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La langue de Macron 1er

Publié le par S. Sellami

 L’un de ces prédécesseurs, un président de petite taille, avait le goût pour les formules choc... style « casse-toi, pauv’con »...et notre nouveau président semble vouloir renouer avec la pratique d’une prose populaire, voire vulgaire...même s’il aime étaler de temps en temps sa culture, en sortant des mots oubliés dans de vieux tiroirs.

Lors de sa récente prestation, laquelle a tout de même réussi à réunir  10 millions de téléspectateurs, il s’était offert 3journalistes bien polis, lesquels ont tout juste eu le temps de poser quelques questions, puisque chaque réponse à durait un long quart d’heure...pour une prestation totale d’un peu plus d’une heure....

On imagine facilement que tout était probablement cadré, en se demandant naïvement si les questions avaient été préalablement choisies par les 2 camps, et en regrettant qu’il n’ait pas été fait appel à des journalistes un peu impertinents...

Hélas, ce n’était pas le cas...même s’il faut relever la timide attaque de Pujadas évoquant la richesse de son interlocuteur...laquelle a jeté un froid glacial sur le plateau...

Extrait : « statistiquement, vous l’êtes » (riche)... affirmait Macron s’adressant au journaliste... « Comme vous » avez rétorqué Pujadas... « Et alors ! » répondit alors l’intéressé lien

Ce « et alors » n’est pas sans rappeler d’un candidat malheureux à la présidentielle piégé par des costumes offerts...

Mais revenons à Pujadas.

Y avait-il là une volonté de vengeance de la part de l’ex meneur de jeu du « 20h » de la «  », évincé, on s’en souvient, et remplacé par Anne-Sophie Lapix.

Certains ont voulu y voir la main du nouveau président, lequel n’aurait pas apprécié l’interview mené tambour battant par David Pujadas en mars dernier. lien

En invitant ce dernier le 15 octobre, Macron s’est même fendu d’une pique qui a fait sourire l’intéressé, et qui confirmait quelque part que l’éviction de Pujadas venait bien d’en haut... lien

Mais revenons aux mots présidentiels...

Le nouveau Prez s’est longuement étendu sur son nouveau vocabulaire...le mot « bordel  » par exemple... en justifiant qu’il aimait le « parlé vrai »... et que ce mot avait été validé par l’Académie française.

On peut donc s’attendre à ce qu’il nous propose d’autres mots de ce cru, et validés par « l’académie »... con ? Salope ? seront-ils bientôt dans la langue présidentielle d’autant qu’ils ont été eux aussi validés par l’académie française ?

En même temps, Macron a sorti d’un vieux tiroir le mot « croquignolesque » qui doit avoir accumulé pas mal de poussières depuis les siècles où il a été tristement abandonné dans une vieille bande dessinée.

Il nous avait sorti il y a peu le mot « perlimpinpin » servi avec sa poudre habituelle... il y a eu aussi le célèbre « galimatias », ainsi que « larcin » assez peu utilisé, mais par contre régulièrement pratiqué, dans tous les milieux, y compris le milieu politique.

Et quid des « saut de cabri » ?....

Récemment il se serait allé à traiter les Bretons de « ploucs »... pas sûr qu’ils apprécieront. lien

Encore plus étonnant, l’utilisation du mot « antienne » qui a du faire ouvrir quelques dictionnaires... et qui signifie entre autres, « répéter inlassablement la même litanie »...

Une certaine chanteuse, d’origine égyptienne, déclarait dans l’une de ses œuvres, « parole, parole, parole »...et à défaut des beaux discours souvent creux, auxquels tente de nous habituer le nouveau président, on aimerait peut-être bien qu’il passe enfin à l’acte.

On attend encore qu’il améliore la couverture des soins pour tous... qu’il fasse prendre en charge à 100% les prothèses auditives et dentaires, comme il s’y était engagé.

Mais aussi qu’il instaure la transparence sur les prix, et plus de concurrence afin de les faire baisser...

Et quid de « ce service sanitaire de 3 mois pour tous les étudiants en santé, dans lequel était prévu que 40 000 d’entre eux viennent épauler les associations, les infirmières, et les services de santé...

Ces derniers devaient se rendre en priorité dans les quartiers difficiles et dans les zones rurales, là où la prévention est peu développée, et là où les inégalités sont les plus vives » déclarait-il le 15 mars 2017.

Il voulait aussi généraliser la vente de médicaments à l’unité, affirmant qu’aujourd’hui, « nous subissons un gaspillage de 7 milliards d’euros par an ».

Pour l’instant, les 6 premiers mois de son mandat qui sont sur le point de finir n’ont pas vu grand-chose de ces belles promesses... et seuls les patrons, et les plus aisés profitent pour l’instant des largesses présidentielles.

Mais revenons à la prose macronienne.

Il aime aussi montrer l’étendue de sa culture, en proposant des formules latines, comme par exemple « pacta sunt servanda »... «  diminutio capitis  »... «  Aggiornamento  »... ainsi que d’autres, moins latins, comme «  Fongibilité  »... «  Linéament  »... «  Totipotent  »...« irrédentisme  »... «  Fonts baptismaux  »... « Rhizome »...

Certains rétorquerons que le grand Charles aimait aussi à proposer des mots tombés dans l’oubli populaire...la « chienlit » de mai 68 s’en souvient encore...

Mais tentons de revenir à l’essentiel...

Comme s’interroge Daniel Schneiderman dans « arrêt sur image », quelle est cette maladie qui frappe les présidents français ? lien

Du virage de la rigueur mitterrandienne, à la fracture sociale chiraquienne, en passant par le désamour de la finance hollandais, ils n’ont cessé de tourner le dos à leur conviction.

Le dernier en date, Macron, donc, après avoir affirmé qu’il n’était « ni de droite, ni de gauche », finit par se révéler le président des riches.

On se demande quel naïf aurait pu en douter ?

Quand Macron défend maintenant le « premier de cordée » qui serait menacé par des jets de pierres, il manie maladroitement une métaphore, car ceux qui ont pratiqué l’alpinisme savent bien que le danger vient d’en haut.

Lorsqu’une pierre se détache, le premier de cordée prévient « attention, sucre ».... et ceux qui suivent tentent de s’en préserver.

En réalité, c’est le « premier de cordée » qui prend tous les risques, mais qui fait aussi courir les risques aux autres, s’il fait le mauvais choix.

Macron a donc tourné le dos à une précédente métaphore, celle du ruissellement, fable destinée à nous faire croire que, « plus les riches le seraient, plus les pauvres s’enrichiraient  »...mais même le FMI n’y croit plus. lien

Monsieur « en même temps », président des nantis, des patrons, et des banquiers, même s’il s’en défend, tente maladroitement de faire croire qu’il est le président de tous... mais c’est lui qui, tout en haut, s’amuse de ceux qui sont tout en bas, accumule les promesses... la fin du chômage, promise depuis des lustres... la fraternité, difficile à valider quand on traite les autres de fainéants... l’égalité, quand on renforce les inégalités...la liberté, laquelle vient de prendre un coup de vieux avec les nouvelles lois de sécurité (lien)...

Tout ça ne serait-il pas un leurre, juste pour se maintenir au moins un quinquennat, voire deux... histoire de tester la limite de la crédulité des citoyens ?

En tout cas, malgré son langage fleuri, son « parler vrai », ses formules latines, ce pauvre président n’a, semble-t-il, pas convaincu grand monde, 61% des français ne l’ont pas trop apprécié, et seulement 7% de ceux-ci ont été complètement convaincus...lien

Sur les 10 millions de téléspectateurs qui ont assisté à ce « débat », 700 000 français...c’est peu.

Car comme dit mon vieil ami africain : « celui qui avale une noix de coco fait confiance à son anus ».

L’image illustrant l’article vient de http://larealiteenface.overblog.com

Merci aux internautes de leur aide précieuse

Olivier Cabanel

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par olivier cabanel (son site) 
mercredi 18 octobre 2017

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Macron : Sarkozy, en pire

Publié le par S. Sellami

En 2012, après cinq ans de déclarations pétaradandes et de postures tous azimuts, Sarkozy semblait avoir établi des sommets pas prêts d’être dépassés dans un proche futur. Quel président pourrait bien être plus vulgaire, plus auto-centré, plus au service des plus riches que lui ? En quelques mois, Emmanuel Macron semble vouloir dépasser tous les tristes records de son prédécesseur.

  Macron : Sarkozy, en pire

Plus conformiste, insultant, suffisant et oligarque
 
Pour être honnête, il y a un sujet sur lequel cette présidence pourrait bien apporter du mieux : l’éducation. Avec Jean-Marie Blanquer, le président défend une vision plus traditionnelle, éloignée des folies pseudo-pédagogistes, qui n’ont cessé de faire baisser le niveau, révolter bien des professeurs et de transformer nos écoles en garderie pour enfants auto-centrés, qui ne seraient capables d’apprendre qu’en s’amusant, tout en refusant trop souvent le rôle de transmission d’un patrimoine historique et culturel. Sur cette partie-là, le discours du président va dans le bon sens. Mais reste à savoir ce que sera l’ampleur du changement dans la réalité, et il est encore malheureusement trop tôt pour juger.
 
Mais sur les autres sujets, Macron reprend et aggrave tous les travers de Sarkozy. D’abord, dans l’interview au Spiegel, il révèle qu’il a transmis son discours européen à Angela Merkel : un choix et une révélation profondément choquants, tant il admet se mettre en position d’infériorité à l’égard de la chancelière, le tout dans un journal allemand. Ce faisant, il a commis une vraie faute politique en se positionnant de manière aussi claire en simple vassal de Berlin, un défaut courant de Sarkozy. Contrairement à ce dernier, il assume tous ses dérapages verbaux, affirmant : « j’ai toujours essayé de dire les choses et de m’approcher d’une forme de vérité (…) j’assume totalement ce qui a été dit  ».
 
Cela est d’autant plus choquant qu’il a encore récidivé, affirmant dans le Spiegel, « je ne céderai pas au triste réflexe de la jalousie française ». En quelques temps, Macron a habillé les français pour l’hiver : illettrés, alcooliques, rien, fainéants, jaloux… Il y a fort à parier que cela lui collera, comme les dérapages de son lointain prédécesseur. De Sarkozy, il a aussi repris la proximité avec les Etats-Unis, « notre allié  », ou le caractère martial après l’assassinat de deux jeunes filles à Marseille. Mais les ficelles sont grosses et trop connues pour ne pas apparaître pour ce qu’elles sont : de simples postures communiquantes, qui ne sont là que pour cacher une incapacité à penser et agir différemment.
 
Sur l’économie, le mimétisme se fait criant. Non seulement il s’est voulu le président du travail, mais il a défendu mordicus la forte réduction de l’ISF, que Sarkozy n’avait pas osé faire, avec les arguments les plus faux et ridicules de la droite, entre l’exil fiscal des plus riches, ou le fait que cela libèrerait du capital pour les investissements, un argument brillamment démonté par Frédéric Lordon dans un papier remarquable, qui l’évalue à quelques millions pour un coût de 3 milliards par an. Sur la fiscalité, face à des journalistes peu mordants, incapables de faire le lien entre CSG, APL et ISF, et oubliant l’IS, il a poursuivi son grand numéro d’embrouille en affirmant que 80% des retraités n’y perdraient pas.
Le chef de l’Etat a utilisé une nouvelle image révélatrice : les plus riches seraient les premiers de cordée, que certains jalousent, et sur lesquels il ne faudrait pas jeter des pierres. Admettons d’abord qu’entre ce qu’il fait et leur jeter des pierres, il y a un peu de marge… Ensuite, contrairement à ce qu’il a dit, il y a une forte proximité avec la théorie dite du ruissellement, en pire, puisque, dans cette image, il implique en outre la supériorité des plus riches sur les autres alors même que la richesse est de plus en plus héritée. Bref, Macron est plus que jamais le président de l’oligarchie, qui défend sa supériorité et le fait que l’Etat lui donne toujours plus alors même qu’elle n’a jamais été aussi riche.
 

En réalité, ce président qui prétend « célébrer les réussites  », ne fait que célébrer les milliardaires, leur donnant tout, à contre-temps de l’histoire économique, comme le dénonce Piketty, qui y voit une faute. En cela aussi, il fait pire que Sarkozy, comme le laisser présager son passage à Bercy, où il avait tenu les promesses que ce dernier n’avait pas osé tenir, sur le travail du dimanche notamment.

par Laurent Herblay (son site) 
mardi 17 octobre 2017

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« Le génocide des Tutsi au Rwanda : Que sais-je ? » (ISBN 978-2-13-074873-1)

Publié le par S. Sellami

« Le génocide des Tutsi au Rwanda : Que sais-je ? » (ISBN 978-2-13-074873-1)

Le titre du présent billet est celui d'un "petit" livre (127 pages) de la Collection "Que Sais-je ?" (PUF), paru le 5 avril 2017, la veille du 23ième anniversaire de l'attentat sur l'avion du Président rwandais Habyarimana, déclencheur du Génocide des Tutsi du Rwanda. L'auteur, Filip Reyntjens, constitutionnaliste belge, ancien expert auprès du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) est professeur émérite à l’université d’Antwerpen (Flandre). Donc.... !!!!

Comme par un hasard totalement quelconque, le nom de la collection est symboliquement symptomatique en la "matière". En effet, il en va des questions sur le Rwanda, son histoire ancienne et l'évolution de celle-ci, comme d'une multitude d'autres questions d'actualité restées sans réponses à propos des événements de ces 30 dernières années dans ce pays. Qu'en sait-on ?

Le premier octobre 1990 des unités de l'armée régulière de l'Ouganda, voisin du Rwanda, envahissent ce petit pays (près de 10 fois plus petit que l'Ouganda). Comme repris dans le livre en question ici, il a de suite été questions, dans la Communauté Internationale, du "retour des réfugiés Tutsi" originaire du Rwanda. Ceux-ci avaient fui les troubles ethniques dont ils avaient été victimes au cours des années de l'abolition de la Monarchie, de l'Indépendance et de l'instauration de la République rwandaise (1959-1963). Les unités ougandaises en question étaient, en fait, constituées de quelques milliers de soldats ougandais (10 à 15.000) d'origine tutsi rwandaise de la deuxième génération de "réfugiés" (nés en Ouganda) et de quelques dizaines d'officiers ougandais de la premières générations, arrivés à l'âge de 2 ou 3 ans en Ouganda. Ces unités étaient purement ougandaises sans autres "étrangers" (d'origine rwandaise) comme des Tutsi de Tanzanie, du Burundi ou du Zaïre. Ces trois pays, également voisins du Rwanda, comptaient une diaspora tutsi rwandaise assez importante (300.000 à 500.000 ?). Mais celle-ci n'a pas, étrangement, pris part au "retour des réfugiés" d'octobre 1990. Ce qu'il faut, aussi, rappeler c'est que la Convention et le Protocole relatifs aux réfugiés tels que définis par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR de l'ONU) et par la Charte de l'OUA (Organisation de l'Unité Africaine[1]) déchoient de leur statut ceux qui, réfugiés dans un pays d'accueil, prennent les armes dans l'armée de ce pays pour attaquer le pays d'origine. Il faudrait rappeler que le retour des réfugiés "civils" était en cours de négociation et de réalisation sous l'égide du HCR. Ce retour ne concernait évidemment pas les militaires de l'armée ougandaise (Tutsi d'origine rwandaise). Donc, parler comme on le fait depuis octobre 1990 de "retour de réfugiés" justifie uniquement le refus de la Communauté Internationale de saisir le Conseil de Sécurité de l'Onu à propos de l'agression ougandaise contre le Rwanda. Celle-ci constituait, de fait, le premier de tous les crimes, celui contre la Paix, donc le premier de tous ceux qui ont suivi, commis par toutes les parties au conflit (en ce compris les puissances "étrangères" qui sont "intervenues" : Belgique, Canada, Etats-Unis, Grande Bretagne, Ouganda dans l'ordre alphabétique ......).

