondation est une « organisation qui reçoit une partie substantielle de son soutien d'une unité gouvernementale [américaine] ou du grand public » [36]. Après avoir essentiellement reçu des fonds gouvernementaux américains, elle finance, à son tour, différents programmes ou organisations domiciliées au Liban. Citons, par exemple, le « Sustainable Democracy Center », ONG libanaise qui a été financée (entre autres) par l’USAID et la NED (2003 et 2005) [37], ou l’ONG MARCH qui, elle aussi, reçoit directement ou indirectement des subventions provenant de plusieurs organisations pro-démocratie américaines (NED, USAID, etc.). Plus de détails seront donnés sur ces deux ONG libanaises dans la section suivante.

Selon son rapport d’impôt 2013 [38], LRF a financé le « Lebanese Advocacy and Legal Advice Center » (LALAC), un organisme de lutte contre la corruption qui reçoit aussi des fonds du « Center for International Private Enterprise » (CIPE) [39], un des 4 satellites de la NED [40]. Il faut savoir que le centre LALAC est une initiative du « Lebanese Transparency Association » (LTA), une ONG libanaise fondée en 1999 et qui est subventionnée par le CIPE, le NDI, le MEPI et l’OSI [41]. Le MEPI (Middle East Partnership Initiative) est un programme qui dépend directement du Département d'État des États-Unis, par l’intermédiaire du Bureau des Affaires du Proche-Orient [42].

Finalement, il est important de mentionner que Samir Kassir et Gebran Tueni n’ont malheureusement pas eu l’opportunité de participer au dîner de l’ambassadeur Feltman, ni à la conférence internationale sur la « Démocratie et la sécurité » : ils ont été assassinés, respectivement, le 2 juin 2005 et le 12 décembre 2005.

 

Beyrouth et la « ligue arabe du Net »

Comme dans le cas de l’Ukraine après la révolution orange [43], les organisations américaines d’« exportation » de la démocratie n’ont pas quitté le Liban après la révolution du Cèdre, bien au contraire. Les rapports de la NED montrent, qu’entre 2005 et 2014, cet organisme a distribué plus 7 millions de dollars aux ONG libanaises. Entre 2005 et 2012, le NDI a reçu à lui tout seul plus de 2 millions de dollars pour financer ses activités au Liban.

La formation et le réseautage des cyberactivistes arabes a conduit à la création de ce que le journaliste français Pierre Boisselet a nommé la « ligue arabe du Net » [44]. De nombreuses rencontres entre les activistes-blogueurs arabes ont été organisées avant et après le « printemps » arabe. Les deux premiers « Arab Bloggers Meeting » ont eu lieu à Beyrouth. Le premier (du 22 au 24 août 2008) a réuni 29 blogueurs provenant de 9 pays arabes (Liban, Égypte, Tunisie, Maroc, Arabie Saoudite, Bahrein, Palestine, Irak et Syrie) [45]. Lors du second meeting, qui s’y est déroulé du 8 au 12 décembre 2009, le nombre de cyberactivistes arabes a dépassé les 60 [46]. S’y sont rencontrés les « vedettes » arabes du Net : les Tunisiens Sami Ben Gharbia, Slim Ammamou et Lina Ben Mhenni, les Égyptiens Alaa Abdelfattah et Wael Abbas, le Mauritanien Nasser Weddady, le Bahreïni Ali Abdulemam, le Marocain Hisham AlMiraat (alias Khribchi), le soudanais Amir Ahmad Nasr, la syrienne Razan Ghazzaoui, etc [47].

 

Slim Amamou et Lina Ben Mhenni (3e "Arab Bloggers Meeting", Tunis 2011)

 

 

Razan Ghazzaoui, Alaa Abdelfattah et Ali Abdulemam (Budapest 2008)

 

 

Sami Ben Gharbia Alaa Abdelfattah Wael Abbas Nasser Weddady

Ali Abdulemam Hisham AlMiraat Amir Ahmad Nasr Razan Ghazzaoui

 

Bien que les deux meetings aient été organisés par le « Heinrich Böll Stiftung » [48], l’OSI de Soros a cofinancé le second [49]. À noter l’intéressante participation aux ateliers de formation de l’« illustre » Jacob Appelbaum dans la seconde édition (2009). Sa présentation traitait de contournement, de sécurité et d’anonymat en ligne [50]. Pour les non-initiés, Jacob Appelbaum est un « hacktivist » qui représente la face publique de l’entreprise américaine qui développe TOR, un logiciel qui permet la navigation anonyme sur Internet et, ainsi facilite le contournement de la surveillance et de la censure étatiques. Appelbaum voyage à longueur d’année pour rencontrer des cyberdissidents à travers le monde et leur montrer comment utiliser gratuitement le produit TOR. Pour avoir une idée de l’utilisation du programme TOR, il faut savoir qu’il a été téléchargé plus de 36 millions de fois au cours de l’année 2010 seulement [51].

Jacob Appelbaum (3e "Arab Bloggers Meeting", Tunis 2011)

 

La révolution des « ordures »

La série de manifestations qui a eu lieu au Liban durant l’été 2015 a été baptisée « crise des déchets » par certains, révolution des « ordures » ou des « poubelles » par d’autres. Elle s’est déclenchée à la suite d’un problème de ramassage et de gestion d’ordures, mais les revendications des manifestants ont rapidement viré à la contestation du gouvernement et à la dénonciation de la corruption et de la faillite de l’État.

 

Des manifestants du mouvement "Vous puez!" préparent des pancartes (Beyrouth, le 29 août 2015)

Notez que Ghandi a aussi été le "mentor" des activistes d'Otpor et l'inspirateur de Gene Sharp

Le collectif citoyen créé dans la foulée de ces manifestations a été baptisé « Vous puez !» (Tal3at Rihatkom, en arabe). Ce nom court et percutant correspond merveilleusement bien aux méthodes préconisées par CANVAS. Il s’inscrit dans la même veine que le « Otpor » serbe (Résistance), le « Kmara » géorgien (C’est assez !) ou le « Pora » ukrainien (C’est l’heure).

Parmi les leaders les plus médiatisés de ce mouvement de contestation, on peut citer Imad Bazzi, Marwan Maalouf, Assaad Thebian et Lucien Bourjeilly.

Imad Bazzi

 

Imad Bazzi est un cyberactiviste libanais très impliqué dans la blogosphère arabe. Selon le chercheur Nicolas Dot-Pouillard, Bazzi a été proche des activistes d’Otpor et un fervent partisan du retrait syrien en 2005 [52]. Faisant partie lui aussi de la « ligue arabe du Net », il reconnait avoir étroitement travaillé avec les cyberdissidents syriens. « Il est normal que quelqu'un en Syrie veuille aider quelqu'un en Égypte, et que quelqu'un en Tunisie veuille aider quelqu'un au Yémen » a-t-il déclaré. « Nous partageons les mêmes problèmes, nous souffrons tous de la corruption locale, de l'absence de la règle de droit et l'absence de démocratie » [53].

Bazzi a participé à différentes conférences dédiées au cyberactivisme. Dans l’une d’entre elle (2010), il côtoya les cyberactivistes égyptiens du « Mouvement du 6 avril » qui ont joué un rôle indéniable dans la chute du président Moubarak (Bassem Samir, Israa Abdel Fattah,..) et dont les activités étaient financées par de nombreuses organisations américaines de promotion de la démocratie [54]. Cette conférence était co-sponsorisée par Google et Freedom House [55].

En 2011, l’université américaine de Beyrouth a organisé la 16e conférence annuelle de l’« Arab-US Association of Communication Educators » (AUSACE) [56]. Dans cette rencontre financée par l’OSI de Soros, Imad Bazzi était jumelé à Sami Ben Gharbia dans le même panel. Rappelons que Sami Ben Gharbia, cofondateur du site Nawaat, est un cyberactiviste tunisien de premier plan qui a été très impliqué dans la « printanisation » de la Tunisie [57].

Soulignons qu’Imad Bazzi a aussi été « program fellow » de Freedom House [58] et chef de projet du « Sustainable Democracy Center » cité précédemment [59].

Le 5 septembre 2011, soit quelques mois après la chute de Moubarak, Bazzi a été arrêté par la police égyptienne à l’aéroport du Caire. Il a déclaré à la fondation « Maharat » (une ONG libanaise financée par la NED qui milite pour les droits des journalistes [60]) qu’il s’y rendait pour travailler comme consultant pour une institution. Il a été détenu pendant plus de dix heures pendant lesquelles il fut questionné sur ses relations avec les cyberactivistes égyptiens comme Wael Abbas. Il a été par la suite expulsé vers Beyrouth [61].

Pour terminer le portrait, signalons qu’Imad Bazzi est membre du forum « Fikra », un forum créé par le lobby américain pro-israélien. Parmi les participants, on y trouve de nombreux cyberactivistes arabes, tels Bassem Samir, Israa Abdel Fattah ou Saad Eddin Ibrahim et les dissidents Syriens Radwan Ziadeh et Ausama Monajed (anciens membres du Conseil national syrien - CNS). Il va sans dire que tous ces « contributeurs » sont financés par les organismes américains d’« exportation » de la démocratie [62]. On y trouve aussi les noms de faucons « néocons » comme Joshua Muravchik (anciens collègues de Paula J. Dobriansky) et même celui du Dr. Josef Olmert, frère de l'ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert [63].

 

1- Bassem Samir; 2- Sherif Mansour (Freedom House); 3- Saad Eddin Ibrahim; 4- Dalia Ziada (cyberactiviste égyptienne membre de Fikra); 5- Israa Abdel Fattah

 

Marwan Maalouf est une des principales figures du mouvement « Vous puez ! ». Selon plusieurs observateurs, il aurait participé, en 2005, aux manifestations de la révolution du Cèdre au sein d’un mouvement estudiantin [64]. Par la suite, son parcours a été imprégné de militantisme « made in USA », jugez-en.