Il faut aussi remarquer l'emploi permanent dans les média mainstream et dans le livre en question du mot "rebelle". Mais que disent les dictionnaires concernant cette notion de rebelle ? "Celui, celle qui se révolte contre l'autorité du gouvernement légitime, d'un pouvoir établi ; qui porte les armes contre son pays" [2] Il est évident qu'en 1914 ou en 1939 les troupes allemandes qui ont attaqués la France, n'étaient pas "rebelles" pas plus que les unités ougandaises étaient rebelles contre le pouvoir de Musévéni et/ou à plus forte raison contre le pouvoir du pays voisin. Fidel Castro était bien rebelle contre le pouvoir dictatorial de Fulgencio Batista, mais pas, bien que communiste, directement contre le pouvoir US ! Le "Subcomandante Marcos" à la tête des Zapatistes et des Indiens du Chiapas se rebelle contre le gouvernement fédéral Mexicain pour avoir (entre autre) fait la part trop belle à Clinton et l'Aléna. Mais donc, parler de rébellion d'unités ougandaises contre le régime rwandais d'Habyarimana n'a pas beaucoup de sens mais permet, une fois de plus, à la Communauté Internationale de se "réfugier" derrière le soi-disant principe de non ingérence dans les Affaires Intérieures d'un pays "souverain", pour ne pas condamner l'invasion ougandaise. Il existait cependant des accords de coopération civile et militaire (tout ce qui a de plus légaux) entre le Belgique et le Rwanda et entre la France et le Rwanda. Il n'y a que la France qui les a mis diplomatiquement en jeu à partir du premier octobre 1990 et cela d'une manière extrêmement prudente, compte tenu de l'implication des services secrets des pays dont question plus haut. Il faut se rappeler que Mitterrand devait déclarer plus tard ce que le déclin de la France (en Afrique, entre autre) lui avait appris[3] : " La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique".

Il y a aussi la notion de guerre civile qui est reprise par Reyntjens et qui évidemment "conforte" le caractère interne du conflit. Or que faut-il entendre par guerre civile ? ... Exemple : la guerre civile d'Espagne en 1936 : des factions de l'armée nationale et des groupes civils armés (par les uns et par les autres) s'affrontent. Des brigades internationales de volontaires interviennent et l'appuis des régimes frères de celui de Franco causent les massacres de Guernica et tant d'autres. Mais jamais, le conflit n'a débuté par l'invasion de forces anti-franquistes à partir de la France, du Portugal ou même de l'Italie fasciste ou d'Allemagne nazie !!!!! Combien de Rwandais du Rwanda, civils ou militaires de l'armée nationale, Hutu ou Tutsi ont-ils pris les armes le premier octobre 1990, contre le régime Habyarimana ? Combien ont-ils quitté les FAR (Forces Armées Rwandaises) pour rejoindre le FPR ? Il y eut bien quelques défections de "bwanas" de l'ancien régime et quelques recrues au Burundi suite à la propagande de radio Muhabura. Mais cela restait de "initiatives" totalement marginales ! Une opposition "interne" au régime de Kigali se serait-elle unie à la diaspora Tutsi, très influente en Europe (Allemagne, Suisse, Belgique) et dans le monde Anglo-Saxon ? Et le Mwami, Kigéri V, vivant, en exile, misérable aux USA, abandonné de ses sujets a-t-il été pressenti, entre autre par Kagamé (qui "séjournait" aux USA en octobre 1990), pour fédérer les partisans de la destitution d'Habyarimana et de la fin de l'"exode" ? N'y aurait-il pas eu quelques dizaines de militaires "ougandais" avides de domination pour s'approprier par la force le pouvoir sur tout, peu importe le prix que tous, Hutus Tutsi et Twa auraient à payer au Rwanda et au Zaïre voisin ? Les assassinats de Rwigéma, Bayingana et de Bunyenyezi, du côté "ougandais", de Gapyisi et de Gatabazi du côté rwandais, bien avant le génocide et ceux de Lisinde de Shadasonga ainsi que de tant d'autres opposants de la première heure au régime de Kagamé ne seraient-ils pas questionnables ? Ces assassinats, intervenus avant, pendant et après le génocide des Tutsi au Rwanda, ne devraient-ils pas faire l'objet d'analyses les plus exhaustives possibles ?

Et que dire du mot Inyenzi ? Encore un détail étonnant quant on connaît la réputation de sérieux de Reyntjens, expert universitaire auprès du TPIR. Page 21, la note de bas de page dit : "Inyenzi" ..... : "C'est - à - dire "cancrelats", parce qu'ils attaquent de nuit. Les groupe tutsi se sont donné eux-mêmes cette appellation". Ne faudrait-il pas être plus précis ? Inyenzi = : "ingangurarugo yiyemeje kuba ingenzi" soit "combattants de la milice Ingangurarugo qui se sont donnés pour objectif d’être les meilleurs"[4]. Fondé par Aloys Ngurumbe en 1961 à Kizinga en Ouganda (Ingaangurarugo = premiers assaillants de l’enclos = guerriers braves qui attaquent les premiers, etc., etc.). Il est vrai que les Inyenzi attaquaient de nuit. Ce nom avait une connotation positive pour ceux qui se battaient pour le rétablissement de la Monarchie. Il n'évoquait pas le caractère péjoratif, répugnant que les européens attachent à la blatte, au cancrelat, au cafard. Ces insectes auraient d'ailleurs une valeur nutritive bien établie, reconnue et appréciée par certains Africains qui les dégustent pour leur saveur.

Encore une précision à propos du texte de la page 48 : "..... le FPR entame une offensive militaire tôt le matin du 7 avril...". Sachant que l'attentat contre l'avion présidentiel a eu lieu le 6 avril à 20h30 l'auteur accepterait-il implicitement la "thèse" du Colonel belge Luc Marchal (responsable Kibat pour la Minuar) suivant laquelle le FPR n'aurait jamais pu "entamer cette offensive" dans un délais aussi court si il n'y avait pas été préparé [5] ?

Dans la note de bas de la même page 48 : "... aucune étude n'a été consacrée au déroulement de la guerre, toute l'attention des chercheurs ayant été focalisée sur le génocide". Tout d'abord à propos de la structure de la phrase elle-même : ce ne sont pas les chercheurs qui se sont focalisés sur le génocide c'est leur attention qui a été focalisée sur le génocide. Cette tournure passive est-elle intentionnelle ? Qui ou quoi aurait focalisé l'attention des chercheurs ? Il y aurait-il un questionnement dont la réponse "devrait être sous entendue", car par trop "monstrueuse" ? Toujours est-il qu'affirmer qu'"aucune étude n'aurait été consacrée au déroulement de la guerre" est inexact. En effet, elles sont nombreuses même si certains peuvent estimer qu'elles ne sont pas probantes ou qu'elles confortent des idées négationnistes (Keith Harmon Snow, Antony Christopher Black, Bernard Lugan, Christian Davenport, Allan C. Stam, Herman et Peterson, Piascik Andy, Kenneth Roth, Helmut Strizek, entre autres). Ce qui est plus troublant c'est que très peu de ces "études" n'ont reçu de véritables critiques positives ou négatives, motivées d'une façon complète, précise et exacte : cet état de fait n'interpellant quasiment aucun observateur.....

Pour ce qui est de la présence[6] de troupes étrangères susceptibles d'intervenir rapidement pour faire cesser le génocide, il est question à la page 87 du livre de Reyntjens, entre autres, d'un "bataillon de "Marines" américains en stand-by à Bujumbura à moins d'une heure de vol de Kigali". Reyntjens oublie de dire que ce "bataillon" était déjà à Bujumbura plusieurs jours[7] avant l'attentat sur le "Falcon 50"du Président Habyarimana et qu'on peut éventuellement penser que l'assassinat de Ndadaye (Président du Burundi) survenu le 21 octobre 1993 était moins dû au fait qu'il avait "expulsé" Radio Muhabura (FPR) de Bujumbura qu'au fait qu'il refusait que des troupes américaines ne soient positionnées dans son pays en vue d'une "action" en préparation à Kigali. Reyntjens ne fait pas non plus référence à l'opération "Distant Runner" qui depuis le USS Peleliu (maintenu par le général Shalikashvili en rade de Mogadiscio, Somalie, bien après la fin de l'opération "Restore Hope" ou Onusom I) appareillait avant l'attentat en vue d'une opération de débarquement amphibie à Mombassa et d'héliportage jusqu'à Bujumbura (avec avions ravitailleurs en vol KC-130). Reyntjens ne parle pas non plus de la "révélation" de Samantha Power sur la présence de quelques 2 douzaines de troupes spéciales américaines à Kigali dans les premiers jours du génocide, ni du fait que deux M-113 sont arrivés dans la nuit du 12 au 13 mars 1994 (pour quelles raisons ?) de l'Africom (Stuttgart) et "abandonnés" à la Minuar.

Si Reyntjens parle bien du TPIR et de l'éviction de Carla Del Ponte au "profit" Hassan Jallow il ne se prononce pas sur la signification du grand nombre de faux témoignages à charge des accusés et fort peu sur les "embûches" tendues à la défense de ceux-ci. Il ne fait pas non plus référence aux déclarations de Louise Arbour[8] concernant les blocages imposés par Kagamé dans les procédures pénales du TPIR....

Avant toutes options de mises en oeuvre d'actions, de "réalisations d'initiatives" il faut faire la comparaison "avantages - inconvénients" ; "avec projet et sans projet". Dans le cas du génocide, les hypothèses seraient évidemment cyniques. Dès lors c'est l'analyse "avant-après" qui pourrait éclairer sur ce qui s'est passé et sur ce qui se passe encore. Par exemple, Reyntjens a, naguère, bien mis en évidence que les chiffres du développement économique et social post-génocide du Rwanda étaient "techniqués". Dès lors se pourrait-ils que les chiffre "ante" le soient aussi ?

Ce livre apporte-t-il du neuf sur la question du génocide des Tutsi au Rwanda ? Il semblerait que ce soient plutôt toujours les mêmes questions lancinantes laissées en suspens depuis tant de temps qui restent encore en l'état faute de ...... ? . On pourrait, alors, s'interroger sur les raisons de la virulence des réactions que ce livre suscite et surtout pourquoi tant de temps après sa parution (assez discrète, il est vrai) : "sortie en librairies" le 5 avril 2017 (?) et réactions dans le Monde le 04 octobre 2017[9] :

On ne peut qu'énumérer des réponses, hypothétiques, évidemment qui entraîneront inévitablement d'autres questions :

- l'approche de l'annonce d'un report des élections en RDC (qui pourrait présager d'une troisième intervention rwandaise dans ce pays) ?

- la rencontre entre Macron et Kagamé à l'AG de l'ONU ?

- le fait que Macron se soit "entouré", entre autre, du général François Lecointre (Opération Turquoise) ?

- le fait que le 21 octobre il y aura 24 ans que Ndadaye a été assassiné ?

- le fait que la Monuc a encore trouvé des missiles d'origine rwandaise en RDC ?

- le fait qu'un nouveau témoin dans l'attentat du 6 avril 1994 sur le Falcon de la Présidence rwandaise (qui n'a pas encore été assassiné) serait sur le point d'être auditionné par la justice française ?

Qu'en sait-on finalement ? Va t'en savoir ! Que sais-je ?

 

P.S. Combien de lecteurs pour ce billet, combien de votes (il n'y a que des étoiles dorées, mais des étoiles "rouges" seraient (aussi) les bien venues) ; combien de commentaires et...combien de malwares .... ?

 

[3] Georges-Marc Benamou : "Le dernier Mitterand"

[5] « Sur le plan militaire, il est impossible de profiter d’une opportunité comme l’attentat pour lancer une offensive sur trois axes stratégiques, cela demande des mois de préparation d’un point de vue logistique ». in http://www.jambonews.net/actualites/20110108-rwanda-1994-le-point-de-vue-de-luc-marchal/

[7] http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2012/04/09/attentat-du-6-avril-une-version-burundaise-a-verser-au-dossier/

"Ils sont arrivés avant le 6 avril, ils sont repartis environ deux semaines plus tard .... Nous n’avons jamais su ce qu’ils étaient venus faire… » (Sic : Deo Ngendahayo - administrateur général de la sécurité burundaise)

par Bertrand Loubard 
mercredi 18 octobre 2017
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« La liberté se conquiert », Discours de Thomas Sankara devant l'Assemblée des Nations-Unies

Publié le par S. Sellami

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Le 4 octobre 1984, Sankara s'adresse à la Trente-neuvième session de l'Assemblée générale des Nations Unies. La source de son discours ci-après est une brochure distribuée par la représentation du Burkina Faso auprès des Nations Unies.

 

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général,
Honorables représentants de la Communauté internationale

Je viens en ces lieux vous apporter le salut fraternel d'un pays de 274000 km², où sept millions d'enfants, de femmes et d'hommes, refusent désormais de mourir d'ignorance, de faim, de soif, tout en n'arrivant pas à vivre véritablement depuis un quart de siècle d'existence comme Etat souverain, siégeant à l'ONU.

Je viens à cette Trente-neuvième session vous parler au nom d'un peuple qui, sur la terre de ses ancêtres, a choisi, dorénavant de s'affirmer et d'assumer son histoire, dans ses aspects positifs, comme dans ses aspects négatifs, sans complexe aucun.

Je viens enfin, mandaté par le Conseil National de la Révolution (CNR) du Burkina Faso, pour exprimer les vues de mon peuple concernant les problèmes inscrits à l'ordre du jour, et qui constituent la trame tragique des événements qui fissurent douloureusement les fondements du monde en cette fin du vingtième siècle. Un monde où l'humanité est transformée en cirque, déchirée par les luttes entre les grands et les semi-grands, battue par les bandes armées, soumise aux violences et aux pillages. Un monde où des nations, se soustrayant à la juridiction internationale, commandent des groupes hors-la-loi, vivant de rapines, et organisant d'ignobles trafics, le fusil à la main.

Monsieur le Président
Je n'ai pas ici la prétention d'énoncer des dogmes. Je ne suis ni un messie ni un prophète. Je ne détiens aucune vérité. Ma seule ambition est une double aspiration : premièrement, pouvoir, en langage simple, celui de l'évidence et de la clarté, parler au nom de mon peuple, le peuple du Burkina Faso ; deuxièmement, parvenir à exprimer aussi, à ma manière, la parole du "Grand peuple des déshérités", ceux qui appartiennent à ce monde qu'on a malicieusement baptisé Tiers Monde. Et dire, même si je n'arrive pas à les faire comprendre, les raisons que nous avons de nous révolter.
Tout cela dénote de l'intérêt que nous portons à l'ONU, les exigences de nos droits y prenant une vigueur et la rigueur de la claire conscience de nos devoirs.
Nul ne s'étonnera de nous voir associer l'ex Haute-Volta, aujourd'hui le Burkina Faso, à ce fourre-tout méprisé, le Tiers Monde, que les autres mondes ont inventé au moment des indépendances formelles pour mieux assurer notre aliénation culturelle, économique et politique. Nous voulons nous y insérer sans pour autant justifier cette gigantesque escroquerie de l'Histoire. Encore moins pour accepter d'être "l'arrière monde d'un Occident repu". Mais pour affirmer la conscience d'appartenir à un ensemble tricontinental et admettre, en tant que non-alignés, et avec la densité de nos convictions, qu'une solidarité spéciale unit ces trois continents d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique dans un même combat contre les mêmes trafiquants politiques, les mêmes exploiteurs économiques.
Reconnaître donc notre présence au sein du Tiers Monde c'est, pour paraphraser José Marti, "affirmer que nous sentons sur notre joue tout coup donné à n'importe quel homme du monde". Nous avons jusqu'ici tendu l'autre joue. Les gifles ont redoublées. Mais le cœur du méchant ne s'est pas attendri. Ils ont piétiné la vérité du juste. Du Christ ils ont trahi la parole. Ils ont transformé sa croix en massue. Et après qu'ils se soient revêtus de sa tunique, ils ont lacéré nos corps et nos âmes. Ils ont obscurci son message. Ils l'ont occidentalisé cependant que nous le recevions comme libération universelle. Alors, nos yeux se sont ouverts à la lutte des es. Il n'y aura plus de gifles.
Il faut proclamer qu'il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre vingt années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus là. Pas de développement en dehors de cette rupture.
Du reste, tous les nouveaux "maîtres-à-penser" sortant de leur sommeil, réveillés par la montée vertigineuse de milliards d'hommes en haillons, effrayés par la menace que fait peser sur leur digestion cette multitude traquée par la faim, commencent à remodeler leurs discours et, dans une quête anxieuse, recherchent une fois de plus en nos lieu et place, des concepts-miracles, de nouvelles formes de développement pour nos pays. Il suffit pour s'en convaincre de lire les nombreux actes des innombrables colloques et séminaires.

Loin de moi l'idée de tourner en ridicule les efforts patients de ces intellectuels honnêtes qui, parce qu'ils ont des yeux pour voir, découvrent les terribles conséquences des ravages imposés par lesdits "spécialistes" en développement dans le Tiers Monde. La crainte qui m'habite c'est de voir les résultats de tant d'énergies confisquées par les Prospéro de tout genre pour en faire la baguette magique destinée à nous renvoyer à un monde d'esclavage maquillé au goût de notre temps.
Cette crainte se justifie d'autant plus que la petite bourgeoisie africaine diplômée, sinon celle du Tiers Monde, soit par paresse intellectuelle, soit plus simplement parce qu'ayant goûté au mode de vie occidental, n'est pas prête à renoncer à ses privilèges. De ce fait, elle oublie que toute vraie lutte politique postule un débat théorique rigoureux et elle refuse l'effort de réflexion qui nous attend. Consommatrice passive et lamentable, elle se regorge de vocables fétichisés par l'Occident comme elle le fait de son whisky et de son champagne, dans ses salons à l'harmonie douteuse.
On recherchera en vain depuis les concepts de négritude ou d'"African Personality" marqués maintenant par les temps, des idées vraiment neuves issues des cerveaux de nos "grands" intellectuels. Le vocabulaire et les idées nous viennent d'ailleurs. Nos professeurs, nos ingénieurs et nos économistes se contentent d'y adjoindre des colorants parce que, des universités européennes dont ils sont les produits, ils n'ont ramené souvent que leurs diplômes et le velours des adjectifs ou des superlatifs.
Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu'il n'y a pas d'écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d'hier et d'aujourd'hui, le monopole de la pensée, de l'imagination et de la créativité. Il faut, avant qu'il ne soit trop tard, car il est déjà trop tard, que ces élites, ces hommes de l'Afrique, du Tiers Monde, reviennent à eux-mêmes, c'est-à-dire à leur société, à la misère dont nous avons hérité pour comprendre non seulement que la bataille pour une pensée au service des masses déshéritées n'est pas vaine, mais qu'ils peuvent devenir crédibles sur le plan international, qu'en inventant réellement, c'est-à-dire, en donnant de leurs peuples une image fidèle. Une image qui leur permette de réaliser des changements profonds de la situation sociale et politique, susceptibles de nous arracher à la domination et à l'exploitation étrangères qui livre nos Etats à la seule perspective de la faillite.
C'est ce que nous avons perçu, nous, peuple burkinabè, au cours de cette nuit du 4 août 1983, aux premiers scintillements des étoiles dans le ciel de notre Patrie. Il nous fallait prendre la tête des jacqueries qui s'annonçaient dans les campagnes affolées par l'avancée du désert, épuisées par la faim et la soif et délaissées. Il nous fallait donner un sens aux révoltes grondantes des masses urbaines désœuvrées, frustrées et fatiguées de voir circuler les limousines des élites aliénées qui se succédaient à la tête de l'Etat et qui ne leur offraient rien d'autre que les fausses solutions pensées et conçues par les cerveaux des autres. Il nous fallait donner une âme idéologique aux justes luttes de nos masses populaires mobilisées contre l'impérialisme monstrueux. A la révolte passagère, simple feu de paille, devait se substituer pour toujours la révolution, lutte éternelle contre la domination.
D'autres avant moi ont dit, d'autres après moi diront à quel point s'est élargi le fossé entre les peuples nantis et ceux qui n'aspirent qu'à manger à leur faim, boire à leur soif, survivre et conserver leur dignité. Mais nul n'imaginera à quel point " le grain du pauvre a nourri chez nous la vache du riche".
Dans le cas de l'ex Haute Volta, le processus était encore plus exemplaire. Nous étions la condensation magique, le raccourci de toutes les calamités qui ont fondu sur les pays dits "en voie de développement". Le témoignage de l'aide présentée comme la panacée et souvent trompetée, sans rime ni raison, est ici éloquent. Très peu sont les pays qui ont été comme le mien inondés d'aides de toutes sortes. Cette aide est en principe censée œuvrer au développement. On cherchera en vain dans ce qui fut autrefois la Haute-Volta, les singes de ce qui peut relever d'un développement. Les hommes en place, soit par naïveté, soit par égoïsme de e, n'ont pas pu on n'ont pas voulu maîtriser cet afflux extérieur, en saisir la portée et exprimer des exigences dans l'intérêt de notre peuple.
Analysant un tableau publié en 1983 par le Club du Sahel, Jacques Giri dans son ouvrage "Le Sahel Demain", conclut avec beaucoup de bon sens que l'aide au Sahel, à cause de son contenu et des mécanismes en place, n'est qu'une aide à la survie. Seuls, souligne-t-il, 30 pour cent de cette aide permet simplement au Sahel de vivre. Selon Jacques Giri, cette aide extérieure n'aurait d'autres buts que de continuer à développer les secteurs improductifs, imposant des charges intolérables à nos petits budgets, désorganisant nos campagnes, creusant les déficits de notre balance commerciale, accélérant notre endettement.

Juste quelques clichés pour présenter l'ex Haute-Volta :
- 7 millions d'habitants, avec plus de 6 millions de paysannes et de paysans
- Un taux de mortalité infantile estimé à 180 pour mille
- Une espérance de vie se limitant à 40 ans
- Un taux d'analphabétisme allant jusqu'à 98 pour cent, si nous concevons l'alphabétisé comme celui qui sait lire, écrire et parler une langue.
- Un médecin pour 50000 habitants
- Un taux de scolarisation de 16 pour cent
- et enfin un produit intérieur brut par tête d'habitant de 53356 francs CFA soit à peine plus de 100 dollars.
Le diagnostic à l'évidence, était sombre. La source du mal était politique. Le traitement ne pouvait qu'être politique.
Certes nous encourageons l'aide qui nous aide à nous passer de l'aide. Mais en général, la politique d'assistance et d'aide n'a abouti qu'à nous désorganiser, à nous asservir, à nous déresponsabiliser dans notre espace économique, politique et culturel.
Nous avons choisi de risquer de nouvelles voies pour être plus heureux. Nous avons choisi de mettre en place de nouvelles techniques.
Nous avons choisi de rechercher des formes d'organisation mieux adaptées à notre civilisation, rejetant de manière abrupte et définitive toutes sortes de diktats extérieurs, pour créer ainsi les conditions d'une dignité à la hauteur de nos ambitions. Refuser l'état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d'un immobilisme moyenâgeux ou d'une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l'avenir. Briser et reconstruire l'administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation patriotique, un militaire n'est qu'un criminel en puissance. Tel est notre programme politique.
Au plan de la gestion économique, nous apprenons à vivre simplement, à accepter et à nous imposer l'austérité afin d'être à même de réaliser de grands desseins.
Déjà, grâce à l'exemple de la Caisse de solidarité nationale, alimentée par des contributions volontaires, nous commençons à répondre aux cruelles questions posées par la sécheresse. Nous avons soutenu et appliqué les principes d'Alma-Ata en élargissant le champ des soins de santé primaires. Nous avons fait nôtre, comme politique d'Etat, la stratégie du GOBI FFF, préconisée par l'UNICEF.
Par l'intermédiaire de l'Office du Sahel des Nations Unies (OSNU), nous pensons que les Nations unies devraient permettre aux pays touchés par la sécheresse la mise sur pied d'un plan moyen et long termes afin de parvenir à l'autosuffisance alimentaire.
Pour préparer le vingt et unième siècle, nous avons, par la création d'une tranche spéciale de la Tombola, "Instruisons nos enfants", lancé une campagne immense pour l'éducation et la formation de nos enfants dans une école nouvelle. Nous avons lancé à travers l'action salvatrice des Comités de Défense de la Révolution un vaste programme de construction de logements sociaux, 500 en trois mois, de routes, de petites retenues d'eau etc... Notre ambition économique est d'œuvrer pour que le cerveau et les bras de chaque burkinabè puissent au moins lui servir à inventer et à créer de quoi s'assurer deux repas par jour et de l'eau potable.
Nous jurons, nous proclamons, que désormais au Burkina Faso, plus rien ne se fera sans la participation des burkinabè. Rien qui n'ait été au préalable décidé par nous, élaboré par nous. Il n'y aura plus d'attentat à notre pudeur et à notre dignité.
Forts de cette certitude, nous voudrions que notre parole s'élargisse à tous ceux qui souffrent dans leur chair, tous ceux qui sont bafoués dans leur dignité d'homme par un minorité d'hommes ou par un système qui les écrase.
Permettez, vous qui m'écoutez, que je le dise : je ne parle pas seulement au nom du Burkina Faso tant aimé mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part.
Je parle au nom de ces millions d'êtres qui sont dans les ghettos parce qu'ils ont la peau noire ou qu'ils sont de culture différente et bénéficient d'un statut à peine supérieur à celui d'un animal. 
Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves afin qu'ils n'aspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse s'enrichir en convolant en noces heureuses au contact d'autres cultures, y compris celle de l'envahisseur. 
Je m'exclame au nom des chômeurs d'un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celle des plus nantis. 
Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d'un système d'exploitation imposé par les mâles. Pour ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes les suggestions du monde entier, nous permettant de parvenir à l'épanouissement total de la femme burkinabée. En retour, nous donnons en partage à tous les pays, l'expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l'appareil de l'État et de la vie sociale au Burkina Faso. Des femmes qui luttent et proclament avec nous, que l'esclave qui n'est pas capable d'assumer sa révolte ne mérite pas que l'on s'apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s'il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d'un maître qui prétend l'affranchir. Seule la lutte libère et nous en appelons à toutes nos sœurs de toutes les races pour qu'elles montent à l'assaut pour la conquête de leurs droits.
Je parle au nom des mères de nos pays démunis, qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu'il existe, pour les sauver, des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d'hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d'une régularité à vous donner, non, plutôt à nous donner, à nous autres du Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par l'OMS et l'UNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser 
Je parle aussi au nom de l'enfant. L'enfant du pauvre, qui a faim et qui louche furtivement vers l'abondance amoncelée dans une boutique pour riches. La boutique protégée par une vitre épaisse. La vitre défendue par une grille infranchissable. Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. Ce policier, placé là par le père d'un autre enfant qui viendra se servir ou plutôt se faire servir parce que représentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistiques du système. 
Je parle au nom des artistes (poètes, peintres, sculpteur, musiciens, acteurs), hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l'alchimie des prestidigitations de show-business. 
Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge pour ne pas subir les dures lois du chômage.
Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l'esclavage modernes.

Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l'humanité, mais aussi et surtout des espérances de nos luttes. C'est pourquoi je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons d'une science accaparée par les marchands de canons. Mes pensées vont à tous ceux qui sont touchés par la destruction de la nature et à ces trente millions d'hommes qui vont mourir comme chaque année, abattus par la redoutable arme de la faim.
Militaire, je ne peux oublier ce soldat obéissant aux ordres, le doigt sur la détente, et qui sait que la balle qui va partir ne porte que le message de la mort. 
Enfin, je veux m'indigner en pensant aux Palestiniens qu'une humanité inhumaine a choisi de substituer à un autre peuple, hier encore martyrisé. Je pense à ce vaillant peuple palestinien, c'est-à-dire à ces familles atomisées errant de par le monde en quête d'un asile. Courageux, déterminés, stoïques et infatigables, les Palestiniens rappellent à chaque conscience humaine la nécessité et l'obligation morale de respecter les droits d'un peuple : avec leurs frères juifs, ils sont antisionistes. 
Aux côtés de mes frères soldats de l'Iran et de l'Irak, qui meurent dans une guerre fratricide et suicidaire, je veux également me sentir proche des camarades du Nicaragua dont les ports sont minés, les villes bombardées et qui, malgré tout, affrontent avec courage et lucidité leur destin. Je souffre avec tous ceux qui, en Amérique latine, souffrent de la mainmise impérialiste. 
Je veux être aux côtés des peuples afghan et irlandais, aux côtés des peuples de Grenade et de Timor Oriental, chacun à la recherche d'un bonheur dicté par la dignité et les lois de sa culture. 
Je m'élève ici au nom des tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils pourront faire entendre leur voix et la faire prendre en considération réellement. Sur cette tribune beaucoup m'ont précédé, d'autres viendront après moi. Mais seuls quelques uns feront la décision. Pourtant nous sommes officiellement présentés comme égaux. Eh bien, je me fais le porte voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde, ils peuvent se faire entendre. Oui je veux donc parler au nom de tous les "laissés pour compte" parce que "je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger".
Notre révolution au Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s'inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l'Humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du Tiers Monde. Nous sommes à l'écoute des grands bouleversements qui ont transformé le monde. Nous tirons des leçons de la révolution américaine, les leçons de sa victoire contre la domination coloniale et les conséquences de cette victoire. Nous faisons nôtre l'affirmation de la doctrine de la non-ingérence des Européens dans les affaires américaines et des Américains dans les affaires européennes. Ce que Monroe clamait en 1823, « L'Amérique aux Américains », nous le reprenons en disant « l'Afrique aux Africains », « Le Burkina aux Burkinabè ». La Révolution française de 1789, bouleversant les fondements de l'absolutisme, nous a enseigné les droits de l'homme alliés aux droits des peuples à la liberté. La grande révolution d'octobre 1917 a transformé le monde, permis la victoire du prolétariat, ébranlé les assises du capitalisme et rendu possible les rêves de justice de la Commune française. 
Ouverts à tous les vents de la volonté des peuples et de leurs révolutions, nous instruisant aussi de certains terribles échecs qui ont conduits à de tragiques manquements aux droits de l'homme, nous ne voulons conserver de chaque révolution, que le noyau de pureté qui nous interdit de nous inféoder aux réalités des autres, même si par la pensée, nous nous retrouvons dans une communauté d'intérêts.