En effet, de 2008 à 2011, il a été administrateur de programme pour Freedom House à Washington, chargé de la région MENA, tout particulièrement de la Syrie, la Tunisie et l’Algérie. Il s’est ensuite installé en Tunisie (de 2012 à 2013) pour diriger l’« Institute for War and Peace Reporting » (IWPR) [65]. Cet institut qui « soutient les reporters locaux, les journalistes citoyens et des militants de la société civile » et contribue « à la paix et la bonne gouvernance en renforçant la capacité des médias et la société civile de prendre la parole » [66] est financé par plusieurs organismes dont la NED, l’USAID et le Département d’État (via l’ambassade des États-Unis à Tunis et le programme MEPI) [67].

 

Marwan Maalouf, après avoir été évacué par la force, avec ses camarades avec qui il avait investi le siège du ministère de l’Environnement (Beyrouth, le 1er septembre 2015)

Marwan Maalouf est cofondateur de l’institut de recherche « Menapolis » spécialisé dans la gouvernance et le développement dans la région MENA. Parmi ses « experts » figure le nom d’Imad Bazzi et, parmi ses clients, on trouve (bien entendu) l’IWPR, Freedom House et le MEPI [68].

Selon Martin Armstrong, journaliste britannique basé à Beyrouth, Assaad Thebian est le cofondateur et porte-parole du mouvement « Vous puez !» ainsi que le principal organisateur des manifestations actuelles [69].

 

Assaad Thebian (Beyrouth, le 28 août 2015)

 

Le profil « LinkedIn » d’Assaad Thebian montre qu’il fait partie du groupe (privé) des « anciens » du MEPI (chapitre du Liban) [70]. Sur la description de ce groupe, on peut lire : « MEPI, un programme du département d'Etat [américain], est actif dans toute la région. Le réseau des anciens comprend plus de 128 participants à des programmes de MEPI. Le réseau fournit une avenue pour les anciens élèves à poursuivre leurs efforts pour renforcer la société libanaise. MEPI se concentre sur quatre domaines distincts ou « piliers » : la démocratie, l'éducation, l'économie et l'autonomisation des femmes. Le chapitre libanais du réseau des anciens comprend des individus de diverses origines qui ont participé à une série de programmes dans les quatre domaines. […] Avec le lancement du chapitre libanais du réseau des anciens, les différentes compétences que les individus ont acquises peuvent être utilisées pour permettre une participation active continue au Liban » [71].

Le 29 janvier 2014, l’association libanaise des « anciens » du MEPI a organisé un évènement à Beyrouth, en présence de l’ambassadeur étasunien au Liban, M. David Hale. Il s’agissait, à l’occasion du 10e anniversaire du MEPI, d’« honorer les réalisations exceptionnelles » de dix « anciens » du chapitre libanais. Évidemment, Assaad Thebian faisait partie du groupe [72]. À ce titre, un trophée sur le pupitre, il prit la parole pour lancer quelques flèches vers le gouvernement libanais, sous les applaudissements de M. Hale [73]. Un prélude à la révolution des « ordures » ?

Discours d'Assaad Thebian lors du 10e anniversaire du MEPI (Le Royal Dbayeh, Beyrouth, 29 janvier 2014)

Depuis 2011 jusqu’aujourd’hui, Thebian œuvre comme consultant en medias numériques et communication. Parmi ses clients figurent de nombreuses ONG telles que la « Lebanese Association for Democracy of Elections » (LADE) et la « Civil Campaign for Electoral Reform » (CCER) [74]. Un bref coup d’œil sur le site du NDI permet de voir que cet organisme d’« exportation » de la démocratie a un partenariat de 17 ans avec la LADE et travaille étroitement avec la CCER [75].

Contrairement aux autres leaders du mouvement « Vous puez ! », Lucien Bourjeily est un homme d’art. Écrivain et réalisateur, il a été choisi en 2012 par CNN comme l’une des 8 personnalités culturelles les plus importantes du Liban [76].

En 2013, il défia le gouvernement libanais avec une pièce de théâtre qui critique sévèrement la censure étatique. La pièce intitulée « Bto2ta3 Aw Ma Bto2ta3 » (littéralement « Tu coupes ou te ne coupes pas ? ») a été interdite de présentation publique par le bureau de la censure, ce qui lui a valu une immense publicité. En 2014, Bourjeily a encore eu des problèmes avec les autorités libanaises pour une histoire de renouvellement de passeport, incident qui a agité la blogosphère [77].

 

Lucien Bourjeilly après avoir obtenu son passeport libanais (23 mai 2014)

 

La pièce de théâtre en question a été produite par l’ONG « MARCH » (citée auparavant en relation avec Eli Khoury) qui a pour mission « d’éduquer, de motiver et de responsabiliser les citoyens à reconnaître et à se battre pour leurs droits civils fondamentaux, élever une société libanaise ouverte tolérante afin de favoriser la diversité et l'égalité et de parvenir à une véritable réconciliation entre les différentes communautés ». Cette organisation est conjointement financée par la NED [78], l’USAID, SKeyes Media et Maharat [79].

Le rapport annuel 2014 de la NED indique clairement que la tâche de MARCH est de « monter une production de " Bto2ta3 Aw Ma Bto2ta3" et de documenter les efforts pour obtenir l’approbation d’une pièce vis-à-vis de la censure » [80]. Mission accomplie : l’interdiction de la pièce a été levée le 25 septembre 2014 et la nouvelle fut fortement médiatisée [81].

SKeyes est l’acronyme stylisé de « Samir Kassir Eyes » (les yeux de Samir Kassir, le leader de la révolution du Cèdre). Ce centre a été fondé à Beyrouth en novembre 2007, suite à l’assassinat de Samir Kassir. Selon ce qui est mentionné sur son site « le centre se veut l’œil de surveillance des violations de la liberté de la presse et de la culture ; il entend également défendre les droits des journalistes et des intellectuels ainsi que leur liberté d’expression » [82]. De nombreux documents montrent que SKeyes est financé par la NED et le NDI [83]. D’autre part, avant d’être Directeur exécutif de SKeyes (depuis 2011), M. Ayman Mhanna avait travaillé pour le NDI comme administrateur principal de programme (2007-2011) [84].

Petite précision : Lucien Bourjeily et Imad Bazzi sont, tous deux, membres du conseil consultatif de MARCH [85].

Les activistes dont il a été question précédemment font partie des figures les plus médiatiques de la révolution des « ordures », mais la liste est loin d’être exhaustive. Néanmoins, le dissident qui fait le lien entre la révolution du Cèdre et celle des « ordures » est très certainement Michel Elefteriades, sorte de « chaînon manquant » du Liban révolutionnaire coloré. Une décennie plus tard, celui qui a fréquenté les spécialistes de la résistance non-violente de CANVAS revient au-devant de la scène de la contestation populaire.

Et d’utiliser le langage d’apparence naïve du « profane » en expliquant la révolution des « ordures » : « C’est une sorte de révolution populaire, un mélange de beaucoup de mouvements - une certaine anarchie dans le bon sens philosophique comme le refus de la centralisation du pouvoir – c’est vraiment un mouvement populaire, donc je ne pense pas qu’il va s’arrêter » a-t-il déclaré.

Et de se contredire un peu plus loin : « il y a des intellectuels et des leaders d'opinion qui surveillent (les protestations). Nous sommes là pour surveiller s’il n'y a pas de glissements, ni d’intrus qui dirigent les manifestations dans une autre direction » [86].

Dans l’élan créé par la révolution des « ordures », Michel Elefteriades a fondé « Harakat El Girfanine » (le mouvement des dégoûtés) [87].  Une preuve qu’il n’a pas oublié les leçons de CANVAS. En effet, le logo de ce mouvement n’est autre que le poing d’Otpor et son nom s’apparente à celui des cyberdissidents soudanais « Girifna » (on est dégoûté) [88].

 

Michel Elefteriades et son "Mouvement des dégoûtés"

Vidéo "promotionnelle" du mouvement dissident soudanais "Girifna"

Cette vidéo est inspirée par celle réalisée par les activistes serbes d'Otpor, quelques années auparavant:

Bien que les multiples revendications du mouvement « Vous puez ! » expriment un réel ras-le bol de la population libanaise, il faut se rendre à l’évidence que les inextricables relations entre les leaders de la révolution des « ordures » et les différentes organisations américaines d’« exportation » de la démocratie ne sont pas anodines. Ces connivences latentes sont le résultat d’un travail de fond qui a précédé la révolution du Cèdre, qui s’est poursuivi jusqu’à ce jour et qui continuera très certainement dans le futur. À l’instar des autres pays arabes, la situation sociopolitique du Liban est un terreau si fertile que n’importe quelle minuscule graine de contestation peut générer un chaos indescriptible. Le « printemps » arabe en est la parfaite illustration.

D’autant plus que le Liban est un pays clef dans l’équation moyen-orientale de par sa proximité avec Israël, sa relation géopolitique avec l’exsangue Syrie et la présence d’un irritant majeur pour les Occidentaux : le Hezbollah.

Finalement, il est intéressant de faire le parallèle entre le Liban et l’Ukraine. À environ une dizaine d’années d’intervalle, ces deux pays ont été le théâtre de deux révolutions « noyautées » ; leurs populations ne présentent pas d’uniformité nationale (ethnique, cultuelle ou linguistique) ; ils sont géographiquement situés à proximité de pays de grande importance politique pour l’Occident (Israël/Syrie d’un côté et Russie de l’autre) de sorte qu’ils peuvent être utilisés comme chevaux de Troie pour l’atteinte d’objectifs géostratégiques.

Les révolutions orange (2004) et du Cèdre (2005) ont été parmi les plus grands succès de CANVAS. L’implication « planifiée » de violents groupes néonazis lors de l’Euromaïdan (2013-2014) a engendré des bouleversements dramatiques en Ukraine.

Au Liban, des relents « colorés » s’exhalent des monceaux de détritus qui jonchent les rues. Et une question se pose : de quoi va « accoucher » la révolution des « ordures » ?