Monsieur les Président,
Il n'y a plus de duperie possible. Le Nouvel Ordre Economique Mondial pour lequel nous luttons et continuerons à lutter, ne peut se réaliser que :
- si nous parvenons à ruiner l'ancien ordre qui nous ignore
- si nous imposons la place qui nous revient dans l'organisation politique du monde,
- si, prenant conscience de notre importance dans le monde, nous obtenons un droit de regard et de décision sur les mécanismes qui régissent le commerce, l'économie et la monnaie à l'échelle planétaire.
Le Nouvel Ordre Economique international s'inscrit tout simplement, à côté de tous les autres droits des peuples, droit à l'indépendance, au libre choix des formes et de structures de gouvernement, comme le droit au développement. Et comme tous les droits des peuples, il s'arrache dans la lutte et par la lutte des peuples. Il ne sera jamais le résultat d'un acte de la générosité d'une puissance quelconque. 
Je conserve en moi la confiance inébranlable, confiance partagée avec l'immense communauté des pays non-alignés, que sous les coups de boutoir de la détresse hurlante de nos peuples, notre groupe va maintenir sa cohésion, renforcer son pouvoir de négociation collective, se trouver des alliés parmi les nations et commencer, de concert avec ceux qu peuvent encore nous entendrez, l'organisation d'un système de relations économiques internationales véritablement nouveau.
Monsieur le Président,
Si j'ai accepté de me présenter devant cette illustre assemblée pour y prendre la parole, c'est parce que malgré les critiques qui lui sont adressées par certains grands contributeurs, les Nations Unies demeurent la tribune idéale pour nos revendications, le lieu obligé de la légitimité des pays sans voix.
C'est cela qu'exprime avec beaucoup de justesse notre Secrétaire général lorsqu'il écrit :
"L'organisation des Nations Unies est unique en ce qu'elle reflète les aspirations et les frustrations de nombreux pays et gouvernements du monde entier. Un de ses grands mérites est que toutes les Nations, y compris celles qui sont faibles, opprimées ou victimes de l'injustice, (il s'agit de nous), peuvent, même lorsqu'elles sont confrontées aux dures réalités du pouvoir, y trouver une tribune et s'y faire entendre. Une cause juste, même si elle ne rencontre que revers ou indifférence, peut trouver un écho à l'Organisation des Nations Unies ; cet attribut de l'Organisation n'est pas toujours prisé, mais il n'en est pas moins essentiel".
On ne peut mieux définir le sens et la portée de l'Organisation.
Aussi est-il, pour chacun de nous, un impératif catégorique de consolider les assises de notre Organisation, de lui donner les moyens de son action. Nous adoptons en conséquence, les propositions faîtes à cette fin par le Secrétaire Général, pour sortir l'Organisation des nombreuses impasses, soigneusement entretenues par le jeu des grandes puissances afin de la discréditer aux yeux de l'opinion publique.
Monsieur le Président,
Reconnaissant les mérites mêmes limités de notre Organisation, je ne peux que me réjouir de la voir compter de nouveaux adhérents. C'est pourquoi la délégation burkinabè salue l'entrée du 159ème membre de notre Organisation : l'Etat du Brunei Darussalam.
C'est la déraison de ceux entre les mains desquelles la direction du monde es tombée par le hasard des choses qui fait l'obligation au Mouvement des pays non alignés, auquel je l'espère, se joindra bientôt l'Etat du Brunei Darussalam, de considérer comme un des objectifs permanents de sa lutte, le combat pour le désarmement qui est un des aspects essentiels et une condition première de notre droit au développement.
Il faut, à notre avis des études sérieuses prenant en compte tous les éléments qui ont conduit aux calamités qui ont fondu sur le monde. A ce titre, le Président Fidel Castro en 1979, a admirablement exprimé notre point de vue à l'ouverture du sixième sommet des Pays non alignés lorsqu'il déclarait : 
"Avec 300 milliards de dollars, on pourrait construire en un an 600000 écoles pouvant recevoir 400 millions d'enfants ; ou 60 millions de logements confortables pour 300 millions de personnes ; ou 30000 hôpitaux équipés de 18 millions de lits ; ou 20000 usines pouvant employer plus de 20 millions de travailleurs ou irriguer 150 millions d'hectares de terre qui, avec les moyens techniques adéquats pourraient alimenter un milliard de personnes..."
En multipliant aujourd'hui ce chiffre par 10, je suis certainement en deçà de la réalité, on réalise ce que l'Humanité gaspille tous les ans dans le domaine militaire, c'est-à-dire contre la paix.
On perçoit aisément pourquoi l'indignation des peuples se transforme rapidement en révolte et en révolution devant les miettes qu'on leur jette sous la forme ignominieuse d'une certaine "aide", assortie de conditions parfois franchement abjectes. On comprend enfin pourquoi dans le combat pour le développement, nous nous désignons comme des militants inlassables de la paix.
Nous faisons le serment de lutter pour atténuer les tensions, introduire les principes d'une vie civilisée dans les relations internationales et les étendre à toutes les parties du monde. Ce qui revient à dire que nous ne pouvons assister passifs, au trafic des concepts.
Nous réitérons notre résolution d'être des agents actifs de la paix ; de tenir notre place dans le combat pour le désarmement ; d'agir enfin dans la politique internationale comme le facteur décisif, libéré de toute entrave vis-à-vis de toutes les grandes puissances, quels que soient les projets de ces dernières.
Mais la recherche de la paix va de pair avec l'application ferme du droit des pays à l'indépendance, des peuples à la liberté et des nations à l'existence autonome. Sur ce point, le palmarès le plus pitoyable, le plus lamentable _ oui, le plus lamentable_ est détenu au Moyen Orient en termes d'arrogance, d'insolence et d'incroyable entêtement par un petit pays, Israël, qui, depuis, plus de vingt ans, avec l'inqualifiable complicité de son puissant protecteur les Etats-Unis, continue à défier la communauté internationale.
Au mépris d'une histoire qui hier encore, désignait chaque Juif à l'horreur des fours crématoires, Israël en arrive à infliger à d'autres ce qui fut son propre calvaire. En tout état de cause, Israël dont nous aimons le peuple pour son courage et ses sacrifices d'hier, doit savoir que les conditions de sa propre quiétude ne résident pas dans sa puissance militaire financée de l'extérieur. Israël doit commencer à apprendre à devenir une nation comme les autres, parmi les autres.
Pour l'heure, nous tenons à affirmer du haut de cette tribune, notre solidarité militante et agissante à l'endroit des combattants, femmes et hommes, de ce peuple merveilleux de la Palestine parce que nous savons qu'il n'y a pas de souffrance sans fin.
Monsieur, le Président,
Analysant la situation qui prévaut en Afrique sur les plans économique et politique, nous ne pouvons pas ne pas souligner les graves préoccupations qui sont les nôtres, face aux dangereux défis lancés aux droits des peuples par certaines nations qui, sûres de leurs alliances, bafouent ouvertement la morale internationale.
Certes, nous avons le droit de nous réjouir de la décision de retrait des troupes étrangères au Tchad, afin que le Tchadiens entre eux, sans intermédiaire, cherchent les moyens de mettre fin à cette guerre fratricide, et donner enfin à ce peuple qui n'en finit pas de pleurer depuis de nombreux hivernages, les moyens de sécher ses larmes. Mais, malgré les progrès enregistrés çà et là par les peuples africains dans leur lutte pour l'émancipation économique, notre continent continue de refléter la réalité essentielle des contradictions entre les grandes puissances, de charrier les insupportables apories du monde contemporain.
C'est pourquoi nous tenons pour inadmissible et condamnons sans recours, le sort fait au peuple du Sahara Occidental par le Royaume du Maroc qui se livre à des méthodes dilatoires pour retarder l'échéance qui, de toute façon, lui sera imposée par la volonté du peuple sahraoui. Pour avoir visité personnellement les régions libérées par le peuple sahraoui, j'ai acquis la confirmation que plus rien désormais ne saurait entraver sa marche vers la libération totale de son pays, sous la conduite et éclairée du Front Polisario.
Monsieur le Président,
Je ne voudrais pas trop m'étendre sur la question de Mayotte et des îles de l'Archipel malgache. Lorsque les choses sont claires, lorsque les principes sont évidents, point n'est besoin d'élaborer. Mayotte appartient aux Comores. Les îles de l'archipel sont malgaches.
En Amérique Latine, nous saluons l'initiative du Groupe de Contadora, qui constitue une étape positive dans la recherche d'une solution juste à la situation explosive qui y prévaut. Le commandant Daniel Ortega, au nom du peuple révolutionnaire du Nicaragua a fait ici des propositions concrètes et posées des questions de fond à qui de droit. Nous attendons de voir la paix s'installer dans son pays et en Amérique Centrale, le 15 octobre prochain et après le 15 octobre et nous prenons à témoin l'opinion publique mondiale.
De même que nous avons condamné l'agression étrangère de l'île de Grenade, de même nous fustigeons toutes les interventions étrangères. C'est ainsi que nous ne pouvons pas nous taire face à l'intervention militaire en Afghanistan. 
Il est cependant un point, mais dont la gravité exige de chacun de nous une explication franche et décisive. Cette question, vous vous en doutez, ne peut qu'être celle de l'Afrique du Sud. L'incroyable insolence de ce pays à l'égard de toutes les nations du monde, même vis-à-vis de celles qui soutiennent le terrorisme qu'il érige en système pour liquider physiquement la majorité noire de ce pays, le mépris qu'il adopte à l'égard de toutes nos résolutions, constituent l'une des préoccupations les plus oppressantes du monde contemporain.
Mais le plus tragique, n'est pas que l'Afrique du Sud se soit elle-même mise au banc de la communauté internationale à cause de l'abjection des lois de l'apartheid, encore moins qu'elle continue de maintenir illégalement la Namibie sous la botte colonialiste et raciste, ou de soumettre impunément ses voisins aux lois du banditisme. Non, le plus abject, le plus humiliant pour la conscience humaine, c'est qu'elle soit parvenue à "banaliser" le malheur de millions d'êtres humains qui n'ont pour se défendre que leur poitrine et l'héroïsme de leurs mains nues. Sûre de la complicité des grandes puissances et de l'engagement actif de certaines d'entre elles à ses côtés, ainsi que de la criminelle collaboration de quelques tristes dirigeants de pays africains, la minorité blanche ne se gêne pas pour ridiculiser les états d'âme de tous les peuples, qui, partout à travers le monde, trouvent intolérable la sauvagerie des méthodes en usage dans ce pays.
Il fut un temps où les brigades internationales se constituaient pour aller défendre l'honneur des nations agressées dans leur dignité. Aujourd'hui, malgré la purulence des plaies que nous portons tous à nos flancs, nous allons voter des résolutions dont les seules vertus, nous dira-t-on, seraient de conduire à résipiscence une Nation de corsaires qui "détruit le sourire comme le grêle due le fleurs".

Monsieur le Président, 
Nous allons bientôt fêter le cent cinquantième anniversaire de l'émancipation des esclaves de l'Empire britannique. Ma délégation souscrit à la proposition des pays d'Antigua et de la Barbade de commémorer avec éclat cet événement qui revêt, pour les pays africains et le monde noir, une signification d'une très grande importance. Pour nous, tout ce qui pourra être fait, dit ou organisé à travers le monde au cours des cérémonies commémoratives devra mettre l'accent sur le terrible écot payé par l'Afrique et le monde noir, au développement de la civilisation humaine. Ecot payé sans retour et qui explique, sans aucun doute, les raisons de la tragédie d'aujourd'hui sur notre continent.
C'est notre sang qui a nourri l'essor du capitalisme, rendu possible notre dépendance présente et consolidé notre sous-développement. On ne peut plus escamoter la vérité, trafiquer les chiffres. Pour chaque Nègre parvenu dans les plantations, cinq au moins connurent la mort ou la mutilation. Et j'omets à dessein, la désorganisation du continent et les séquelles qui s'en sont suivies.
Monsieur le Président, 
Si la terre entière, grâce à vous, avec l'aide du Secrétaire Général, parvient à l'occasion de cet anniversaire à se convaincre de cette vérité-là, elle comprendra pourquoi, avec toute la tension de notre être, nous voulons la paix entre les nations, pourquoi nous exigeons et réclamons notre droit au développement dans l'égalité absolue, par une organisation et une répartition des ressources humaines.
C'est parce que de toutes les races humaines, nous appartenons à celles qui ont le plus souffert, que nous nous sommes jurés, nous burkinabè, de ne plus jamais accepter sur la moindre parcelle de cette terre, le moindre déni de justice. C'est le souvenir de la souffrance qui nous place aux côtés de l'OLP contre les bandes armées d'Israël. C'est le souvenir de cette souffrance qui, d'une part, nous fait soutenir l'ANC et la SWAPO, et d'autre part, nous rend intolérable la présence en Afrique du Sud des hommes qui se disent blancs et qui brûlent le monde à ce titre. C'est enfin ce même souvenir qui nous fait placer l'Organisation des Nations Unies toute notre foi dans un devoir commun, dans un tâche commune pour un espoir commun.
Nous réclamons :
- Que s'intensifie à travers le monde la campagne pour la libération de Nelson Mandela et sa présence effective à la prochaine Assemblée générale de l'ONU comme une victoire de fierté collective.
- Que soit créé en souvenir de nos souffrances et au titre de pardon collectif un Prix international de l'Humanité réconciliée, décerné à tous ceux qui par leur recherche auraient contribué à la défense des droits de l'homme.
- Que touts les budgets de recherches spatiales soient amputés de 1/10000e et consacrés à des recherches dans le domaine de la santé et visant à la reconstitution de l'environnement humain perturbé par tous ces feux d'artifices nuisibles à l'écosystème
Nous proposons également que les structures des Nations Unies soient repensées et que soit mis fin à ce scandale que constitue le droit de veto. Bien sûr, les effets pervers de son usage abusif sont atténués par la vigilance de certains de ses détenteurs. Cependant, rien ne justifie ce droit : ni la taille des pays qui le détiennent ni les richesses de ces derniers.
Si l'argument développé pour justifier une telle iniquité est le prix payé au cours de la guerre mondiale, que ces nations, qui se sont arrogé ces droits, sachent que nous aussi nous avons chacun un oncle ou un père qui, à l'instar de milliers d'autres innocents arrachés au Tiers Monde pour défendre les droits bafoués par les hordes hitlériennes, porte lui aussi dans sa chair les meurtrissures des balles nazies. Que cesse donc l'arrogance des grands qui ne perdent aucune occasion pour remettre en cause le droit des peuples. L'absence de l'Afrique du Club de ceux qui détiennent le droit de veto est une injustice qui doit cesser.
Enfin ma délégation n'aurait pas accompli tous ses devoirs si elle n'exigeait pas la suspension d'Israël et le dégagement pur et simple de l'Afrique du Sud de notre organisation. Lorsque, à la faveur du temps, ces pays auront opéré la mutation qui les introduira dans la Communauté internationale, chacun de nous nous, et mon pays en tête, devra les accueillir avec bonté, guider leur premier pas. 
Nous tenons à réaffirmer notre confiance en l'Organisation des Nations Unies. Nous lui sommes redevables du travail fourni par ses agences au Burkina Faso et de la présence de ces dernières à nos côtés dans les durs moments que nous t traversons.
Nous sommes reconnaissants aux membres du Conseil de Sécurité de nous avoir permis de présider deux fois cette année les travaux du Conseil. Souhaitons seulement voir le Conseil admettre et appliquer le principe de la lutte contre l'extermination de 30 millions d'êtres humains chaque année, par l'arme de la faim qui, de nos jours, fait plus de ravages que l'arme nucléaire.
Cette confiance et cette foi en l'Organisation me fait obligation de remercier le Secrétaire général, M. Xavier Pérez de Cuellar, de la visite tant appréciée qu'il nous a faite pour constater, sur le terrain, les dures réalités de notre existence et se donner une image fidèle de l'aridité du Sahel et la tragédie du désert conquérant.
Je ne saurai terminer sans rendre hommage aux éminentes qualités de notre Président (Paul Lusaka de Zambie) qui saura, avec la clairvoyance que nous lui connaissons, diriger les travaux de cette Trente-neuvième session.

Monsieur le Président, 
J'ai parcouru des milliers de kilomètres. Je suis venu pour demander à chacun de vous que nous puissions mettre ensemble nos efforts pour que cesse la morgue des gens qui n'ont pas raison, pour que s'efface le triste spectacle des enfants mourant de faim, pour que disparaisse l'ignorance, pour que triomphe la rébellion légitime des peuples, pour que se taise le bruit des armes et qu'enfin, avec une seule et même volonté, luttant pour la survie de l'Humanité, nous parvenions à chanter en chœur avec le grand poète Novalis :
"Bientôt les astres reviendront visiter la terre d'où ils se sont éloignés pendant nos temps obscurs ; le soleil déposera son spectre sévère, redeviendra étoile parmi les étoiles, toutes les races du monde se rassembleront à nouveau, après une longue séparation, les vieilles familles orphelines se retrouveront et chaque jour verra de nouvelles retrouvailles, de nouveaux embrassement ; alors les habitants du temps jadis reviendront vers la terre, en chaque tombe se réveillera la cendre éteinte, partout brûleront à nouveau les flammes de la vie, le vieilles demeures seront rebâties, les temps anciens se renouvelleront et l'histoire sera le rêve d'un présent à l'étendue infinie".

La Patrie ou la mort, nous vaincrons !
Je vous remercie.

https://www.facebook.com/mohamed.futuwwa/posts/1955767961311155

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"Qui a fait tuer Sankara ? (Partie 5)– Sankara et ses ennemis : ce que disent les archives

Publié le par S. Sellami

Toutes les archives de la diplomatie française sur les années Sankara ne sont pas encore disponibles. RFI a cependant pu consulter de nombreuses notes et télégrammes diplomatiques. Ces documents rendent compte de la multiplicité des regards que les responsables français portent, à l’époque, sur le « bouillant capitaine » burkinabè.

On y découvre des hauts fonctionnaires tantôt compréhensifs, tantôt inquiets. D’aucuns craignent que le jeune officier ne fasse des émules dans toute l’Afrique de l’Ouest. Certains documents illustrent les liens étroits entre Félix Houphouët-Boigny et Blaise Compaoré, frère ennemi de Sankara. D’autres encore s’interrogent sur le jeu du colonel Kadhafi au Burkina Faso. Au point de soupçonner le guide libyen d’avoir été mêlé au complot qui a coûté la vie au « camarade président ». 

Il est 16h30 à Ouagadougou. Premiers coups de feu. Premiers mouvements de panique. Des hommes de la garde présidentielle postés aux abords de l’ambassade de France ont ouvert le feu « sans cible précise ». C’est, du moins, ce que précise le premier télégramme que l’ambassadeur transmet à Paris en ce 15 octobre 1987. Moins de deux heures plus tard, le Front populaire, qui vient de prendre le pouvoir, qualifie le capitaine Sankara de « traître à la révolution d’août », de « renégat » et « d’autocrate ».

Le « camarade » Blaise Compaoré annonce un « processus de rectification ». Le lendemain, l’ambassadeur Alain Deschamps rapporte une première version de la mort de Sankara(très différente de celle, trente ans plus tard, de l’unique survivant de la fusillade). Il « aurait été blessé » par une grenade, alors qu’il sortait de sa voiture dans l’enceinte du Conseil de l’entente, puis achevé « à coups de Kalachnikov ». Son corps a ensuite été inhumé dans le plus grand secret.

Une patrouille à Koudougou le 20 octobre 1987. © François Rojon / AFP

Le diplomate parle pour la première fois d’un « coup », mais en mettant des guillemets, et citant l’ambassadeur des Pays-Bas : « Selon mon collègue, auquel je laisse l’entière responsabilité de ses propos, le « coup » aurait été précipité dans la crainte que Thomas Sankara, peu assuré de l’appui des chefs militaires, ne fasse appel aux Cubains. » Dès le 16 octobre commence à circuler la thèse de la « légitime défense » : les insurgés, se sentant menacés, voulaient prendre le président Sankara de vitesse en procédant à son arrestation. Le capitaine Arsène Bongnessan Ye, un porte-parole du Front populaire, explique aux diplomates étrangers à Ouagadougou que le chef de l’État, en résistant à son arrestation, « aurait été tué dans la fusillade ». Il n’est plus, dès lors, question de grenade.

Arsène Bongnessan Ye, en août 2013, il était alors ministre d’Etat burkinabé chargé des relations avec le Parlement et des réformes politiques © Ahmed Ouoba / AFP

Quarante-huit heures après le coup d’État, le nouveau chef d’État, Blaise Compaoré, accorde un entretien en tête-à-tête à un premier diplomate étranger, le Français Stéphane Catta troisième secrétaire de l’ambassade. Les dissensions au sein du Conseil de la Révolution, explique l’officier, n’auraient pas dû déboucher sur la violence. Il en fait porter la responsabilité à des commandos de Pô (son fief), « rendus nerveux » par des rumeurs de dissolution de leur corps. « L’apparition inopinée du président Sankara dans l’enceinte du Conseil de l’Entente, au plus fort de la dispute, aurait, selon le capitaine Blaise Compaoré, déclenché une fusillade générale au cours de laquelle le chef de l’État aurait été tué, rapporte l’ambassadeur Deschamps. Le capitaine Blaise Compaoré, prévenu a posteriori, n’a pu se rendre sur les lieux de « l’accident » qu’une heure après pour constater avec une grande tristesse le décès de son compagnon. » Il n’est plus question de grenade (la version est là aussi très différente de celle rapportée trente ans plus tard par l’unique survivant de cette fusillade).

Blaise Compaoré, quatre jours après la mort de Thomas Sankara. © AFP

À Paris, cette thèse de « l’accident » est à l’époque considérée comme crédible. Au ministère des Affaires étrangères, selon le « numéro deux » de la Direction des affaires africaines et malgaches (DAAM), Jean-François Lionnet, « Blaise Compaoré, qu’une relation complexe de rivalité-complicité liait à Thomas Sankara, a peut-être ramassé le pouvoir plus qu’il n’a voulu le prendre ». 

Au Quai d’Orsay, on signale que Sankara aurait eu l’intention de créer une garde personnelle, faisant craindre à certains l’apparition d’une « police politique », écrit le directeur de la DAAM, Michel Chatelais, dans une note datée du 6 novembre. L’éventuelle réorganisation des forces de sécurité, souligne-t-il, « donne quelque poids aux craintes exprimées a posteriori par ses compagnons, d’être marginalisés, sinon éliminés ». 

Certains, à Paris, s’interrogent par ailleurs sur le rôle du Français Vincent Sigué dans l’accélération des événements. C’est Vincent Sigué qui a été chargé de créer la FIMATS, la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité. L’homme est un fidèle parmi les fidèles de Sankara. Il a été tué au lendemain du coup d’État. Parfois décrit comme un « mercenaire » ou comme le redouté « chien de garde » du président, cet ancien légionnaire n’hésite pas à employer la méthode forte avec ses hommes. Pour la « cellule Afrique » de l’Élysée, Vincent Sigué a contribué à faire basculer la situation. À Ouagadougou, en février 1988, lors d’un entretien avec le nouveau « numéro un » burkinabè, le conseiller diplomatique Jean Audibert dénonce « l’influence néfaste de Vincent Sigué, qui, par ambition personnelle [a] également poussée le président du Faso à se débarrasser du capitaine Compaoré ». Lors de cet entretien, auquel assiste l’ambassadeur Deschamps, qui en rendra compte dans un télégramme, Jean Audibert soutient que Sigué espérait éliminer Compaoré « au cours des semaines précédant le 15 octobre 1987 ». Si de nombreux diplomates français privilégient la thèse de l’accident, Jean Audibert défend, donc, l’idée d’un coup d’État qui était prévisible, si on se fie au télégramme de l’ambassadeur, daté du 13 février 1988. Il estime qu’il n’a surpris, en France, « que ceux qui ignoraient la gravité des tensions à Ouagadougou ». Une façon on ne peut plus claire de dire qu’il s’y attendait.

Sankara : Une France officielle partagée

À Ouagadougou, l’ambassade de France jouxte le palais présidentiel du président Sankara, le révolutionnaire qui n’a de cesse de dénoncer le néocolonialisme. Mais les diplomates ne sont guère effrayés par celui qui passera un jour pour un « Che » africain. Son marxisme ? Ils le décrivent comme purement « de façade ». Ses conseillers militaires nord-coréens ? De simples « moniteurs de karaté ». Le soutien de l’Union soviétique ? Il se limite à « la fourniture de papier à la presse officielle ». L’envoi de 500 Burkinabè à Cuba ? Des adolescents recrutés dans les familles les plus défavorisées « faute de volontaires ». En ces temps de guerre froide, Sankara pourrait effrayer la diplomatie française, il ne fait que l’inquiéter. Car les diplomates qui se succèdent à Ouagadougou voient en lui un dirigeant nationaliste qui s’inspire moins de Lénine que de René Dumont, l’agronome français.

 

Le capitaine Thomas Sankara le 31 août 1996. © Alexander Joe / AFP

Dans son rapport de fin de mission, en juin 1987, après plus de trois ans dans la capitale burkinabè, l’ambassadeur Jacques Le Blanc loue : « son incontestable bon sens », « son allergie à tout ce qui s’apparente à un culte de la personnalité », « sa réelle intelligence », « ses convictions humanistes », « sa curiosité intellectuelle », « sa capacité à faire marche arrière s’il s’aperçoit qu’il s’est trompé », « son souci de garder le contact avec son opinion », entre autres qualités. L’ambassadeur lui prête aussi, bien sûr, quelques défauts. Sankara ne saurait pas déléguer, s’occuperait de tout dans le détail, travaillant la nuit, sillonnant le pays le jour, essoufflant son entourage. « Il conduit son pays comme une garnison ou un corps de troupe, faisant trembler son monde par ses colères et admettant mal qu’on lui dise son fait », rapporte le diplomate. En matière de défauts, l’Afrique a connu pire… Pour décrire Sankara, un homme inquiet, constamment sur le qui-vive, cet amoureux de la parole et des idées, le diplomate écrit, non sans élégance, « il est de ces hommes qui dorment peu et qui rêvent les yeux ouverts. »

Sankara l’incorruptible

Jacques Foccart, qui n’est plus le « Monsieur Afrique » de l’Élysée, mais celui du Premier ministre, Jacques Chirac, réussit lui aussi à nouer de bons rapports avec Sankara. Leur premier tête-à-tête, en 1986, dure… deux heures et demie ! 

« Le conseiller du Premier ministre pour les Affaires africaines a d’emblée établi un excellent contact avec le président Sankara qui, m’est-il déjà revenu, a été enchanté de cette première rencontre, écrit l’ambassadeur Le Blanc. Le bouillant capitaine a plus particulièrement apprécié de trouver en son visiteur, outre un ancien adepte du parachutisme, un interlocuteur direct et précis auquel il a pu se livrer avec la franchise qu’il affectionne. »

Une problématique résolution sur la Nouvelle-Calédonie

Entre Sankara et Foccart, on peut parler d’échange de bons procédés : le premier se chargera de téléphoner au colonel Kadhafi (pour lui expliquer la position de la France sur le conflit au Tchad). En contrepartie, il demande à Foccart de faire pression sur le président Moussa Traoré du Mali (pour lui conseiller de tenir ses troupes à une certaine distance de la frontière avec le Burkina).

 

Le président malien Moussa Traore en compagnie de Jacques Foccart, le 24 avril 1972. © AFP

Certes, le Burkina de Thomas Sankara et la France de François Mitterrand ont des différends. À Paris, l’officier passe pour un interlocuteur difficile. Il refuse notamment de participer aux sommets France-Afrique, ce qui n’empêchera pas Mitterrand de se rendre à Ouagadougou, en 1986 – une visite qui donnera lieu à une célèbre altercation. 

Le Burkina est coauteur d’une résolution aux Nations unies sur la Nouvelle-Calédonie, où Paris fait face à un soulèvement kanak. Lorsque le ministre français de la Coopération, Michel Aurillac, explique à Sankara, lors d’un déplacement à Ouagadougou, que sa position a été « peu appréciée », le président du Faso dit regretter une approbation « un peu rapide de la résolution ». C’est, du moins, ce que le ministre écrit dans la lettre qu’il adresse au Premier ministre Chirac.

Michel Aurillac © Assemblée nationale

Les difficultés entre le Burkina et la France, son principal bailleur de fonds, sont aussi d’ordre économique. Bien qu’endetté, le Burkina refuse de faire appel au Fonds monétaire international. Au lieu de solliciter un prêt d’ajustement structurel, Ouagadougou adopte un plan de rigueur de sa propre initiative. Mais la France refuse de lui venir en aide tant que Ouagadougou n’aura pas fait appel au… FMI. 

D’autres litiges sont aussi à l’ordre du jour : le Burkina exige un visa d’entrée pour les Français, cherche à contrôler l’activité des ONG et menace de supprimer l’escale de la compagnie aérienne UTA, notamment. 

Le Tchad, où s’opposent la France et la Libye, fait aussi problème. Le « numéro un » burkinabè tente de s’imposer comme médiateur pour aider Ndjamena et Tripoli à trouver une solution à leur litige frontalier au sujet de la bande d’Aouzou. Mais la presse officielle burkinabè soutient Tripoli, ce qui n’échappe pas à l’ambassade de France à Ouaga. 

Au Quai d’Orsay, on insiste dans le même temps, y compris dans les échelons supérieurs de l’administration, sur l’importance de ne pas rompre le dialogue avec Sankara. « Notre intérêt demeure de gérer avec patience et souplesse nos relations avec ce pays », estime le patron des Affaires africaines et malgaches, Michel Chatelais. Comme Sankara représente « les aspirations de larges couches de la jeunesse africaine », ajoute-t-il, l’enjeu dépasse le strict cadre des relations France-Burkina. « L’expérience que nous tentons avec lui aura évidemment valeur d’exemple », assure Michel Chatelais, qui va jusqu’à écrire : « Tout nous pousse à réussir nous aussi, si je puis dire, la révolution burkinabè. » Nous sommes en mars 1987, sept mois avant l’assassinat de Sankara.

« L’expérience que nous tentons avec lui aura évidemment valeur d’exemple. »Michel Chatelais, chef de la direction des Affaires africaines et malgaches

À la même époque, les analystes militaires français jettent un regard nettement plus critique sur le Burkina, selon des notes « confidentiel défense » conservées aux archives du ministère des Affaires étrangères. Dans un document non signé, le secrétariat général à la défense fait valoir que la révolution burkinabè a un pouvoir de contagion en Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire. « Les colonies burkinabè émigrées sont d’ores et déjà les plus acquises à la révolution et propageraient celle-ci – avec ses nouveaux mots d’ordre – dans leur pays d’accueil », peut-on lire. 

Cette communauté, forte de près d’un million de personnes, qu’on dit bien encadrée par des comités de défense de la révolution fidèles à Sankara, serait « la plus dangereuse », soutient ce service du Premier ministre. 

Curieusement, ce n’est pas la révolution en tant que telle, que l’auteur dit craindre, mais ses lendemains : « En cas d’échec de sa révolution, le Burkina Faso risque […] de se transformer en détonateur régional pouvant aller jusqu’à devenir la base privilégiée que la Libye se cherche au sud du Sahara. » 

En juin 1987, une autre note « confidentiel défense » est nettement plus alarmiste. Son titre, « Burkina Faso : est-il trop tard ? », donne le ton. Le processus révolutionnaire connaissant une « accélération prévisible », l’analyste du secrétariat général de la défense s’interroge : « Peut-on espérer en contenir les effets régionaux si cette révolution s’écarte des normes acceptables ? »

 

Commémoration du second anniversaire de la révolution à Ouagadougou, le 4 août 1985.

Il explique pourquoi il craint le pire : le régime burkinabè est en train de se transformer en une démocratie populaire d’inspiration soviétique : tel un parti communiste, le comité national de la révolution rend « totalement artificiel » l’appareil gouvernemental ; une place « très particulière » se dessine au profit de l’URSS; les services de sécurité burkinabè « risquent de passer dans les mains de spécialistes de pays de l’Est ».

« Peut-on espérer en contenir les effets régionaux si cette révolution s’écarte des normes acceptables ? »,s’interroge un analyste du secrétariat général de la défense nationale.

La révolution, craint cet analyste, « pourrait apparaître sous peu comme un modèle pour bon nombre de peuples ». Il est question du Mali (« les Soviétiques ont les moyens de faciliter l’émergence d’un émule du capitaine Sankara dès lors qu’ils auront pénétré les rouages de l’appareil burkinabè »), du Niger (« l’émergence d’un jeune officier « sankariste » n’est plus totalement à exclure ») et même de la Côte d’Ivoire (où le président Houphouët-Boigny « adopte le ton du capitaine Sankara » lorsqu’il dénonce le rôle des grandes places boursières dans la chute du cours des matières premières).

« Une ère de relations plus confiantes et moins passionnelles »

Les relations franco-burkinabè se métamorphoseront après l’assassinat de Sankara, le 15 octobre 1987. Dans un premier temps, une proclamation publique du Front populaire, qui s’empare alors du pouvoir, dénonce la « dérive néocoloniale » du président déchu (laissant supposer que ce dernier s’était trop rapproché de Paris)… Mais, 48 heures plus tard, Compaoré reçoit un premier diplomate étranger – le Français Stéphane Catta– pour lui dire qu’il se soucie au « premier chef » de se rapprocher de la France. Le nouveau président résume, devant l’ambassadeur Alain Deschamps, l’état d’esprit qui doit désormais prévaloir entre les deux pays. « Ni paternalisme, ni complexe de révolté », dit Compaoré, qui n’a pas besoin de préciser qu’il pense à Sankara… Le diplomate est frappé par la réserve et la retenue du capitaine Compaoré, qu’il décrit comme un homme fuyant et prudent. « Cette modestie apparente cache-t-elle le secret d’un grand vide intérieur ou les froids calculs d’un Machiavel africain ? s’interroge-t-il. La plupart des observateurs semblent ignorer en fait quelles peuvent être ses véritables convictions. » Dès le lendemain de l’assassinat de Sankara, un haut fonctionnaire du Quai écrira, peu ou prou, la même chose : « Homme-miroir [Compaoré] n’a jamais reflété à ses interlocuteurs que leur propre image. » Bien qu’énigmatique, le nouveau « numéro un » s’attire vite les félicitations de Paris. Du moins celles de Jean Audibert, conseiller à la « cellule Afrique » de l’Élysée. Lors d’un entretien que lui accorde le nouveau chef de l’État (et donc l’ambassadeur Deschamps rendra compte au Quai), il se félicite de sa « politique d’apaisement » avec Paris, lors d’un entretien, à Ouagadougou, en février 1987, avec Compaoré. Ce dernier se rendra en France, dès l’année suivante, pour un traitement médical, laissant comprendre que le président du Faso ne tournera pas le dos à des pratiques répandues dans les élites africaines. Entre Ouagadougou et Paris, Compaoré inaugure « une ère de relations plus confiantes et moins passionnelles », aux yeux de l’ambassadeur. Elles sont si dépassionnées que Compaoré appelle désormais le diplomate pour parler de… foot. Le chef de l’État lui demande un service : pourrait-il assurer la formation des footballeurs burkinabè en France ? Aussitôt dit, aussitôt fait. Mais les résultats en la matière seront décevants. À l’issue d’une énième défaite des Étalons, Compaoré rappelle l’ambassadeur pour parler longuement de foot, laissant le diplomate perplexe : « Je doute […] que le chef de l’État n’ait pas de plus sérieuses préoccupations que la médiocrité des performances de l’équipe nationale… »

Blaise Compaoré (g) et Thomas Sankara (d). © Pascal Guyot / AFP – Pascal George / AFP
L’homme qui avait la politique en horreur ?
Le « play-boy » Compaoré, son anneau d’or et la Côte d’Ivoire

Angle mort ivoirien et « double jeu » de Kadhafi

Les documents que RFI a pu consulter aux archives du Quai d’Orsay donnent peu d’informations sur l’éventuel rôle de la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny dans la mort de Sankara. Une fiche anonyme, datée du 4 novembre 1987, évoque simplement des facteurs régionaux pour expliquer les faits, c’est-à-dire « les supposées relations privilégiées qu’entretiendrait le président Houphouët-Boigny avec le capitaine Compaoré », sans apporter de précisions. Ce document pointe également (et quelque peu étrangement) une « possible implication soviétique dans l’éviction du président Sankara », sans s’étendre sur le sujet, là non plus. 