 

Références

  1. Journeyman Pictures, Documentaire « The Revolution Business », date de sortie : 27 mai 2011, Production ORF, Ref. : 5171, http://journeyman.tv/62012/short-films/the-revolution-business.html
  2. Ahmed Bensaada, « Arabesque américaine : Le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe », Éditions Michel Brûlé, Montréal (2011), Éditions Synergie, Alger (2012).
  3. Ibid.
  4. Ibid.
  5. William J. Dobson, « The Dictator's Learning Curve: Inside the Global Battle for Democracy », Random House Canada Limited, Toronto, 2012.
  6. Ahmed Bensaada, « Ukraine : autopsie d’un coup d’état », Reporters, 10 mars 2014, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=257:ukraine-autopsie-dun-coup-detat&catid=48:orientoccident&Itemid=120
  7. Ahmed Bensaada, « Hong Kong : un virus sous le parapluie », Reporters, 14 octobre 2014, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=294:hong-kong-un-virus-sous-le-parapluie&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
  8. Tina Rosenberg, « Revolution U », Foreign Policy, 16 février 2011, http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/02/16/revolution_u
  9. Sharmine Narwani, « Ten years on, Lebanon's 'Cedar Revolution'», RT, 13 mars 2015, http://www.rt.com/op-edge/240365-lebanon-revolution-anniversary-cedar-2005/
  10. Niles Lathem, « Give Us Leb-erty! Protesters Slam Syria In Massive Beirut Rally», New York Post, 8 mars 2005, http://nypost.com/2005/03/08/give-us-leb-erty-protesters-slam-syria-in-massive-beirut-rally/
  11. Bassem Chit, « Lebanon: Some Things That Money Can't Buy », Socialist Review, n°306, mai 2006, http://socialistreview.org.uk/306/lebanon-some-things-money-cant-buy
  12. Voir référence 9
  13. Ibid.
  14. Rita Chemaly, « Le printemps 2005 au Liban : Entre mythes et réalités », L'Harmattan, Paris, janvier 2009.
  15. BBC News, « In Pictures : Beyrouth Protest », 28 février 2005, http://news.bbc.co.uk/2/hi/in_pictures/4304639.stm
  16. Voir référence 7
  17. Milos Krivokapic, « Les faiseurs de révolutions : entretien avec Aleksandar Maric », Politique internationale, n°106, hiver 2004-2005, http://www.politiqueinternationale.com/revue/read2.php?id_revue=20&id=77&content=texte&search=
  18. Voir référence 2
  19. Voir référence 9
  20. Ibid.
  21. Ahmed Bensaada, « Arabesque$: Enquête sur le rôle des États-Unis dans les révoltes arabes », Éditions Investig’Action, Bruxelles, 2015, chap.1
  22. Ahmed Bensaada, « Syrie : le dandy et les faucons », 15 septembre 2013, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=234:syrie-le-dandy-et-les-faucons&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
  23. Democracy & Security International Conference, « List of participants », Prague 5-6 juin 2007, http://www.democracyandsecurity.org/doc/List_of_Participants.pdf
  24. Voir référence 21, chap. 4
  25. FORA TV, « George W. Bush on Democracy and Security », http://library.fora.tv/2007/06/05/George_W__Bush_on_Democracy_and_Security
  26. Democracy & Security International Conference, « Organizers », Prague 5-6 juin 2007, http://www.democracyandsecurity.org/organizers.htm
  27. Prague Security Studies Institute , « International Advisory Board », http://www.pssi.cz/pssi-boards/international-advisory-board
  28. Voir référence 26
  29. Ynet News, « Richest US Jew pledges USD 25 million to Taglit - birthright Israel », 2 juin 2007, http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3361888,00.html
  30. Adelson Family Foundation, « Welcome », http://www.adelsonfoundation.org/AFF/index.html
  31. Nathan Guttman, « Sheldon Adelson Is a Philanthropist Like No Other », Forward, 3 novembre 2014, http://forward.com/news/israel/208220/sheldon-adelson-is-a-philanthropist-like-no-other/
  32. WikiLeaks, « Câble 06BEIRUT1544_a », https://www.wikileaks.org/plusd/cables/06BEIRUT1544_a.html
  33. Michael Emerson et Senem Aydın, « Democratisation in the European Neighbourhood », CEPS, Bruxelles, 2005, p. 3.
  34. Nabil Chehade, « Political Illustration : Lebanon and Beyond - Interview of Daniel Drennan », Design Altruism Project, 7 décembre 2011, http://design-altruism-project.org/2011/12/07/political-illustration-lebanon-and-beyond/
  35. Lebanon Renaissance Foundation, « Who We Are », http://www.lebanonrenaissance.org/whoweare
  36. Melissa Data, « Lebanon Renaissance Foundation », http://www.melissadata.com/lookups/np.asp?mp=p&ein=910190501
  37. SourceWatch, « Sustainable Democracy Center », http://www.sourcewatch.org/index.php/Sustainable_Democracy_Center
  38. ProRepublica, « Research Tax-Exempt Organizations - Lebanon Renaissance Foundation », https://projects.propublica.org/nonprofits/organizations/910190501
  39. Lebanon Renaissance Foundation, « Education », http://www.lebanonrenaissance.org/alteducation
  40. Voir référence 21, chapitre 2.
  41. The Libanese Transparency Association, « Annual Report 2008-2009 », http://transparency-lebanon.org/Modules/PressRoom/Reports/UploadFile/5719_31,07,YYannualreport.pdf
  42. Pour plus d’informations sur le MEPI, voir référence 21, chapitre 5.
  43. Voir référence 6
  44. Pierre Boisselet, « La “ligue arabe” du Net », Jeune Afrique, 15 mars 2011, http://www.jeuneafrique.com/192403/politique/la-ligue-arabe-du-net/
  45. Heinrich-Böll-Stiftung, « First Arab Bloggers Meeting 2008 », 22-24 août 2008, http://ps.boell.org/en/2013/11/05/first-arab-bloggers-meeting-2008-democracy
  46. Heinrich-Böll-Stiftung, « Second Arab Bloggers Meeting 2009 », 8-12 décembre 2009, http://lb.boell.org/en/2014/03/03/second-arab-bloggers-meeting-statehood-participation
  47. Pour voir les photos du « Second Arab Bloggers Meeting 2009 », https://www.flickr.com/groups/1272165@N24/pool/with/4193262712/
  48. Pour connaitre la relation entre les « Stiftung » allemands et la NED, voir référence 21, chapitre 2.
  49. Heinrich-Böll-Stiftung, « Bloggers meeting report 2009 - Blogging out of Repression and Passivity, into Democracy and Change », 8-12 décembre 2009, https://lb.boell.org/sites/default/files/downloads/Bloggers_Meeting_Report_2009.pdf
  50. Global Voices Advocacy, « Interview with Jacob Appelbaum from TOR », 14 décembre 2009, https://advocacy.globalvoicesonline.org/2009/12/14/interview-with-jacob-appelbaum-from-tor/
  51. Pour une discussion plus approfondie sur TOR, voir référence 21, chapitre 3.
  52. Nicolas Dot-Pouillard, « Une « révolution des ordures » au Liban ? », ORIENT XXI, 2 septembre 2015, http://orientxxi.info/magazine/une-revolution-des-ordures-au-liban,1005
  53. Alia Ibrahim, « Arab cyberactivists rapidly gain traction as crises continue », Al Arabiya News, 9 avril 2011, http://english.alarabiya.net/articles/2011/04/09/144862.html
  54. Pour une discussion plus approfondie sur les cyberactivistes égyptiens, voir référence 21, chapitre 4.
  55. IkhwanWeb, « Blogging Truth to Power in the Middle East », 3 mars 2010, http://www.ikhwanweb.com/article.php?id=23498
  56. AUSACE 2011, « Conference Program- Digital and Media Literacy: New Directions », 28-31 octobre 2011, https://docs.google.com/spreadsheet/pub?hl=en_US&hl=en_US&key=0AkRlm628pZ6ddG9QbDdzbHNxajY4aktkMmp1UWNwNVE&single=true&gid=3&range =A1%3AB250&output=html
  57. Mezri Haddad, « La face cachée de la révolution tunisienne », Éditions Apopsix, Paris, 2011.
  58. Fikra Forum, « Imad Bazzi », http://fikraforum.org/?page_id=1783&lang=en&cid=62
  59. LinkedIn, « Imad Bazzi – Anchor at Aljadeed FM », https://www.linkedin.com/pub/imad-bazzi/24/454/9b3
  60. NED, 2014 Annual Report « Lebanon », http://www.ned.org/region/middle-east-and-northern-africa/lebanon-2014/
  61. Maharat Foundation, « Lebanese blogger arrested in Egypt, deported to Beirut », 12 septembre 2011, http://www.ifex.org/lebanon/2011/09/12/bazi_denied_entry/
  62. Ahmed Bensaada, « Les activistes du « printemps » arabe et le lobby pro-israélien », Reporters, 26 septembre 2013, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=238:les-activistes-du-l-printemps-r-arabe-et-le-lobby-pro-israelien&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
  63. Ibid.
  64. Scarlett Haddad, « Marwan Maalouf, la tête dans les nuages et les pieds sur terre », L’Orient le Jour, 4 septembre 2015, http://www.lorientlejour.com/article/942496/marwan-maalouf-la-tete-dans-les-nuages-et-les-pieds-sur-terre.html
  65. LinkedIn, « Marwan Maalouf – Human Right Lawyer », https://www.linkedin.com/pub/marwan-maalouf/1a/722/856
  66. IWPR, « What we do », https://iwpr.net/what-we-do
  67. IWPR, « Donors/Funders », https://iwpr.net/about-us/supporters
  68. Menapolis, « Clients », http://menapolis.net/clients.php
  69. Martin Armstrong, « Thousands rally in Beirut as trash piles up », Middle East Eye, 30 août 2015, http://www.middleeasteye.net/news/thousands-demonstrate-beirut-government-reforms-639890316
  70. LinkedIn, « Assaad Thebian - Marketing & Digital Media Consultant », https://www.linkedin.com/in/assaadthebian
  71. LinkedIn« MEPI Alumni Lebanon Chapter », https://www.linkedin.com/groups?gid=3662444&goback=%2Enppvan_assaadthebian&trk=prof-groups-membership-logo
  72. Kesserwen, « MEPI LAA Newsletter », 30 janvier 2014, http://www.kesserwen.org/n/news.php?id=37804
  73. YouTube, « Assaad Thebian: MEPI LAA Annual Dinner Speech », 29 février 2014, https://www.youtube.com/watch?v=b2D2G_edbYk
  74. United Nations Alliance of Civilizations, « Digital Tools for Newsgathering and Reporting Across Cultures Training Participant Bios », Avril 2013, http://www.unaoc.org/wp-content/uploads/Digital-Tools-Training-Participant-Bios.pdf
  75. NDI, « Where We Work - Lebanon », https://www.ndi.org/lebanon
  76. Kesserwen, « 8 leading lights in Lebanese culture », 18 août 2012, http://www.kesserwen.org/n/news.php?id=22592
  77. Nour Braïdy, « l’acteur Lucien Bourjeily récupère son passeport et crie victoire », Asdaa’, 24 mai 2014, http://asdaa.eu/2013-10-30-12-58-41/18-2013-10-31-11-02-33/808-l-acteur-lucien-bourjeily-recupere-son-passeport-et-crie-victoire
  78. Voir référence 60
  79. MARCH, « Resources – Partners », http://www.marchlebanon.org/en/Resources-Partners
  80. Voir référence 60
  81. Facebook, « MARCH », 16 octobre 2014, https://www.facebook.com/marchlebanon/photos/a.397998033570929.77264.348852438485489/741637102540352/?type=1
  82. SKeyes, « Qui sommes-nous ? », http://www.skeyesmedia.org/fr/Who-We-Are
  83. Voir, par exemple : Frank Smyth, « Animated journalist survival guide looks ahead », Committee to Protect Journalists (CPJ), 22 août 2013, https://cpj.org/blog/2013/08/animated-journalist-survival-guide-looks-ahead.php
  84. LinkedIn, « Ayman Mhanna - Executive Director at Samir Kassir Foundation », https://www.linkedin.com/in/aymangmhanna
  85. MARCH, « Missions and Objectives », http://www.marchlebanon.org/en/About-Us
  86. Elsa Buchanan, « Lebanon You Stink protests: We are not Egypt, claims activist Michel Elefteriades », IBTimes, 25 août 2015, http://www.ibtimes.co.uk/lebanon-you-stink-protests-we-are-not-egypt-claims-activist-michel-elefteriades-1517010
  87. Al Joumhouria, « Michel Elefteriades est “dégoûté et descend se promener à la place des Martyrs” », 24 août 2015, http://www.aljoumhouria.com/news/index/255178
  88. Siavash Golzadeh, « Girifna – a part of Sudan’s non-violent history », Peace Monitor, 10 septembre 2013, http://peacemonitor.org/?p=836