Les documents du ministère des Affaires étrangères permettent en revanche de mieux saisir la complexité des relations entre Sankara et le Guide libyen. En 1985, le colonel Kadhafi clame haut et fort devant 45 000 personnes réunies dans un stade de Ouagadougou que le Burkina et la Libye ne sont pas de simples pays frères, mais plutôt « deux jambes d’un même corps ».

Le colonel Kadhafi. © John Downing / Getty Images

Le Guide de la révolution libyenne se présente comme un fidèle allié du Burkina révolutionnaire. Il fait du président du Faso un officier de l’armée libyenne (un colonel, comme lui). Lui promet du pétrole à prix d’ami. Lui livre des Marchetti SF 260, des avions italiens destinés à former ses pilotes militaires. 

Au ministère français des Affaires étrangères, à Paris, certains analystes croient voir au Burkina, un second régime « kadhafiste ». Officiellement, il s’agit bien d’une seconde Jamahiriya (littéralement : État des masses) d’orientation libyenne. Discours anti-impérialiste, mobilisation des masses, mise au pas des tribunaux, mêmes coutumiers : le Burkina du capitaine fait penser à la Libye du colonel. 

Mais, dans la capitale burkinabè, l’ambassadeur de France, Jacques Le Blanc, ne se fie pas aux apparences. Lorsque Kadhafi se rend à Ouagadougou, en décembre 1985, le diplomate constate que l’accueil est « dénué de chaleur », que la présence du Guide suscite même de « l’embarras ». Lors d’une rencontre officielle, les deux hommes d’État, pourtant assis côte à côte, sont « figés et ne se [parlent] pratiquement pas », malgré la présence d’un interprète.

L’ambassadeur Jacques Le Blanc (d) en octobre 1995. © The Dominion / AFP

 

Certes, le capitaine et le colonel sont suffisamment d’accord pour exiger, dans un communiqué, « une juste indemnisation pour les préjudices subis du fait de la colonisation et des séquelles des guerres impérialistes ». Mais Sankara ne dissimule pas son irritation devant les promesses libyennes assorties de conditions. La Libye et le Burkina sont « comme un couple qui tient à afficher une façade de bonne entente bien que se déchirant en privé », confie Sankara à l’ambassadeur Le Blanc. Les sujets de discorde ne manquent pas : Tchad, Front Polisario, Palestine, notamment.

« La Libye vous donnera ce dont vous avez besoin »

Selon Sankara, la querelle (du moins en privé) entre les deux gouvernants remonterait au lendemain du coup d’État du 4 août 1983. Le Conseil national de la Révolution, junte civile et militaire qui prend alors le pouvoir à Ouagadougou, refuse le « pont aérien » que Kadhafi lui propose d’établir pour lui livrer du matériel lourd. Ce dernier, explique Sankara à l’ambassadeur, ne lui a « jamais pardonné ». 

Le Guide déclare que la Libye saura se montrer généreuse, mais le Burkina se voit pressé de s’organiser politiquement sur le modèle libyen (et non soviétique). Plus discrètement, Tripoli demande à Ouagadougou d’accueillir des opposants à des régimes qui lui sont hostiles, notamment le Tchad. Sankara voit d’un mauvais œil ces tentatives d’ingérence dans les affaires de son pays. 

Les relations entre les deux hommes qui, dans un premier temps, s’appellent plusieurs fois par semaine s’enveniment, en septembre 1987, à l’approche du 18e anniversaire du coup d’État de Kadhafi en Libye. Ils ont alors « un vif échange téléphonique » (selon un télégramme français) au sujet du niveau de la représentation burkinabè aux festivités prévues. Sankara ne souhaite pas y aller personnellement. Il dépêchera plutôt son « numéro deux », le capitaine Blaise Compaoré. 

Sankara et Kadhafi avaient déjà eu un désaccord, quelques mois auparavant, à l’approche du 10e anniversaire de la Jamahiriya. Le Guide avait envoyé un avion à Ouagadougou pour prendre Sankara, un procédé qui avait irrité le président du Faso, qui avait délégué son ministre de la Défense, le commandant Lingani, pour le représenter. 

Même s’il était porteur d’un message personnel de Sankara, Kadhafi avait refusé de le recevoir. Et le ministre de rentrer à Ouagadougou par un vol régulier, l’avion dont il avait bénéficié à l’aller lui ayant été refusé au retour…

« Quand on est arrivés, Kadhafi n’était pas content, effectivement » Mohamed Al-Madani Al-Azhari, ancien ambassadeur de Libye à Ouagadougou
 Selon les français, les relations entre les deux Jamahiriya butent, entre autres, sur la construction d’une base militaire libyenne à Pô, près de la frontière avec le Ghana. Auprès de Sankara, Kadhafi se fait insistant. Mais le « bouillant capitaine », malgré son surnom, ne voit pas une telle base d’un bon œil, lui qui espère jouer le rôle de médiateur dans le conflit qui oppose, au Tchad, la Libye et la France. 30 ans plus tard, joint par RFI, l’ancien ambassadeur de Libye à Ouagadougou pendant la révolution sankariste, Mohamed Al-Madani Al-Azhari dément l’existence d’un tel projet.
« La Libye n’a jamais demandé à créer une base au Burkina-Faso » Mohamed Al-Madani Al-Azhari, ancien ambassadeur de Libye à Ouagadougou
 

Kadhafi : ami ou ennemi de Sankara ?

Au Quai d’Orsay, les relations Tripoli-Ouagadougou font l’objet de télégrammes contradictoires. 

Aux yeux de l’ambassadeur Alain Deschamps, qui arrive à Ouagadougou quelques semaines avant l’assassinat de Sankara, ce dernier a pu compter sur le soutien de Kadhafi jusqu’au bout. Car Tripoli devait jouer un rôle de premier plan dans la « purge » que Sankara avait l’intention de lancer contre ses frères d’armes. 

À Ouagadougou, cette thèse est propagée par le capitaine Arsène Bongnessan Ye, porte-parole du Front populaire, qui vient de prendre le pouvoir : le capitaine Compaoré a renversé le président du Faso pour éviter d’être lui-même assassiné par Sankara avec le soutien de la Libye. 

S’appuyant sur une seconde source (non identifiée), l’ambassadeur rapporte que rien de moins qu’un « massacre » des adversaires politiques du président Sankara était prévu. Un Boeing, transportant près de 200 commandos de la garde personnelle de Kadhafi, était même attendu à Ouagadougou, la veille de l’assassinat de Sankara, pour prêter main-forte à ce dernier, ajoute le diplomate. 

À Paris, la thèse de la « purge » a des adeptes à l’Élysée. Jean Audibert, conseiller à la « cellule Afrique » de l’Élysée (aux côtés de Jean-Christophe Mitterrand) soutiendra même que Sankara avait projeté l’élimination de son prédécesseur, le commandant Jean-Baptiste Ouedraogo. (NDLR : à Ouagadougou, trente ans plus tard la thèse de la purge est toujours soutenue par certains, mais ce n’est que l’une des thèses en présence…) 

Dès le lendemain de l’assassinat, Compaoré se contentera d’évoquer, lors d’un entretien avec un diplomate français, Stéphane Catta, « un enchaînement malheureux de circonstances » ayant conduit à la mort de son compagnon de route, un « accident » qui aurait suscité chez lui « une grande tristesse »… 

Malgré la tentative d’assassinat qui le visait, selon la thèse du « complot du 20h00 », lui et ses frères d’armes, Compaoré ne veut pas entendre parler de représailles contre Tripoli. L’ambassadeur Deschamps lui pose la question lors d’un entretien. « À l’égard de la Libye, que certains disaient impliquée dans la purge que le président Sankara devait déclencher le 15 octobre au soir, le président Blaise Compaoré a écarté toute idée de rupture », rapporte le diplomate. 

Rupture ? Pour quoi faire ? Sous le Front populaire, les relations entre les deux pays n’auront de cesse de s’améliorer. À peine deux jours après l’assassinat de Sankara, Kadhafi envoie une voiture blindée au nouveau maître de Ouagadougou. L’ambassadeur Deschamps s’interroge : demande de Compaoré ou « don forcé » ? Les Libyens souhaitent-ils apparaître comme des alliés du nouvel « homme fort » ? L’étaient-ils avant même le coup d’État ? 

C’est le point de vue que défend alors (et défend toujours) l’ambassadeur du Burkina à Tripoli, Mousbila Sankara, un « oncle » du président déchu. Le diplomate burkinabè assure même à l’ambassadeur de France à Tripoli, Michel Lévêque, que l’assassinat a été « commandité par les services libyens ».

Tripoli, le 9 novembre 1987

Après sa disparition, que les médias officiels libyens présentent comme un simple « éloignement du pouvoir », les autorités libyennes prennent l’ambassadeur en grippe. Il n’est plus autorisé à quitter la Libye. Ses liaisons téléphoniques et télex sont coupés. Aucun responsable libyen ne lui accorde plus d’entretien, pas même pour lui présenter des condoléances. Devant son homologue français, l’ambassadeur burkinabè met en cause un proche de Compaoré, le lieutenant Gilbert Diendéré. Le futur chef d’état-major personnel de Compaoré est, affirme-t-il, « directement lié » aux services spéciaux libyens. Il accuse Compaoré d’être « directement impliqué » dans le guet-apens qui a coûté la vie à Thomas Sankara. Pour son « oncle », il ne fait aucun doute que « l’assassinat du président du Burkina a été muri et organisé de connivence entre le colonel Kadhafi et le capitaine Blaise Compaoré ».

Une révolution trop modérée au goût de Tripoli

L’ambassadeur burkinabè explique que les autorités libyennes lui ont souvent fait part de leur mécontentement : la politique de Sankara n’aurait pas « été assez radicale, tant à l’égard du Tchad, qu’à l’encontre de la France et des pays africains modérés ». Au même moment, souligne-t-il, Kadhafi et Compaoré nouaient, en toute discrétion, des relations de plus en plus étroites. Lors des festivités du 18e anniversaire de la révolution, auxquelles Compaoré participe, l’ambassadeur du Burkina dit avoir été « évincé » de ses entretiens avec Kadhafi. (En principe, l’ambassadeur aurait dû y assister puisque Compaoré n’était pas encore chef d’État.) Plus curieusement encore, lors de cette visite, l’ambassadeur du Burkina n’aura aucun contact avec Compaoré pendant 48 heures…

Blaise Compaoré (g) et Mouammar Kadhafi le 3 avril 2007. © Seyllou Diallo / AFP

Quant à l’envoi de commandos libyens à Ouaga, il répondait, selon Mousbila Sankara, à un plan conçu par Kadhafi et Compaoré pour – non pas participer à une « purge » anti-Compaoré –, mais plutôt pour porter ce dernier au pouvoir. Si les 200 militaires libyens ne sont jamais intervenus, c’est « parce que le coup d’État avait déjà eu lieu et que cette aide n’était plus nécessaire », estime l’ambassadeur Sankara. Ce dernier souligne, par ailleurs, que de nombreux responsables libyens se sont rendus dans la capitale burkinabè peu de temps avant et peu de temps après le coup d’État. Moussa Koussa, patron des comités révolutionnaires, de la sécurité et du renseignement libyens, a même été reçu par Compaoré le jour même de l’assassinat de Sankara… 

30 ans plus tard, l’ancien ambassadeur de Libye au Burkina-Faso Mohamed Al-Madani Al-Azhari dément, lui, toute complicité de la Libye et de Kadhafi dans l’assassinat de Sankara… Il soutient au contraire s’être personnellement engagé le 26 septembre 1987 pour réconcilier Sankara et Compaoré.

« Sankara me dit ‘non, ce n’est pas la peine, il n’y a pas de problème entre nous’ » Mohamed Al-Madani Al-Azhari, ancien ambassadeur de Libye à Ouagadougou

 Après la mort de Sankara, la présence libyenne au Burkina gagnera en tout cas en importance. Un diplomate égyptien en poste à Ouaga s’en inquiètera, déplorant ce « net rapprochement entre le président Compaoré et Tripoli ». « L’ensemble de ces événements va à l’encontre des idées généralement avancées, mais paraît assez troublant, écrit l’ambassadeur Lévêque. « Rien n’exclut que le colonel Kadhafi, certainement au courant des dissensions entre les dirigeants du Burkina, ait pour le moins joué un double jeu escomptant, dans tous les cas, tirer avantage de la faiblesse de ses obligés. » En janvier 1988, moins de trois mois après l’assassinat de son prédécesseur, Compaoré se rendra en Libye. Quelque 300 militaires burkinabè s’y trouvent déjà « en stage ». La plupart sont arrivés après et non pas avant le coup d’État du 15 octobre 1987, note l’ambassade de France en Libye. À Ouagadougou, lorsque l’ambassadeur Deschamps aborde le sujet avec Compaoré, ce dernier se fait rassurant : les militaires sont là « en simples touristes »… 

Les documents cités proviennent des archives diplomatiques du ministère français des Affaires étrangères, à La Courneuve, en banlieue parisienne. Ont été consultés, pour la période 1984-1988, les cartons du fonds 2210INVA (Burkina Faso).

 

Par Michel Arseneault – @miko75011

RFI

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KAMEL, tu as merdé, cette fois ci !

Publié le par S. Sellami

                                                      L’image contient peut-être : 2 personnes, personnes souriantes, personnes debout et plein air                                                                                                                                         Kamel David & Leila Slimani

Mon pauvre ami kamel, cette fois tu t'es fais bien avoir car ils t'ont ferré comme un poisson. "fais gaffe à la récupération" te disait sellal mais aussi le ministre de la religion et tes amis(es), également...mais que t'ont ils fait hier à minuit au "coeur de la nuit" d'ARTE à Paris ? une chaine franco-sioniste dans l'âme.
D'emblée, tu prenais la tasse, au sens propre et figuré. ils t'ont flanqué une pouffiasse marrokia (leila slimani), prétendument intellectuelle qui t’enivrait à la bière et te finissait au vin devant tes proches et tes amis(es) très déçus(es).
cette maâza chaâtota (chèvre échevelée) t'enfonçait dans tes déclarations contre le pays mais préservait le sien qui est un pays de lecteurs (sic), dit elle...chouf ya sidi, depuis quand les mrarka dima meztoline lisent ils ?

Une berline de luxe conduite par une jolie créature, de la boisson non-stop, une kahba marrokia qui ne te lâche pas, qui te fait balader à Pigalle et chez les pédés, puis ton "pèlerinage" chez victor hugo où une kabyle admiratrice te déclamait sa flamme, comme par hasard, à ton passage...le décors était planté !

Kamel, tu es mon ami et tes positions anti-kharabo-mouslimoune sont aussi les miennes, de même que ta haine pour le pouvoir et son maudit FLN. je connais ta bonté et ta largesse d'esprit, mais ya sahbi, hier soir tu as merdé grave, ....gros mot.. babaha ya djedek !
                     

https://www.facebook.com/groups/421855747839639/permalink/1946115158747016/

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Question au Président

Publié le par S. Sellami

Ce soir, vous vous apprêtez à faire irruption sur notre petit écran... pour être assailli par des questions auxquelles tout le monde s'attend.

 

Pour briller, je reconnais, vous êtes brillant.

Quant à la vérité, vous avez raison de croire que ce n'est pas le sujet de préoccupation de ceux qui vous ont soutenu et porté aux nues... la vérité n'est pas compatible avec leur sens des réalités...

La France qui a le cœur qui bat pour vous n'attend qu'une chose de vous : que vous rouliez d'autres dans la farine !

Pas de pain, mais de la poudre de Perlimpinpin!