 

Lundi, 14 Septembre 2015 06:58 Ahmed Bensaada                                                                                                                                                                 http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=323:liban-2005-2015-dune-l-revolution-r-coloree-a-une-autre&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Les protestations se poursuivent au sujet du meurtre de George Floyd par la police alors que la violence d’État s’intensifie.

Publié le par S. Sellami

En réponse aux protestations qui ont eu lieu dans plus de 75 villes américaines à la suite du meurtre de George Floyd à Minneapolis, la police de tout le pays a entendu l’appel du président Donald Trump à « s’endurcir et se battre », déclenchant une vague de violence d’État contre les jeunes et les travailleurs de toutes les races et ethnies.

Dans des scènes répétées à travers le pays, des jeunes et des travailleurs non violents ont été gazés, aspergés de poivre de Cayenne, matraqués et abattus avec des balles en caoutchouc par des policiers antiémeutes et des soldats de l’État lourdement armés. Un homme a été tué par balle à Louisville, dans le Kentucky, dimanche soir, après que la police et les troupes de la Garde nationale aient ouvert le feu sur la foule.

Au moins 39 villes dans 16 États et tout l’État de l’Arizona ont imposé un couvre-feu, limitant les déplacements dès 18 heures dimanche soir. Les transports publics sont suspendus dans les grandes villes, telles que Chicago et New York, pendant les heures de couvre-feu.

La police tire des gaz lacrymogènes sur des manifestants pacifiques à San Diego

La Garde nationale a été activée dans environ 26 États et Washington D.C. Des unités de police militaire de l’armée active, dont des soldats de la 10e division de montagne, située à Fort Drum, dans l’État de New York, ont reçu l’ordre de se tenir prêtes à se déployer.

Au moment où nous écrivons ces lignes, des protestations sont en cours dans tout le pays, avec des milliers de personnes rassemblées à Boston Washington D.C.,                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                New York, Seattle et Miami. Le Washington Post rapporte que le président Trump a été brièvement conduit dans un « bunker sécurisé » après qu’un incendie de sous-sol ait éclaté dans l’église historique St. John’s, située en face de la Maison Blanche.

Au cours du week-end, des milliers de personnes ont été arrêtées et jetées dans des prisons surpeuplées, alors que COVID-19 continue de se propager sans contrôle ni suivi dans tout le pays (sic). Rien qu’à Chicago, plus de 1 000 arrestations ont été effectuées.

La ville de New York a fait état de 300 arrestations à partir de samedi, tandis que 500 personnes ont été arrêtées vendredi soir à Los Angeles. Quatre-vingt-quatre personnes ont été arrêtées à Detroit samedi. Des centaines de personnes ont été blessées, nécessitant une hospitalisation, et au moins cinq personnes ont été tuées.

Des éléments d’extrême droite ont tenté d’infiltrer les manifestations afin de provoquer des brutalités policières, de semer le désordre et, dans certains cas, d’attaquer les manifestants. Encouragé par la démagogie de Trump, un propriétaire de bar d’Omaha, Nebraska, identifié par les médias locaux comme Jake Gardner est en garde à vue après avoir assassiné James Scurlock, un manifestant de 22 ans.

Augmentation de violences policières à travers les États-Unis, le week-end du 30 mai 2020

 

Gardner, un vétéran des Marines d’Irak et d’Haïti et un ardent défenseur du Trump, aurait crié des insultes raciales aux manifestants qui défilaient devant son bar pendant les manifestations de samedi. Dans une vidéo de téléphone portable capturée vers 18 heures samedi soir, on peut voir Gardner avancer vers un manifestant à reculons avant que deux coups de feu ne retentissent.

Contredisant le récit de la classe dirigeante, suite à des scènes historiques diffusées dans le monde entier, des manifestants multiraciaux se sont rassemblés par milliers pour manifester pacifiquement contre les meurtres incessants de la police contre les minorités.

À partir de mercredi et tout au long du week-end, des manifestations et des marches ont eu lieu à Minneapolis, Chicago, Detroit, Lansing, Rockford, New York, Syracuse, Philadelphie, Atlanta, Tampa, Milwaukee, Denver, Omaha, La Nouvelle-Orléans, Dallas, Little Rock, Houston, Phoenix, Salt Lake City, Las Vegas, Reno, Seattle, San José, Los Angeles et dans au moins 50 autres villes.

Les protestations ont été très majoritairement accueillies par des provocations policières suivies de violences brutales de la part de l’État. Tenues en armure antiémeute, brandissant massues, boucliers, tasers, macis et « balles moins mortelles », les policiers ont tiré, souvent à bout portant, des bombes lacrymogènes CS de 40 millimètres, des balles en caoutchouc et des balles de paintball sur des manifestants pacifiques, des journalistes et des spectateurs innocents.

Soutenus par la diabolisation par Trump des médias et des journalistes en tant qu' »ennemis du peuple », les reporters et les photographes qui ont tenté de couvrir les manifestations ont été délibérément attaqués et arrêtés par les forces de police. Selon le Comité des reporters pour la liberté de la presse, il y a eu au moins 15 cas confirmés de balles en caoutchouc ou de gaz lacrymogène tirés par la police sur des reporters. Cela inclut la mutilation de la photojournaliste Linda Tirado, qui a été définitivement aveuglée de l’œil gauche après avoir été frappée au visage par une balle en caoutchouc alors qu’elle couvrait les manifestations de Minneapolis le 29 mai.

Dimanche soir, le reporter de NBC Garrett Haake a été atteint d’une balle en caoutchouc à Washington, DC, et un reporter du Wall Street Journal a été battu par la police à New York.

Les services de police qui travaillent de concert avec les agences fédérales et des États, notamment la Garde nationale, les patrouilles douanières et frontalières, les services de l’immigration et des douanes, le Federal Bureau of Investigation, l’Agence de sécurité nationale et l’Agence centrale de renseignement, ont utilisé des véhicules blindés de transport de troupes, des patrouilles à cheval, des drones, des systèmes de localisation par téléphone portable GPS, des hélicoptères et des Humvees pour faire respecter les déclarations de couvre-feu.

La réponse universelle de l’establishment politique, tant démocrate que républicain, a été de dénoncer les protestations comme étant le fait d' »agitateurs extérieurs ».

Trump a qualifié les protestations nationales de l’œuvre de la « gauche radicale » et des « anarchistes dirigés par l’ANTIFA ». Dimanche, Trump a tweeté qu’il allait désigner l’ANTIFA comme une organisation terroriste nationale. Le procureur général William Barr a répété les affirmations non fondées et fausses de Trump selon lesquelles les manifestations étaient « planifiées, organisées et menées par des groupes anarchiques et d’extrême gauche utilisant des tactiques similaires à celles de l’ANTIFA ».

Le gouverneur du Minnesota, Tim Walz, a, au cours des dernières 72 heures, accusé les anarchistes, les tenants de la suprématie blanche et les cartels de la drogue d’être responsables des manifestations en cours. Le maire de Minneapolis, Jacob Frey, a approuvé l’évaluation de Walz lors d’une conférence de presse samedi, tout en envisageant la possibilité d’avoir recours à des « acteurs étrangers ». Tous deux sont démocrates.

S’exprimant dimanche avec Wolf Blitzer de CNN, Susan Rice, conseillère à la sécurité nationale de Barack Obama, a fait remarquer, sans fournir de preuves, qu’elle « ne serait pas surprise d’apprendre qu’ils [la Russie] ont fomenté certains de ces extrémistes des deux côtés en utilisant les médias sociaux ». Je ne serais pas surprise d’apprendre qu’ils le financent d’une manière ou d’une autre ».