Du vernis pour ceux qui se rongent les ongles, du fond de teint pour ceux qui ont mauvaise mine, de la viande hachée pour ceux qui n'ont pas vos dents, président !

Vos proches vous prennent pour un sultan.

Vos détracteurs vous reprochent d'être insultant.

Et vous, lesquels prenez-vous pour des fainéants ?

Là n'est pas ma question...

Permettez-moi de vous exposer en quelques lignes ma situation de famille.

Je suis mère célibataire, je passe le plus clair de mon temps à m'occuper de mes enfants... les élever... je n'ai pas d'autre ambition...

Je ne suis pas riche. J'ai à peine de quoi leur offrir une soupe de pois chiche... pas de cinéma, pas de resto, pas de concert... à part un ou deux petits jouets chez le chinois d'à côté, tout est trop cher...

Je n'ai que très peu de temps à consacrer à ma propre personne... et pour ne pas le gaspiller, je rédige et réalise un journal d'actualité par jourque je publie sur internet... c'est ma façon d'exister politiquement parlant, d'élever, à ma façon, le niveau du débat public.

Alors ma question, la voici, la voilà :

Accepteriez-vous de partager votre salaire avec moi ?

Pourquoi moi plutôt que quelqu'un d'autre ?

Je vous retourne le compliment : pourquoi vous plutôt que quelqu'un d'autre ?

https://www.lejournaldepersonne.com
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Question au Président

Publié le par S. Sellami

Ce soir, vous vous apprêtez à faire irruption sur notre petit écran... pour être assailli par des questions auxquelles tout le monde s'attend.

 

Pour briller, je reconnais, vous êtes brillant.

Quant à la vérité, vous avez raison de croire que ce n'est pas le sujet de préoccupation de ceux qui vous ont soutenu et porté aux nues... la vérité n'est pas compatible avec leur sens des réalités...

La France qui a le cœur qui bat pour vous n'attend qu'une chose de vous : que vous rouliez d'autres dans la farine !

Pas de pain, mais de la poudre de Perlimpinpin!

Du vernis pour ceux qui se rongent les ongles, du fond de teint pour ceux qui ont mauvaise mine, de la viande hachée pour ceux qui n'ont pas vos dents, président !

Vos proches vous prennent pour un sultan.

Vos détracteurs vous reprochent d'être insultant.

Et vous, lesquels prenez-vous pour des fainéants ?

Là n'est pas ma question...

Permettez-moi de vous exposer en quelques lignes ma situation de famille.

Je suis mère célibataire, je passe le plus clair de mon temps à m'occuper de mes enfants... les élever... je n'ai pas d'autre ambition...

Je ne suis pas riche. J'ai à peine de quoi leur offrir une soupe de pois chiche... pas de cinéma, pas de resto, pas de concert... à part un ou deux petits jouets chez le chinois d'à côté, tout est trop cher...

Je n'ai que très peu de temps à consacrer à ma propre personne... et pour ne pas le gaspiller, je rédige et réalise un journal d'actualité par jourque je publie sur internet... c'est ma façon d'exister politiquement parlant, d'élever, à ma façon, le niveau du débat public.

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Qui a fait tuer Sankara ? (Partie 4) Le rôle de la France soupçons et démentis

Publié le par S. Sellami

C’est une question qui, trente ans après, hante encore les esprits : la France a-t-elle joué un rôle dans l’assassinat de Thomas Sankara ? À cette question, impossible aujourd’hui encore d’apporter une réponse définitive.

Car il n’existe pas, à ce jour, de preuve d’une implication française. Mais le doute persiste. Il est renforcé, trois décennies plus tard, par de nouveaux témoignages. Des confidences d’acteurs de l’époque qui éclairent cette période d’un jour nouveau. 

« Je ne connais pas d’exemple où la France a organisé un assassinat de chef d’Etat africain. » Michel Lunven, adjoint de Jacques Foccart à Matignon

C’est le genre de réponse qui nourrit le soupçon. Et qui témoigne d’un sentiment de malaise. A la question, « la France a-t-elle joué un rôle dans l’assassinat de Thomas Sankara  ? », un diplomate français fin connaisseur du dossier – et qui a souhaité conservé l’anonymat – lâche, après un long silence gêné  : « Vous me permettez de ne pas répondre ? » Et notre interlocuteur de nous mettre en garde  : « personne n’osera vous parler, c’est encore trop bouillant ».

Si le temps a passé, le sujet est toujours aussi sensible. La preuve  ? Certains acteurs de l’époque continuent de se murer dans le silence. Et les rares personnes qui acceptent de témoigner ne le font bien souvent que sous couvert d’anonymat… Signe que trente ans après les faits, les doutes sur une implication française n’ont pas été dissipés, loin de là. 

Des soupçons pourtant balayés d’un revers de main par les proches de Jacques Foccart. « Farfelue… invraisemblable… folklorique… » Installé à la table d’un café parisien, l’ancien adjoint du « Monsieur Afrique » de Matignon, de 1986 à 1988, ne manque pas d’adjectifs pour qualifier l’hypothèse d’une implication de la France dans l’assassinat de Thomas Sankara. « Cette question me paraît farfelue », insiste Michel Lunven.

« La politique de la France à l’époque, ce n’était pas du tout des intrigues pour remplacer untel ou untel. » Michel Lunven, adjoint de Jacques Foccart à Matignon

Jacques Foccart (g) et Michel Lunven © Ambassadeur en Françafrique, éditions Guéna

En 1986, après avoir été chef de mission de coopération en Afrique, Michel Lunven devient l’adjoint de Jacques Foccart à Matignon. L’architecte de la « Françafrique » – la tutelle postcoloniale de la France sur une quinzaine de pays africains – vient alors d’être appelé à Matignon par Jacques Chirac pour y reconstituer une cellule Afrique. Michel Lunven passera deux ans à ses côtés. Deux ans durant lesquels il assistera à toutes les rencontres de Jacques Foccart avec des chefs d’Etat africains, comme il le raconte dans Ambassadeur en Françafrique, paru chez Guéna, un livre qui se veut à rebours des critiques dénonçant les crimes incestueux dont la Françafrique se serait rendue coupable

Même posture avec Thomas Sankara. A la question « Qui aurait pu assassiner Thomas Sankara  ? », Michel Lunven répond du tac au tac  : « En tout cas sûrement pas la France. D’abord on n’assassine pas, je ne connais pas d’exemple où la France a organisé un assassinat de chef d’Etat africain », s’insurge immédiatement l’homme à la retraite depuis 1998. « Peut-être que les chefs d’Etat africains comme Houphouët n’aimaient pas Sankara, peut-être… Mais non. Même si le président Houphouët aurait préféré avoir un autre chef d’Etat au Burkina, ce n’était pas le genre du président Houphouët d’envisager une suppression ou un assassinat. » 

Jacques Foccart et le président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, s’entretenaient tous les mercredis par téléphone, mais Michel Lunven dit ne jamais avoir assisté à ces conversations ni avoir discuté de leur contenu avec Jacques Foccart.

Le président ivoirien Houphouët-Boigny et Jacques Foccart sur le perron de l’Elysée. © Archives nationales

L’ancien ambassadeur confirme que la France suivait de près ce qui se passait au Burkina Faso, mais à aucun moment avec « animosité ». « La France observait et regardait, les relations existaient toujours », raconte-t-il. Pour preuve la visite de François Mitterrand à Ouagadougou en novembre 1986, « signe que les relations étaient bonnes ». Pour preuve aussi, selon lui, la rencontre entre Jacques Foccart et Thomas Sankara en décembre 1986, une rencontre qui « s’est très bien passée » et dont Michel Lunven retient essentiellement les anecdotes sur le passé commun de parachutiste des deux hommes.

« Foccart était très content. Il s’attendait à ce que ça soit court et rugueux, ça n’a pas du tout été le cas. » Michel Lunven

La question du vote de Thomas Sankara en faveur de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie à l’ONU, survenu quelques jours avant et qui a fortement déplu à la France, n’a-t-elle pas été évoquée au cours de cet entretien  ? Michel Lunven se souvient moins bien. « Chacun a donné son point de vue, raconte-t-il. Foccart a sûrement tenté de le faire changer d’avis. C’était son style. Il essayait de convaincre Sankara que ses choix politiques n’étaient pas toujours les bons. […] Bien sûr qu’il l’a sermonné [sur son vote], mais il n’y avait pas d’animosité. Jacques Foccart pensait qu’il [Thomas Sankara] allait évoluer. Il n’y avait pas d’a priori de jugement. » Pas de tensions particulières donc à en croire l’ancien membre de la cellule Afrique de Matignon. 

Conclusion  : « l’hypothèse de l’assassinat avec l’aide de la France, ça me paraît très folklorique », poursuit Michel Lunven. « Ils étaient visiblement amis et ennemis à la fois les deux, Sankara et Blaise, et donc il fallait s’attendre à ce qu’il y en ait un des deux qui disparaisse et malheureusement c’est ce qu’il s’est passé. » 

Circulez, il n’y a rien à voir  ? L’hypothèse que la main de la France, puissante dans cet ensemble franco-africain, ait pu planer sur l’assassinat du révolutionnaire burkinabè, est également rejetée par Jean-Marc Simon, ex-ambassadeur et autre proche de Jacques Foccart  : « La France n’a joué aucun rôle. Je ne vois pas quel était l’intérêt des Français ».

« Je n’ai jamais entendu parler de la nécessité de se débarrasser politiquement de Sankara. » Jean-Marc Simon, ex-ambassadeur

Comme Michel Lunven, celui qui était conseiller pour les affaires africaines au cabinet du ministre des Affaires étrangères Jean-Bernard Raimond, de 1986 à 1988, pense que l’assassinat est une affaire purement burkinabè dans laquelle la France n’a rien à voir. « Je pense que les Burkinabè ont fait ce qu’ils ont voulu faire. Je n’ai jamais entendu parler de la nécessité de se débarrasser politiquement de Sankara, raconte l’ancien ambassadeur. Dans les rapports que j’avais avec notre directeur Afrique [du Quai d’Orsay], le Burkina Faso n’était pas notre sujet de préoccupation.

Je n’ai jamais entendu grincer des dents [au sujet des positions de Thomas Sankara], c’est la légende qu’on véhicule. » Même lors du rapprochement entre Thomas Sankara et le guide libyen Mouammar Kadhafi, alors que la France est opposée à Tripoli dans la gestion du conflit tchadien ? « Peut-être », lâche alors Jean-Marc Simon. Mais « la stratégie, c’était de parler avec lui, de dialoguer avec lui », insiste-t-il, citant en exemple, comme Michel Lunven, la visite d’Etat de François Mitterrand. 

Jacques Le Blanc, ambassadeur au Burkina Faso de novembre 1983 à juin 1987, confirme cette volonté de ne pas rompre le dialogue. « Les relations, même si elles n’étaient officiellement pas au beau fixe, c’était comme dans une famille », affirme-t-il. Et de rappeler l’étroitesse des relations que la France entretenait avec son pré carré et l’omniprésence de la France au Burkina Faso à l’époque. « Tout l’environnement géographique [de Thomas Sankara], tous les pays de la zone étaient plus ou moins sous influence française », se souvient Jacques Le Blanc. « On avait encore une aide militaire à l’époque, il y avait des militaires français qui conseillaient l’armée burkinabè et ça n’a pas été supprimé par lui », poursuit l’ancien diplomate. 

Ainsi, malgré les positions anti-impérialistes de Thomas Sankara qui étaient de plus en plus agressives vis-à-vis de la toute puissance française dans la zone, Jacques Le Blanc reste convaincu que la France n’a jamais eu pour projet de se débarrasser du président du Conseil national de la Révolution (CNR). Il affirme ne jamais avoir reçu d’informations allant dans ce sens  : « On a toujours cherché à composer avec lui et à le convaincre que son intérêt, c’était de ne pas exagérer. » Mais Jacques Le Blanc a quitté Ouagadougou quatre mois avant son assassinat.

« On a toujours cherché à composer avec Thomas Sankara. » Jacques Leblanc, ancien ambassadeur de France au Burkina Faso

Jacques Leblanc, ancien ambassadeur de France au Burkina Faso © Pierre Firtion/RFI

Pourtant, à partir de l’arrivée au pouvoir de Thomas Sankara, le 4 août 1983, les sujets de tension entre Paris et Ouagadougou vont se multiplier, comme en attestent les télégrammes de l’ambassade de France au Burkina Faso aujourd’hui accessibles aux archives du ministère des Affaires étrangères.

A partir de cette date, la France est régulièrement la cible de la rhétorique révolutionnaire de Thomas Sankara. Dans son discours d’orientation politique du 2 octobre 1983, Paris est même accusée de s’être rendue coupable, vingt-trois années durant, « d’exploitation et de domination impérialistes ». Le 17 novembre 1986, Thomas Sankara tient un discours très offensif lors de la visite d’Etat de François Mitterrand. Il y dénonce l’accueil que la France a réservé aux représentants du régime de l’apartheid  : le président sud-africain Pieter Botha et le ministre des Affaires étrangères, Pik Botha.

Les relations entre la France et le Burkina se compliquent à partir de 1986. Il y a d’abord ce vote aux Nations unies en faveur de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le 2 décembre 1986. Le 16 décembre, à l’Assemblée nationale, les députés de droite demandent que cesse l’aide française au Burkina Faso en guise de représailles à son vote à l’ONU. Fin juillet 1987, Thomas Sankara récidive. Au sommet de l’OUA, il plaide pour l’annulation de la dette de l’ensemble des pays africains. Le discours fait mouche.

Thomas Sankara à la tribune de l’Onu. © Onu

« La Françafrique à l’époque, c’était vraiment un système intégré d’un point de vue politique, militaire et financier, les salaires des fonctionnaires étaient payés par la France », rappelle Antoine Glaser, journaliste, ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent. « Or, ce système intégré ne permettait pas qu’un chef d’Etat soit indépendant et développe sa propre politique étrangère. Ce système ne supportait pas la dissidence panafricaine que représentait Thomas Sankara, qui risquait de faire des émules auprès d’autres chefs d’Etat », analyse le journaliste. Enfin, il y a le rapprochement avec la Libye. Dès 1983, la Libye a fourni des armes pour appuyer le coup d’Etat de Thomas Sankara.

« Kadhafi a permis à Blaise de s’équiper. » Mousbila Sankara, ambassadeur à Tripoli de 1983 à 1987

En décembre 1985, Mouammar Kadhafi effectue une visite officielle à Ouagadougou, qui n’est pas du tout du goût des chancelleries occidentales. Thomas Sankara se rendra à plusieurs reprises en Libye, pays qu’il défendra régulièrement dans les forums internationaux. Au fil des années, le jeu libyen vis-à-vis de Sankara devient en plus en plus ambigu. Certaines sources parlent même d’une alliance entre Mouammar Kadhafi et Blaise Compaoré qui se serait nouée en 1987 lors des cérémonies du 18e anniversaire de la révolution libyenne.

Quelle que soit la réalité de ces relations et leur transformation, la perception qu’en ont certains responsables français, notamment à l’Elysée, reste figée et particulièrement négative. Les liens entre Sankara et la Libye «  ne plaisaient pas du tout à la France, alors qu’elle était en pleine crise tchadienne », rappelle Antoine Glaser, en référence à l’intervention française au Tchad, à partir de 1983, pour soutenir Hissène Habré dans le conflit qui l’opposait à l’époque à la Libye. « Pour la France, la Libye représentait une menace pour la stabilité de l’Afrique de l’Ouest, la crainte qu’elle fasse circuler des armes et déstabilise la zone sur laquelle la France avait un certain contrôle ». 

Ses positions anti-impérialistes tranchées, sa proximité réelle ou supposée avec Kadhafi, ont-elles -au final- provoqué la chute de Thomas Sankara ? Autrement dit, la France aurait-elle pu jouer un rôle de premier plan dans cette disparition ou a-t-elle seulement donné son aval ? A l’inverse, pouvait-elle ignorer ce qui se tramait ?

Mouammar Kadhafi en 1985 et Thomas Sankara © Eric Bouvet/Gamma-Rapho via Getty Images – Alexander Joe/AFP

La Côte d’Ivoire est le pays pivot de la Françafrique à l’époque et beaucoup soupçonnent Abidjan d’être impliqué dans le putsch sanglant du 15 octobre 1987. Nombre d’acteurs de l’époque se disent convaincus du rôle central joué par le président Félix Houphouët-Boigny, conséquence des relations orageuses qu’il entretenait avec le leader burkinabè. « Sankara avait amorcé un rapprochement très fort avec Kadhafi, qui lui fournissait de l’argent et des hommes pour encadrer les CDR [Comité de défense de la révolution] », avance une source proche de l’Elysée à l’époque des faits.