Lors d’une apparition télévisée dimanche matin à l’émission « Meet the Press » de NBC, le maire d’Atlanta, Keisha Bottoms, a explicitement attaqué les manifestations d’Atlanta comme étant « inhabituelles » et a souligné la présence d’un grand nombre de personnes blanches, qu’elle a qualifiées d' »étrangers ». Tout au long du week-end, des journalistes ont parlé des manifestations et de la réaction de la police avec les travailleurs, les étudiants et les jeunes de tout le pays.

Minneapolis, Minnesota

Un chauffeur de camion-citerne est en garde à vue dimanche après-midi après avoir foncé dans une foule de 6000 personnes, principalement des jeunes, qui s’agenouillaient sur le pont de l’autoroute 35W pour honorer la vie de George Floyd. Le conducteur a été tiré du véhicule par les manifestants, mais n’a pas été gravement blessé. La police, cependant, est descendue sur le pont et a utilisé des gaz lacrymogènes contre les jeunes qui ont failli être tués.

Une vidéo largement diffusée samedi soir par Tanya Kerresen, qui était assise sur son porche vers 21h30, montre une file de policiers militarisés et de soldats de la Garde nationale avec une escorte en Humvee réparti le long de la rue. Alors qu’ils descendent la rue, la vidéo capte les cris des soldats, qui crient : « Rentrez !

Les Kerresen continuent de filmer alors que le convoi approche. Une fois les troupes devant sa maison, on a entendu un soldat crier « Allumez-les! », suivi par une grêle de balles de peinture, dont l’une a frappé Kerresen.

La même phrase, « Light ’em up », a été utilisée par les pilotes d’hélicoptères de combat américain apache en Irak avant qu’ils n’assassinent des enfants et des journalistes, comme le montre la vidéo « Collateral Murder » publiée par Wikileaks en 2010.

Pittsburgh, Pennsylvanie

Nicholas, un jeune travailleur du centre médical de l’université de Pittsburgh a participé au rassemblement de samedi « pour faire preuve de solidarité ». Il a déclaré : « Je suis blanc, et je pense qu’il est important de s’opposer à la brutalité policière ». Il a poursuivi: « C’était une manifestation puissante et respectueuse. Il y avait des enfants. Beaucoup de gens d’âges et de visages différents ».

La manifestation s’est terminée violemment lorsqu’une personne seule a commencé à vandaliser un seul véhicule de police, qui a été laissé sans surveillance près du groupe de manifestants. Des dizaines de personnes dans la foule ont tenté de dissuader l’homme de détruire le véhicule. Cependant, il a finalement réussi à l’incendier.

Nicholas a déclaré : « Personne ne sait qui était cette personne, et vous pouvez voir beaucoup de gens qui essaient de le faire arrêter. Je trouve étrange qu’une voiture de police soit laissée à elle-même. C’est presque comme si la police était prête à sacrifier une voiture de police pour pouvoir mettre fin à la manifestation ».

Syracuse, New York

Quelque 500 manifestants multiraciaux se sont rassemblés dans le centre-ville, où ils sont restés jusqu’en début de soirée samedi, lorsque la police a commencé à tirer des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène dans la foule. La justification donnée était que des fenêtres avaient été brisées au bâtiment de la sécurité publique. Cependant, il n’a pas été établi qui a exactement brisé les fenêtres.

Reno, Nevada

Un manifestant s’est exprimé sur la nature de la réponse de la police. « À Reno, la police accélère dans ses véhicules en direction des manifestants et pulvérise du poivre sur les gens qui passent sur les trottoirs. Cela rappelle beaucoup les manifestations en gilet jaune en France. Un couvre-feu a été instauré, et j’ai entendu dire qu’ils retiraient les gens de leurs voitures pour avoir violé le couvre-feu en brisant leurs vitres et en les frappant dans leurs véhicules ».

New York City

De nombreuses vidéos virales ont montré des officiers de la police de New York qui battent et poussent les manifestants au sol. L’une d’entre elles montre un flic en train d’arracher le téléphone de la main d’une jeune femme avant de la pousser au sol, lui tapant la tête sur le trottoir, provoquant une commotion cérébrale et une crise. Une autre vidéo montre des véhicules de police de plus de deux tonnes qui tentent de passer au travers de manifestants bloquant une intersection. Le maire démocrate Bill de Blasio a accusé les manifestants, qui se tenaient derrière une barricade de police qui se trouvait devant le VUS, de « converger vers un véhicule de police », qualifiant leurs actions d' »inacceptables ».

Washington D.C.

Des centaines de manifestants devant la Maison Blanche ont affronté la police de Washington, la police du Parc national et des agents des services secrets tout au long du week-end. Samedi soir, plus de 60 agents des services secrets ont été blessés lors d’affrontements avec des manifestants. Finalement, six manifestants ont été arrêtés.

Atlanta, Géorgie

Un jeune couple afro-américain, qui n’a pas participé aux manifestations, a été accosté par la police d’Atlanta avant d’être tassé, battu et arrêté.

Cleveland, Ohio

Samedi soir, la police de Cleveland en tenue antiémeute, soutenue par la Garde nationale, a commencé à tirer des balles au poivre et des balles en caoutchouc sur les manifestants. Afin de mettre fin aux manifestations, la ville a décrété un couvre-feu de 20 heures à 8 heures le lendemain matin. Un deuxième couvre-feu a été imposé dimanche, commençant à midi et se terminant à 8 heures le lundi.

Le shérif du comté de Cuyahoga, David Schilling, a déclaré que 66 personnes ont été arrêtées, dont un nombre non divulgué sera accusé d’avoir aggravé les émeutes, violé le couvre-feu de la ville et porté des accusations moins graves.

Oakland, Californie :

Après les manifestations de vendredi, au cours desquelles 40 personnes soupçonnées de pillage ont été détenues et 17 manifestants arrêtés, les responsables de la ville d’Oakland ont exhorté les gens à rester chez eux. Les manifestations de samedi ont été relativement « très pacifiques et calmes », selon les médias locaux. Les manifestants, selon un média, « ont été suivis par les forces de l’ordre sur le terrain et dans le ciel ».

San Jose, Californie

Les manifestations de vendredi ont attiré des milliers de participants, qui ont défilé pacifiquement avant que la police de San José ne tire des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc dans la foule. Tim Harper, un travailleur de la construction de 40 ans, s’exprimant sur sanjosespotlight.com, a été abattu alors qu’il tentait d’aider à déplacer un enfant qui avait été touché par une balle en caoutchouc. Harper avait déjà aidé à déplacer un officier blessé lors de la manifestation de vendredi.

« J’ai dû venir ici parce que je suis la preuve de la corruption de ces gens », a déclaré Harper. « J’ai aidé l’un d’entre eux à traîner (l’officier) jusqu’à la voiture. Je n’étais pas agressif, j’avais les mains en l’air, et ils m’ont quand même tiré dessus. Peu importe la couleur de votre peau ».

Salt Lake City, Utah

Dans le centre-ville de Salt Lake City, dans l’Utah, des milliers d’ouvriers et de jeunes ont manifesté devant la bibliothèque publique et ont marché jusqu’au Capitole. La manifestation a duré près de 11 heures, s’étendant dans la nuit malgré l’instauration d’un couvre-feu de deux jours et le déploiement de la Garde nationale de l’Utah, y compris des hélicoptères militaires.

La tension s’est accrue en partie à cause des violences de l’extrême droite contre les manifestants. La milice est apparue en brandissant des fusils, une femme a attaqué la foule avec un marteau, et un homme a tenté de tirer sur les manifestants avec un arc à poulie. L’homme a été plaqué, et sa voiture a été retournée et incendiée. Malgré les nombreuses images de ces attaques diffusées par les médias sociaux, les agences de presse locales ont interviewé l’homme qui a tenté de tirer une flèche dans la foule afin de faire passer les manifestants pour violents.

La police antiémeute de Salt Lake City a été filmée en train de jeter au sol un homme âgé avec une canne et de déployer des gaz lacrymogènes contre les manifestants.

Little Rock, Arkansas

Des centaines de personnes se sont rassemblées et ont défilé pacifiquement tout au long de la journée sans qu’aucune arrestation ne soit effectuée. Cependant, une fois la nuit tombée, la réponse du département de police de Little Rock (LRPD) a été de couvrir les manifestants d’un miasme de gaz lacrymogène. Alors que les manifestations se poursuivaient encore samedi, le gouverneur de l’Arkansas, Asa Hutchinson, un républicain, a tweeté : « J’ai ordonné à la police d’État de travailler avec les forces de l’ordre locales pour arrêter les dégâts au Capitole. La Garde nationale sera également disponible ».

Robert Bibeau | 8 juin 2020 à 0 h 00 min | URL : https://les7duquebec.net/?p=255576

https://lavoixdelalibye.com/2020/06/08/les-protestations-se-poursuivent-au-sujet-du-meurtre-de-george-floyd-par-la-police-alors-que-la-violence-detat-sintensifie/

Partager cet article
Repost0

commentaires

Contre « la-démocratie »

Publié le par S. Sellami

JPEG - 50.2 ko Extrait de Metropolis de Fritz Lang, 1927.

Quand Agnès Buzyn annonce aux personnels hospitaliers cette formidable innovation dont elle leur fait la grâce : des postes de beds managers, à quoi avons-nous affaire ? Plus exactement à quel type d’humanité ? Car nous sentons bien que la question doit être posée en ces termes. Il faut un certain type pour, après avoir procédé au massacre managérial de l’hôpital, envisager de l’en sortir par une couche supplémentaire de management — le management des beds. Mais bien sûr, avant tout, pour avoir imaginé ramener toute l’épaisseur humaine qui entoure la maladie et le soin à ce genre de coordonnées. Comme tout le reste dans la société.

Mais voilà, de la même manière qu’elle pourrait dire qu’elle n’est pas à vendre, la société aujourd’hui dit qu’elle n’est pas à manager. Et que le retrait de l’âge-pivot qui a si vite donné satisfaction à tous les collaborateurs ne fera pas tout à fait le compte.

Mais qui sont ces gens ?

 

Le jet des robes d’avocats, des blouses de médecin, des cartables de profs, des outils des artisans d’art du Mobilier national, mais aussi les danseuses de Garnier, l’orchestre de l’Opéra, le chœur de Radio France, ce sont des merveilles de la politique contre le management des forcenés — génitif subjectif : ici les forcenés ne sont pas ceux qui sont managés mais ceux qui managent (lesquels par ailleurs pensent que les « forcenés », les « fous », comme tout le reste, sont à manager). De la politique quasi-anthropologique, où l’on voit, par différence, l’essence des forcenés qui managent et, à leur propos, surgir la question vertigineuse : mais qui sont ces gens ? Qu’est-ce que c’est que cette humanité-là ?

À Radio France, Sibyle Veil demeure comme un piquet, statufiée. Belloubet, elle, ne connaît qu’un léger décrochage de mâchoire inférieure, et la même inertie. Le directeur du Mobilier national choisit le déni massif de réalité, et continue son discours, comme les directeurs d’hôpitaux. Que se passe-t-il à l’intérieur de ces personnes ? Se passe-t-il seulement quelque chose ? Y a-t-il des pensées ? Si oui lesquelles ? En fait, comment peut-on résister au-dedans de soi à des hontes pareilles ? Que ne faut-il pas dresser comme murailles pour parvenir à se maintenir aussi stupidement face à des désaveux aussi terribles ? Comment ne pas en contracter l’envie immédiate de disparaître ? Comment continuer de prétendre diriger quand les dirigés vous signifient à ce point leur irréparable mépris ? Quel stade de robotisation faut-il avoir atteint pour ne plus être capable de recevoir le moindre signal humain ?

Et de nouveau : qui sont ces gens ? Qu’est-ce que c’est que cette humanité-là ?

À l’évidence, elle est d’une autre sorte. N’importe qui à leur place entendrait, et se retirerait aussitôt, définitivement, le rouge au front. Eux, non. Ils restent, pas la moindre entame. On imagine sans peine alors au sommet — Macron, Philippe : totalement emmurés. Logiquement, comment leur sorte pourrait-elle comprendre quoi que ce soit à la vie de l’autre — puisqu’elles n’ont tendanciellement plus grand chose en commun.

Par apprentissage, nous découvrons donc progressivement toutes les conditions de possibilité cachées de la démocratie, sans lesquelles il n’y a que « la-démocratie ». Le macronisme nous aura au moins fait apercevoir qu’il y faut un respect élémentaire du sens commun des mots — détruit avec l’effondrement délibéré de la langue : la langue du management. Nous savons maintenant qu’il y faut également une proximité des sortes d’humanité, et notamment un partage minimal de la décence.

La décence, ce sont les danseurs et danseuses de Garnier qui refusent le « privilège » d’être les dernières préservées au prix de l’équarrissage des générations qui viendront après — qui refusent tout simplement d’être achetées, réaction sans doute bien faite pour laisser interloqué le pouvoir macronien qui ne connaît que les ressorts les plus crasses de l’individualisme, ignore qu’on puisse leur échapper, leur opposer ceux de la solidarité, comme on oppose les valeurs de la création à celles de la marchandise. Et c’est comme un camouflet non seulement politique, mais moral, et presque anthropologique, dont ces jeunes gens lui font honte.

La décence, c’est aussi celle, poignante, d’Agnès Hartemann, chef de service à la Pitié, qui rend sa blouse car il n’y a plus rien d’autre à faire, et qui raconte comment elle s’est reprise de l’implacable devenir-robot dans lequel était en train de la jeter les managers de l’hôpital, ces gens de l’autre sorte d’humanité, Buzyn en tête, dont on se demande comment ils peuvent se regarder dans une glace après avoir entendu des choses pareilles. En réalité on sait comment ils le peuvent : comme l’histoire l’a souvent montré, les destructeurs organisent leur tranquillité d’âme en se soustrayant systématiquement au spectacle de leurs destructions — signification historique du tableur Excel qui, à l’époque des connards, organise la cécité, le compartimentage des actes et de leurs conséquences, et joue le rôle du pare-feu de confort en mettant des abstractions chiffrées à la place des vies.

 

Le « respect » ?

Comme de respect de la langue, de décence il n’y a donc plus la moindre trace depuis que le macronisme est arrivé au pouvoir. Toutes ces choses qui n’ont cessé d’être érodées décennie après décennie, ont été poussées à un stade de démolition terminale avec le macronisme. C’est pourquoi, ayant méthodiquement détruit les conditions de possibilité de la démocratie, ses plaintes quant aux atteintes à « la-démocratie » sont vouées à rendre le son creux de l’incompréhension des demeurés.

« Il faut retrouver le respect normal de base » ânonne Emmanuelle Wargon, qui enfile comme les perles les débilités pleines de bienveillance de « la-démocratie » — « on peut ne pas être d’accord », « mais le gouvernement a été élu », « si on n’est pas d’accord, on n’aura qu’à voter contre », « la prochaine fois », soit le fin du fin de la pensée Macron, ou plutôt Macron-Berger-Hollande-Demorand-Salamé-Joffrin-Barbier-Calvi-Elkrief-on arrête là, la liste serait interminable. Mais quel « respect normal de base » la sous-classe robotique des bed managers, et celle pire encore de leurs maîtres, pourraient-elles s’attirer ? Elles ont perdu jusqu’à la capacité de produire une réponse décente, élémentaire, à des protestations symboliques qui, par leur force, alarmerait n’importe quelle personne n’ayant pas complètement tué le fond de moralité en elle. Forcément, c’est autre chose qui vient à la place du « respect ».

« Personne ne devrait accepter que l’on s’en prenne à des élus parce qu’ils sont élus », blatère pendant ce temps Aurore Bergé, outrée par ailleurs que le roitelet ait été chassé des Bouffes du Nord par les gueux. Mais comment faire comprendre à Aurore Bergé qu’en première approximation, les députés ici ne sont pas poursuivis pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils font. Il faut quand même une innocence qui frise la maladie mentale pour imaginer que les gens vont laisser détruire leurs conditions d’existence, et même se laisser détruire tout court, sans contracter un jour l’envie de détruire ce qui les détruit.

« La France sombre sous la coupe d’une minorité violente » glapit Jean-Christophe Lagarde (1) qui, comme toujours la langue macronienne, dit totalement vrai, mais sans le savoir et par inversion projective : oui la minorité macronienne violente la société comme jamais auparavant, elle démolit les existences, y compris physiquement. Alors les existences décident qu’elles ne se laisseront plus faire, qu’elles ont longtemps donné à leur protestation la vaine forme de « la-démocratie », sont allées au bout du constat de ce qu’on pouvait en attendre, et en tirent maintenant les conséquences : elles passent la seconde.

Quand tout ce qui a pu être dit, puis crié, puis hurlé, depuis trois décennies, ne rencontre que le silence abruti et le mépris d’acier, qui alors pourra s’étonner que les moyens changent ?

Les « gilets jaunes » resteront historiquement comme le premier moment de la grande lucidité : à des pouvoirs sourds, rien ne sert de parler. Quand tout ce qui a pu être dit, puis crié, puis hurlé, depuis trois décennies, ne rencontre que le silence abruti et le mépris d’acier, qui alors pourra s’étonner que les moyens changent ? Lorsque des populations au naturel enclin à la tranquillité sont dégondées, c’est qu’on les a dégondées. Les dégondeurs souffriront donc les effets dont ils sont les causes.

On peut désormais le prédire sans grand risque de se tromper : Macron n’a pas fini d’être poursuivi, les ministres empêchés de vœux, ou de lancement de campagne, les députés LRM de voir leurs permanences peinturlurées, leurs résidences murées, puisque c’est, toutes tentatives « démocratiques » faites, le seul moyen avéré que quelque chose leur parvienne. Quant à ce qu’ils en feront, évidemment… En tout cas, on ne trouvera pas grand-chose à opposer à l’argument qui sert de base à ces nouvelles formes d’action : ils nous font la vie impossible ? On va leur faire la vie impossible.

Un politologue en poil de zèbre, pilier de bistrot pour chaînes d’information en continu (il les fait toutes indifféremment), s’inquiète bruyamment que « chahuter Macron, c’est s’attaquer aux institutions et à leur légitimité ». Tout juste. À ceci près qu’en réalité « les institutions » ont d’elles-mêmes mis à bas leur propre « légitimité ». Comment peut-on espérer rester « légitime » à force d’imposer à la majorité les intérêts de la minorité ? Même un instrument aussi distordu que les sondages n’a pu que constater le refus majoritaire, continûment réaffirmé, de la loi sur les retraites. C’est sans doute pourquoi le gouvernement, supposément mandaté par le peuple, s’acharne à faire le contraire de ce que le peuple lui signifie.

Car l’époque néolibérale est au gouvernement sadique. Si ça fait mal, c’est que c’est bon. Les forcenés ont même fini par s’en faire une morale : le « courage des réformes ». Une morale et une concurrence : Fillon, du haut de ses « deux millions et demi de personnes dans la rue » en 2010 traite Macron de petit joueur avec ses quelques centaines de milliers de « gilets jaunes ». Dans ce monde totalement renversé, violenter le plus grand nombre est devenu un indice de valeur personnelle. Pendant ce temps, ils ont de « la-démocratie » plein la bouche. On ne sait pas si le plus étonnant est qu’ils y croient ou qu’ils soient à ce point étonnés que les autres n’y croient plus. Mais qui pourra être vraiment surpris qu’après avoir jeté si longtemps des paroles de détresse, des appels à être entendus, puis des blouses, des robes et des cartables, il vienne aux violentés des envies de jeter d’autres choses ?

Les conseils de Raymond

Cependant, entre ceux qui ont le pouvoir et les armes et ceux qui n’ont rien, l’asymétrie distribue asymétriquement les responsabilités : que ce soit par la continuité de leurs abus, leur enfermement dans la surdité ou le déchaînement répressif, ce sont toujours les dominants qui déterminent le niveau de la violence. Regardons la société française, disons, il y a dix ans : qui aurait pu alors imaginer des formes d’action semblables à celles d’aujourd’hui ? La question est assez simple : que s’est-il passé entre temps ?

Il s’en est passé suffisamment pour qu’on puisse maintenant lire sur des affichettes des choses inimaginables, des choses comme : « Manu, toi tu retires ta réforme, et nous, quand tu devras t’enfuir, on te laissera 5 minutes d’avance », ou pour qu’on entende chanter dans les cortèges « Louis XVI, Louis XVI, on l’a décapité ! Macron, Macron, on peut recommencer ! ». Et pour que tout ceci soit en réalité très facile à expliquer.

Il ne sera pas judicieux d’écarter ces propos comme « extrémistes » et « peu significatifs » : les extrémités disent toujours quelque chose de l’état moyen. Et, même si c’est à distance, le centre de gravité du corps politique se déplace avec ses pointes. C’était bien d’ailleurs la grande leçon des « gilets jaunes » : « ça gagne ». Ça prend des couches de population qu’on aurait jamais vues faire ce qu’elles ont fait.

Maintenant, le verrouillage d’en-haut ne cesse de hâter les déplacements d’en-bas. Le Parisien commence-t-il à en éprouver de la panique ? Quand il titre « L’inquiétante radicalisation », il est voué à avoir raison en ayant tort. Comme d’habitude parce que la radicalisation première est celle de l’oligarchie qu’il accompagnera jusque dans la chute, mais aussi, presque logiquement, car il va y avoir une contradiction à parler de radicalisation, ou d’extrémisme quand c’est la masse qui entre progressivement dans un devenir-extrémiste — fut-ce d’abord par simple approbation tacite.

Le plus étonnant, cependant, est qu’il reste dans l’oligarchie des gens capables de dire des choses sensées

Le zèbre politologue ne manque pas lui aussi de s’en alarmer : « Il y a un aspect groupusculaire parce qu’on parle d’une poignée d’individus, mais il y a également un public pour ça, et là c’est plus inquiétant ». Et puis il voit aussi que « cette montée de la violence (…) inquiétante (…) n’est pas spécifique à la France ». Comment dire : lui aussi on le sent inquiet.

Au vrai, il n’a pas tort. Il n’a pas tort parce qu’en effet, « ça gagne ». En effet, « il y a un public pour ça ». Et le pire, c’est que le public, par rangées, est en train de monter sur la scène. De tous côtés d’ailleurs, il ne cesse d’y être encouragé. Directement par les robots qui signifient assez qu’il n’y a plus rien à faire avec eux, ni par la parole ni par les symboles. Indirectement quand, par un aveu transparent de « la-démocratie », Christophe Barbier explique sans ciller que « 43 % des Français [contre 56…] souhaitent cette réforme », que « c’est énorme » et que « ça veut dire que les Français sont profondément convaincus qu’il faut passer à la retraite par points » — la chose certaine étant que, quand ça lui viendra dessus, il ne comprendra toujours pas qu’à l’écouter, « les Français » ont été convaincus de tout autre chose.

Le plus étonnant, cependant, est qu’il reste dans l’oligarchie des gens capables de dire des choses sensées. Sensées, mais curieuses. Ainsi Raymond Soubie, cet artisan de l’ombre de toutes les déréglementations du marché du travail, qui avait laissé coi le plateau entier de C’dans l’air (où il a son rond de serviette) en expliquant, lors de la démolition Macron du code du travail, qu’en réalité on n’avait jamais vraiment vu les dérégulations du droit du travail créer le moindre emploi… En somme un art de tout dire. Raymond Soubie, donc : « Les manifestations lorsqu’elles ne dégénèrent pas n’ont pas tellement d’influence sur les gouvernements ». Soit : un constat d’évidence. Un aveu implicite. Et un conseil à méditer.

Frédéric Lordon

Partager cet article
Repost0

commentaires

Coronavirus : le grand révélateur !

Publié le par S. Sellami

Nous y sommes. Après deux mois de confinement, l’heure du dé-confinement a sonné. Avec la même précipitation, dans l’incohérence parfaite, sans organisation pensée, avec pour seule ambition remettre l’économie en branle pour ne pas être dépassés par nos concurrents notamment allemands. A coups de forcings : zones rouges passées vertes en 24h, un conseil scientifique étrangement muet, l’éducation nationale utilisée pour faire pression sur les parents obligés de retourner au turbin sans toutes les précautions nécessaires, pression abjecte du patronat automobile et de l’aviation, toujours pas de masques gratuits hormis ceux mis à disposition par des mairies, des collectivités locales et de nombreux particuliers, couturières souvent. Espérons que la deuxième vague n’apparaisse jamais. Saluons ici les efforts des personnels soignants qui au prix d’un lourd tribut ont permis de circonscrire la pandémie. Remercions les personnels de la distribution, des services publics, les salariés, ces premiers de corvée, qui ont permis de répondre aux besoins de la population. Leur esprit d’initiative, leur courage, leurs capacités doivent être soulignés et récompensés non pas par des breloques ou des applaudissements certes bien mérités mais par des politiques sociales sonnantes et trébuchantes. Le pouvoir a bien trouvé les milliards d’aides aux entreprises y compris celles qui n’ont joué aucun rôle dans la lutte sanitaire. On peut en donner pour les travailleurs. Non ?

De nombreuses vidéos, interviews, écritures ont rappelé la genèse de la pandémie : la globalisation de l’économie mondialisée, les dérèglements climatiques, la recherche du profit maximum, les délocalisations industrielles, le moins-disant économique quel qu’en soit le coût ont permis le développement ultra rapide de cette Covid 19 à travers le monde. Il s’agit d’en tirer les enseignements pour éviter de nouvelles catastrophes. La mondialisation capitaliste basée sur la financiarisation a fait son temps. Les États devraient en tirer toutes les conséquences, industrielles, environnementales, sociales, sanitaires, politiques. Ce n’est décidément pas leurs orientations.

Les voici qui prétendent faire payer leur crise aux peuples. Leur horizon se limite à faire payer la dette des financiers par des générations durant les décennies qui viennent. Ils nous préparent la grande purge austéritaire qui nous a déjà fait trop de mal depuis plus de trente années. Un seul slogan : travaillez plus ! C’est du réchauffé. Sarko l’a pratiqué il y a près de 15 ans et pour quels résultats ? On nous annonce maintenant que nous devrions donner nos congés payés aux hospitaliers. Et pourquoi pas nos payes tant qu’à y être ? Ils l’ont réalisé pendant le confinement en réduisant de 16% les salaires des salariés mis en chômage partiel. L’imagination des tenants du libéralisme financier est sans limites. Contradictoire également. Les voici qui préconisent de placer des salariés en pré-retraites alors qu’ils nous somment de travailler plus longtemps avec leur réforme de retraite à points. Faudrait savoir, c’est l’une ou l’autre proposition mais pas les deux en même temps. Il y a anguille sous roche.

Il en va de même avec les politiques salariales. Macron nous dit qu’il va construire une politique salariale qui tiendra compte de la valeur du travail accompli mais il décide d’amputer le pouvoir d’achat du plus grand nombre en rabotant les congés, en développant le télétravail qui accroît le travail produit sans compensation salariale. Dans les entreprises, le patronat appelle à travailler plus pour récupérer les pertes occasionnées par le virus mais sur les salaires, motus et bouche cousue. L’exemple marquant c’est le "Ségur de la santé" qui enregistre un déferlement d’idées vaseuses mais qui ne décide pas d’augmenter les salaires des personnels et qui chipote sur les moyens matériels et humains à mettre en place pour faire face aux besoins de santé.

Sur l’écologie, remarquons comment Macron évacue cette question en accélérant la course à la voiture et au développement de l’avion comme si c’était les priorités du moment. Aucune action sur les procédés industriels capables de réduire la consommation du pétrole. Il en va de même sur le kérosène. Pire dans ces secteurs le pouvoir injecte des milliards sans contre partie et laisse fermer des entreprises indispensables pour la reconversion industrielle qu’il faudrait amorcer. Plus fort ! Le gouvernement accepte le versement des dividendes aux actionnaires d’Airbus, de Renault, de PSA et de quelques autres.

Des révélations, il n’en manque pas. Prenons l’exemple des libertés. Avec le confinement, les atteintes à la démocratie ont franchi des pas. Parlement bâillonné, collectivités locales ignorées, rassemblements interdits, population muselée, lois répressives adoptées. Ça fait beaucoup en si peu de temps. mais le pouvoir veut aller plus loin. Il veut interdire toute contestation. il accompagne le dé-confinement de la loi Avia qui permet de suivre à la trace tout individu atteint du virus, ses amis, ses relations intimes, et même des gens qui ne se connaissent pas. Les attroupements de plus de 10 personnes sont toujours interdits tandis que les rassemblements religieux, les repas et fêtes de famille, l’évènement du Puy du Fou et d’autres sont autorisés. On voit bien ce qui se trame : empêcher les manifestations, les critiques, les oppositions. Rien n’y fait. Les personnels hospitaliers se rassemblent les jeudis, la manifestation pour exiger "Justice pour Adama" a rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Le dé-confinement va rimer avec engagement militant.

Un mot sur le rassemblement "Justice pour Adama". Les commentateurs en sont surpris. Moi aussi. Je savais le peuple français opposé au racisme mais je ne croyais pas au sursaut aussi important dans les conditions de sortie de la pandémie. Ce qui prouve la détermination des gens à ne plus accepter les brimades, les violences de la police, les dénis de justice. Depuis hier soir, les ignares qui nous expliquent qu’il n’existe pas de lien entre ce qui se produit aux EU et ce qui existe en France, déchantent. Comment, ces jeunes de banlieue contestent les bienfaits de la police ? Ils vont rejoindre les gilets jaunes dans leur fureur de vivre ? Des attifas, des gauchistes, des mélenchonistes ? Ces gens là, si brillants quand ils sont entre eux, perdent toute mesure, se trouvent désemparés devant l’irruption de la révolution citoyenne. Car il s’agit de la poursuite de cette révolution si bien caractérisée par le député Jean Luc Mélenchon. Après l’épisode épique des gilets jaunes, l’élargissement syndical de la réforme des retraites, nous constatons l’agrégation des mouvements qui aspirent à la justice et aux libertés. Le rassemblement se poursuit tel que j’en avais décrit les hypothèses durant mes rares passages télévisés (voir Youtube et RT france).

Bien évidemment, les évènements de Minneapolis aident à la mobilisation en France et dans le monde. Les situations ne sont pas identiques mais leur déroulé se ressemble beaucoup. Point de départ, l’assassinat d’un afro américain dans des conditions semblables à l’étouffement d’Adama Traoré dans le Val d’Oise. Mais les similitudes sont bien plus profondes : chômage massif, mal vie, violences racistes, politique anti-jeune, urbanisation difficile, élimination des services publics. La crise économique masquée par la crise sanitaire fait des ravages ici et aux EU. Pareil dans tous les pays. Et comme toujours, les méfaits du système se reproduisent sous des formes diverses et amènent les mêmes conséquences. Attendons-nous au surgissement massif des luttes sociales, économiques, politiques et écologistes.

Tout cela ne fait qu’un et prépare des rassemblements inédits. Les surprises ne sont pas terminées. L’espérance est devant nous. Ma thèse est la suivante : la crise sanitaire n’a pas réduit le mécontentement qui existait avant Mars. Depuis les incohérences du pouvoir, les mesures prises et celles annoncées vont mécontenter de nouveaux secteurs. Le désordre macronien engendre ses fossoyeurs. Courage pour toutes et tous. L’avenir est à nos espoirs. Travaillons-y avec confiance.                                                                                                                                                                                                                Jose ESPINOSA

URL de cet article 36205
Partager cet article
Repost0

commentaires

Il était une fois les Deumnès – ces « musulmans » pratiquant le judaïsme en secret

Publié le par S. Sellami

Apparus au XVIIe siècle, les derniers représentants ont disparu au début du XXIe siècle. Une histoire passionnante que l’on vous raconte    Des juifs de Salonique. Une ville épicentre de cette communauté judéo-musulmane. (Crédit : DR) Des juifs de Salonique. Une ville épicentre de cette communauté judéo-musulmane. (Crédit : DR)   

Quel étrange mot que celui de « Deumnès » ! La réalité n’en est pas moins mystérieuse puisqu’il s’agit d’une communauté oubliée, de musulmans pratiquant le judaïsme en secret. Apparus au XVIIe siècle, les derniers représentants ont disparu au début du XXIe siècle. Une histoire passionnante que l’on vous raconte.

L’histoire des Deumnès se confond avec celle des Juifs de l’Empire ottoman, et notamment de Salonique. Un peu d’histoire est nécessaire pour comprendre l’apparition de cette communauté judéo-musulmane. La Jérusalem des Balkans a été durant de longues années un phare du judaïsme, accueillant des rabbins et des érudits parmi les plus prestigieux.

La présence des Juifs en Grèce, les Romaniotes, remonte au premier siècle avant l’ère commune. Puis, quand l’Empire ottoman succède à l’Empire byzantin, les minorités sont encouragées à s’installer sur leur territoire pour fortifier l’économie de l’Empire, dont des populations ashkénazes et des Juifs expulsés d’Espagne. La ville portuaire de Salonique comme Istanbul ou Izmir, les accueillera à tel point que le castillan que parlent ces derniers devient celui de tous les juifs, mais aussi des chrétiens et des musulmans. Les Juifs constituent alors une véritable élite, ouverte aux idées progressistes et aux connaissances profanes.

En 1523, Salonique obtient la Charte de Libération et devient, de fait, une République quasi autonome, avantageuse pour la population juive, car dotée d’une souveraineté interne. Elle est alors majoritaire. Un Conseil des Rabbins collecte l’impôt pour l’Empire et fixe à chacun le montant de son dû et, fait important, il dispose également d’un droit de justice interne. De sorte que jusqu’à la fin du XVIIe siècle, Salonique émerge comme un carrefour culturel ainsi que le centre le plus important de draperie tenu par des juifs où convergent les marranes lettrés issus des universités espagnoles et portugaises.

Des juifs de Salonique. Une ville épicentre de cette communauté judéo-musulmane. (Crédit : DR)

Pourtant, la décadence économique de Salonique guette suite à l’effondrement de Venise, après la prise de Candie par les Turcs, en 1669. Cet événement s’accompagne d’un dépérissement culturel d’une société juive devenue plus superstitieuse que religieuse. L’épisode du faux messie Sabbataï Zvi en est la dramatique conséquence. En septembre 1666, ce fauteur de troubles — un kabbaliste, qui affirmait connaître l’imprononçable formule réservée à Dieu avant de s’identifier à Lui — est convoqué devant le sultan qui souhaite mettre fin au désordre. Il est sommé de choisir entre le turban, c’est-à-dire la conversion à l’islam ou la perte de sa tête. Pour sauver sa peau, Sabbataï Zvi choisit le turban.

Il entraîne avec lui ses disciples. Parmi eux, des familles juives parmi les plus influentes des beaux quartiers de Salonique continuent à le suivre, entraînant un séisme au sein du judaïsme local. On les appellera les deumnés, un terme tiré du turc signifiant « renégats », c’est-à-dire des juifs qui accepteront de se convertir à l’islam, tout en préservant secrètement des rituels juifs. En quelques mois, près de cinq cents familles sépharades souvent originaires de Livourne, soit deux mille juifs deviennent des Deumnès. Certaines du salut prochain, ils pensent ainsi obéir au vœu de celui qui est resté leur messie, continuant de le vénérer en accomplissant ses desseins secrets. Parti de Salonique, le mouvement de conversion s’étend à Andrinople, Constantinople, Smyrne et jusque dans les moindres villes de l’Empire ottoman comme Castoria, Serrès ou Sofia.

Cette communauté judéo-musulmane restera solidaire à travers les siècles. Ils forment des congrégations mystérieuses, hésitantes et indécises, à mi-chemin entre la foi d’hier et celle du présent, pratiquant dans l’ombre le culte kabbalistique de Sabbataï.

La conversion à l’Islam des disciples du faux-messie Sabbataï Zvi donnera naissance aux Deumnès. (Crédit : DR)

Pointés du doigt, tenus en méfiance à la fois par les musulmans et les Juifs, la plupart préfèrent d’abord quitter subrepticement les lieux qu’ils habitent pour aller s’établir dans d’autres où on ne les connaît pas, reprenant une apparence de musulmans pour pratiquer sans grand risque une vie juive dans l’enceinte de leurs demeures.

Quand ces apostats sont repérés par les rabbins, on ne se montre pas particulièrement sévères pour leur égarement passager. Loin de les condamner, les sages juifs les prennent en pitié et les aident à se cacher des Turcs qui pourraient leur trancher la tête comme le veut la loi du Coran. Ils les excusent même, alléguant l’exemple de Rabbi Akiba, et tentent même de régulariser leur situation religieuse. Les Deumnès mènent néanmoins une existence de réprouvés. Ils se tiennent en marge des autres juifs, en perpétuels pénitents. Ceux qui avaient affiché trop visiblement leur qualité de musulmans ne peuvent reculer sans danger.

Ces crypto-sabbatéens s’organisent en une secte à part, pourtant divisée. Certains créent des synagogues sabbatéennes, d’autres continuent de s’afficher comme musulmans, les derniers rejoignent discrètement les rangs du judaïsme.

Il n’en demeure pas moins que ces judéo-musulmans qui se nomment eux-mêmes « maamanim » (croyants), que les musulmans appellent avec mépris « Deumnès » (apostats), et que les juifs qualifient de l’épithète injurieuse de « minim » (mécréants), divisent. L’arrivée de nouvelles familles juives livournaises au cours du XVIIIe siècle à Salonique, est vécue comme un apaisement. Après cet épisode fratricide, le judaïsme éclairé qu’ils pratiquent, réveille les lumières de la ville en sommeil. Ils accompagnent aussi l’essor des activités économiques de la ville. Très italianisés, ils font pénétrer l’Occident moderne dans la Salonique séfarade orientalisée. Fondateurs d’industries créatrices d’emplois et de prospérité pour toute la ville ainsi que des banques modernes, ils fondent et encouragent la création d’écoles et de journaux. Le français qu’ils pratiquent avec l’italien se répand comme la langue commerciale et surtout de la culture revivifiée avec la création de l’Alliance israélite universelle, des écoles pour les filles et les garçons. Parmi eux, la Maison Allatini est l’exemple le plus louable de cette réussite.

Les judéo-musulmans ont continué de former la secte la plus secrète du judaïsme. À tel point qu’on les a oubliés. Même si les pratiques religieuses ont quasiment disparu, il est resté quelques descendants de Deumnès à Thessalonique, Istanbul et à Smyrne jusqu’au XXe siècle. Ils sont restés encore très divisés : les Yacoubites, les Karaches et les Kapandjis.

Mise à part la croyance originelle en la messianité de Sabbataï Zvi, les conceptions religieuses ont divergé très sérieusement. Pendant des siècles, ils ont contracté des mariages endogames à l’intérieur de ses trois groupes. Souvent, ces musulmans n’ont appris qu’à l’adolescence leurs origines juives, voire jamais. L’opprobre jeté sur eux n’a jamais totalement disparu. Les milieux d’extrême droite les ont dénoncés comme de faux musulmans et les anti-kémalistes souhaitant revenir à l’orthodoxie coranique les ont pointés du doigt comme des libéraux et des francs-maçons.

Les Deumnès ont continué de se cacher. Devenus athées, ils ont quasiment disparu et seuls leurs noms de famille portent le témoignage de leur histoire mystérieuse.

La journaliste Françoise Giroud se déclarait descendante de « Deumnès ».
(Crédit : DR)

Ainsi la journaliste Françoise Giroud qui nous a quittés en 2016, confiait descendre des Gourdji issus d’une famille de « Deumnès ». Un généalogiste qui avait fait des recherches sur sa famille avait en effet découvert que le membre le plus ancien dont il ait retrouvé la trace, au XVIIIe siècle, était drugman, c’est à dire interprète du Palais à Salonique.

Dans son livre Vidal et ses frères, on apprend également que le sociologue Egdar Morin de son vrai nom Nahoum, descend de Deumnès, actifs et riches, qui ont été les premiers dans le monde proprement turc à s’ouvrir aux idées laïques, libérales et nationales. Deux illustrations de personnalités qui ont « nié » leur judaïsme, ce que l’on peut maintenant comprendre à la lumière de siècles de vie juive pratiquée en secret.

Aujourd’hui, des historiens se penchent sur l’étude des crypto-sabbatéens, fascinés par leur histoire singulière.

Partager cet article
Repost0

commentaires

<< < 1 2 3 4 > >>