Je pense que ce rapprochement avec la Libye, ça a été le point de rupture avec Houphouët. Motif  ? « C’était un vrai problème pour la Côte d’Ivoire, car les chefs d’Etat africains étaient obsédés par les relations libyennes en Afrique, explique notre interlocuteur. Pour eux c’était la crainte que les Libyens débarquent, renversent les régimes, excitent les jeunes… »

« Tout ce qui se faisait dans cette région était totalement sous contrôle d’une gestion franco-ivoirienne. » Antoine Glaser, journaliste à La Lettre du Continent

De là à fomenter un assassinat ? Oui, aux yeux d’un ancien membre des services de renseignement français, qui se dit « convaincu » de l’implication du président ivoirien. « Sans doute Houphouët a-t-il joué un rôle, abonde un ancien diplomate, bon connaisseur de la région, car Houphouët a longtemps eu une main protectrice sur Sankara. A un moment, il en a eu assez  ! ». Des accusations qui n’étonnent guère le journaliste Antoine Glaser  : « Tout ce qui se décidait dans la région se décidait avec Houphouët. Tout ce qui se faisait dans cette région était totalement sous contrôle d’une gestion franco-ivoirienne ».

La France pouvait-elle alors ignorer ce qui se tramait  ? « Vu à quel point Blaise [Compaoré] a été le relais de la France dans la région, impossible d’imaginer que la France n’ait pas été informée, tranche le journaliste, les forces spéciales françaises qui l’ont exfiltré [Blaise Compaoré],c’est aussi pour services rendus », ajoute l’ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent, en référence à l’évacuation de Blaise Compaoré par les soldats français, lors de la révolution burkinabè d’octobre 2014. Pour le journaliste, au vu du poids de Paris dans la région, « la France était informée et a laissé faire ». 

La France était-elle donc au courant  ? Un témoignage inédit vient renforcer ce soupçon. Il émane d’un ancien journaliste. François Hauter était à l’époque grand reporter au quotidien Le Figaro, en charge de l’Afrique. En septembre 1987, il informe Guy Penne, ancien responsable de la cellule africaine de l’Elysée, de son déplacement au Burkina Faso pour interviewer Thomas Sankara. Guy Penne lui propose alors de rencontrer le patron de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure).

« Dans l’après-midi, j’ai eu un coup de fil d’un officier français, raconte le journaliste, qui en l’occurrence m’a dit que l’amiral Lacoste ne pouvait pas me recevoir. Mais il m’a fixé un rendez-vous. Là, j’ai eu un homme assez jeune qui m’a mis sur la table un dossier, en me disant qu’il était totalement écœuré par ce qu’on lui demandait. Et qu’on lui avait ordonné de me faire savoir ce qu’il y avait dans ce dossier. Tout ça est très inhabituel, vous vous en doutez bien ».

« Il y avait dans ce dossier les exactions d’un proche de Thomas Sankara. » François Hauter, ancien journaliste au Figaro

 

Dans ce dossier sont décrites les tortures censées avoir été pratiquées par un très proche de Sankara, Vincent Sigué. « C’était tout à fait effarant, poursuit François Hauter, il n’y allait pas avec le dos de la cuillère, puisqu’il avait passé des gens au chalumeau, il en avait écartelé certains… enfin, c’était juste horrible  ! Certains avaient survécu. Ils étaient soignés à l’hôpital de Ouagadougou. Le dossier indiquait exactement les chambres, enfin exactement tout ce qu’il fallait savoir. » Le journaliste se rend alors sur place pour enquêter. « Tout était juste  ! Les médecins français qui ont su que j’étais rentré dans l’hôpital m’ont chassé. Ensuite, j’ai vu les gens des organisations internationales. Enfin, tout le monde m’a confirmé ». François Hauter décrit ces exactions dans une série d’articles à charge contre le régime. Ces atrocités sont ensuite confirmées par Amnesty International. Quelques jours plus tard, Thomas Sankara est assassiné.

 

 

François Hauter, ancien grand reporter au quotidien Le Figaro, en charge de l’Afrique. © Pierre Firtion/RFI

« J’ai eu le sentiment affreux d’avoir été manipulé, confie aujourd’hui le journaliste, d’avoir été au fond instrumentalisé pour préparer l’opinion à la disparition de cet homme, à travers les dérives entre guillemets de son régime, parce que ce n’était pas non plus la Corée du Nord ou la Chine sous les gardes rouges. Cet homme [Vincent Sigué] faisait des dégâts atroces, mais Thomas Sankara avait encore une partie de la population derrière lui ».

« L’intention était de se débarrasser de Sankara. » François Hauter, ancien journaliste au Figaro

 
 Le reporter recontacte Guy Penne pour avoir des explications. « Il n’a accepté de me revoir qu’une année plus tard. Notre explication a été violente, il a nié complètement. Mais il est toujours resté dans mon esprit que j’avais été manipulé, affreusement, pour préparer cet assassinat ». 

La France a-t-elle uniquement été mise en courant de la mort de Sankara ? Ou a-t-elle joué un rôle dans la mécanique complexe qui s’est déclenchée au matin de ce 15 octobre 1987 à Ouagadougou  ? Un témoignage inédit, recueilli par RFI, ouvre une nouvelle piste. Il vient d’une source proche de l’Elysée à l’époque des faits  : « J’étais dans le bureau d’Audibert [responsable de la cellule africaine de l’Elysée en 1987], le jour de l’assassinat de Thomas Sankara. La France avait été alertée qu’il y avait un avion plein de mercenaires libyens et d’armes qui avait décollé de Libye et qui devait atterrir à Ouagadougou.

Elle a donné cette information à Blaise et à Houphouët. Sur place on peut imaginer ce qu’une telle information a pu provoquer ». A l’époque, la capitale burkinabè bruisse de rumeurs selon lesquelles Thomas Sankara et Blaise Compaoré sont proches de la rupture. Selon notre source, cet avion n’a finalement jamais atterri. Mais Thomas Sankara est assassiné quelques heures plus tard. « L’attitude de la France était logique, analyse trente ans plus tard notre interlocuteur. Du côté français, ce n’était pas une bonne nouvelle de voir les Libyens débarquer et on était convaincus que c’était à la demande de Thomas Sankara ». 

Les autorités françaises ont, selon cette source, livré à Blaise Compaoré et à Félix Houphouët-Boigny une information susceptible de faire basculer un fragile équilibre politique. Sont-elles allées au-delà  ? Au terme de notre enquête, il n’existe pas, pour l’heure, d’éléments de preuve d’une implication directe de Paris. Malgré cela, un Français présent dans l’entourage de Sankara se dit convaincu du rôle éminent joué par l’ancien colonisateur  : « évidemment que la France a coordonné l’assassinat de Sankara.

C’est Chirac et Houphouët qui l’ont fait  ! ». La cause, selon lui  ? Le vote pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et les attaques de Thomas Sankara à l’encontre de Bernard Pons, le ministre des Territoires d’outre-mer de l’époque, réputé proche du Premier ministre. Autre motivation de Matignon à ses yeux  : « le fait que Sankara ait coupé tous les robinets de la corruption et notamment les sources de financement du RPR [le parti de Jacques Chirac] ».

De gauche à droite  : Jacques Chirac alors Premier ministre, le président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, Jacques Foccart le conseiller Afrique de l’Elysée et Michel Aurillac, ministre de la Coopération au second rang. © Jacques Langevin/Sygma/Sygma via Getty Images

Des motifs auxquels nos autres interlocuteurs ont du mal à croire. « Une décision au plus haut niveau de l’Etat pour se débarrasser de Sankara  ? Non, je n’y crois pas, commente une source proche de l’Elysée à l’époque des faits, mais il y a les services, il y a Foccart, il y a les mercenaires, les barbouzes à Abidjan et ailleurs. C’est possible qu’ils aient donné un coup de main ». La DGSE est depuis longtemps suspectée d’avoir joué un rôle dans cette disparition. Des accusations balayées d’un revers de main par Alain Juillet, ancien directeur du renseignement à la DGSE  : « Quand on connait l’histoire et quand on sait comment fonctionnait à l’époque l’Afrique au niveau du renseignement et de l’action, on peut assurer sans risque que la DGSE¸ je dis bien la DGSE, n’avait absolument rien à voir avec cette affaire-là ».

« La DGSE, n’avait absolument rien à voir avec cette affaire-là. » Alain Juillet, ancien directeur du renseignement à la DGSE

La DGSE et plus généralement la France sont depuis trente ans sur le banc des accusés. Mais saura-t-on un jour quel rôle elles ont effectivement joué ? L’espoir réside dans l’ouverture des documents classés « secret défense ». Le problème, c’est que lorsque ces documents « porte[nt] atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l’Etat dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la protection de la vie privée », ils ne sont rendus accessibles aux chercheurs que cinquante ans après avoir été créés. Soit théoriquement, dans notre affaire, en… 2037 ! 

Une disposition du code du patrimoine dénoncée en mars dernier par l’historien spécialiste de l’Afrique Vincent Hiribarren. Dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde, ce chercheur au King’s College de Londres se désole qu’une grande partie des archives de l’époque ne lui soit pas accessible  : « seuls les documents de la présidence française pour cette période ont été versés, ce qui veut dire que toute demande de dérogation ne peut porter que sur les archives de François Mitterrand. Pour le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères ou de la Coopération, ces documents ne sont tout simplement pas consultables. Il en va de même pour les archives de Jacques Chirac qui était alors Premier ministre ». Pour tenter de faire bouger les choses, l’historien a alors lancé un appel en direction du pouvoir politique  : « ouvrons les archives sur le meurtre de Thomas Sankara ».

 

Thomas Sankara en 1983. © Patrick Durand/Sygma via Getty Images

Un appel relayé à son tour, quelques jours plus tard, par Pouria Amirashahi, alors député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France (une circonscription qui englobe l’Afrique de l’Ouest et donc le Burkina Faso). Dans une lettre adressée à François Hollande, le député socialiste demande la levée du secret défense « pour toute la période durant laquelle Thomas Sankara a gouverné le pays ».

« Rien ne dit aujourd’hui que la France est directement impliquée, argumentait l’élu en avril dernier, mais quoi qu’il en soit, il faut jeter un œil sincère sur l’Histoire ». Cette requête vient appuyer celle émise l’an passé par la justice burkinabè. François Yaméogo, le juge en charge de l’enquête à Ouagadougou, a lancé en octobre 2016 une commission rogatoire internationale auprès de la justice française pour demander la levée du secret défense sur les archives françaises. Toutes ces demandes sont pour l’heure restées sans suite.

Mais le sujet devrait rapidement refaire surface. Emmanuel Macron annonce qu’il se rendra à Ouagadougou pour prononcer son grand discours de politique africaine. L’occasion rêvée pour certains de sensibiliser le président sur ce sujet, à l’image de la journaliste Liz Gomis. « On veut faire un discours à Ouagadougou, au Burkina Faso, avec l’histoire de ce pays. Comment on peut passer à côté de la question Sankara  ?! », se justifie-t-elle.

La jeune réalisatrice entend faire passer le message au président via le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), dont elle est l’une des onze membres. Cette structure, créée le mois dernier par l’Elysée, a vocation à aider le chef de l’Etat à mettre en œuvre une nouvelle relation entre la France et le continent. Ses membres ont un accès direct au président.

Ils sont justement en charge de préparer le discours de Ouagadougou. Selon Liz Gomis, la question de l’implication de la France sera donc forcément abordée  : « Qu’est-ce qu’on choisit d’assumer ou pas  ? De regarder ou pas  ? Je ne sais pas, mais en tout cas la question va être posée », assure-t-elle.

« On veut faire un discours à Ouagadougou […]. Comment on peut passer à côté de la question Sankara  ?! » Liz Gomis, journaliste

D’autant que l’une des missions du CPA est de permettre à la France d’améliorer son image, pour l’heure sérieusement écornée, sur le continent. « Si on veut parler d’une nouvelle relation avec le continent africain, il y a des sujets qui fâchent dont il faudra parler, explique l’ancien footballeur Jean-Marc Adjovi-Boco, également membre de ce Conseil présidentiel pour l’Afrique. 

Même sans rentrer dans la repentance, mais au moins les mettre sur la table et voir après comment on peut construire l’avenir ». De Thomas Sankara, il sera donc forcément question le 12 novembre prochain à Ouagadougou. Et pour cause  : Emmanuel Macron a prévu ce jour-là de s’adresser à la jeunesse africaine. Une jeunesse pour qui l’ancien président du CNR reste une idole. 

Peut-on s’attendre à une annonce particulière ce jour-là  ? Comme la déclassification de certains documents réclamés depuis un an par la justice burkinabè ? Lors de la campagne présidentielle, le candidat Macron avait eu cette phrase sur la décolonisation  : « c’est en assumant la vérité sur notre histoire commune que nous pourrons regarder l’avenir avec confiance ».

Sa venue au Burkina Faso suscite une vraie attente sur ce point. Mais l’espoir placé dans cette déclassification n’est-il pas démesuré  ? Saura-t-on forcément la vérité après l’examen de ces pièces  ? Le journaliste Antoine Glaser n’y croit pas. « Les choses importantes ne sont jamais écrites, donc déclassifier ne changera pas grand-chose, avance-t-il. Houphouët-Boigny parlait tous les mercredis avec Jacques Foccart et tout ça est resté oral. J’ai du mal à imaginer qu’on retrouve un texte… »

 

 

Par Carine FRENK – @CarineFrenk

RFI

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Qui a fait tuer Sankara ? (Partie 1) Le Jour ou Sankara est tombé

Publié le par S. Sellami

Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, le président du Burkina Faso, tombe sous les balles d’un commando. Trente ans après, à Ouagadougou, le souvenir de cet assassinat reste frais dans les mémoires de ses contemporains. Les questions hantent les anciens. RFI est allée à la rencontre de ceux qui étaient là, au moment de la mort puis de l’inhumation du capitaine révolutionnaire. A la rencontre de ceux également qui ont vu monter les tensions entre deux amis proches, Sankara et Compaoré. Ils disent leurs convictions sur ce qui s’est passé, à Ouaga, en cet an V de la Révolution. 

Jeudi 15 octobre 1987, 16 heures. Une réunion doit commencer à Ouagadougou au Conseil de l’entente, dans une salle du bâtiment « Burkina ». Thomas Sankara en a fait le siège du Conseil national de la Révolution (CNR). La réunion porte sur la création d’un parti politique, un parti unique dont le but est de rassembler l’ensemble des mouvements de gauche pour sauver la révolution et faire face à la montée des contestations. Six membres de son cabinet sont présents. 

Il y a là Paulin Babou Bamouni, journaliste, directeur de la presse présidentielle, Bonaventure Compaoré, employé à la présidence, Frédéric Kiemdé, conseiller juridique à la présidence, l’adjudant Christophe Saba, secrétaire permanent du CNR – un homme de confiance du président -, Patrice Zagré, professeur de philosophie et Alouna Traoré. Ce dernier travaille comme conseiller à la présidence en charge des rassemblements de masse. Il sera l’unique survivant de cette rencontre. 

Thomas Sankara arrive dans sa R5 noire. Il a un peu de retard. Il est en tenue de sport – il porte un survêtement rouge -, car le jeudi est jour de « sport de masse ». Il vient de s’asseoir. Alouna Traoré, qui rentre de mission du Bénin, prend le premier la parole. A peine a-t-il commencé que des tirs retentissent. 

Alouna Traoré ne le sait pas encore, mais les tirs viennent d’un groupe de militaires qui a pris position autour du bâtiment où la réunion se tient. Le commando a abattu les gardes du corps de Thomas Sankara, sa garde rapprochée.

« Sortez ! Sortez ! Sortez ! » ,crient les assaillants à ceux qui sont dans la salle : « Ne bougez pas, c’est de moi qu’ils ont besoin » , lance Thomas Sankara en se levant, selon Alouna Traoré.

Sankara ajuste son survêtement, se souvient Alouna Traoré, et les mains en l’air, il sort le premier de la salle. Aussitôt, il est froidement abattu sur le perron de la salle de réunion. Puis ses compagnons doivent sortir à leur tour, sous les injonctions des assaillants, les uns après les autres, par l’unique porte de sortie. Dans son témoignage, Alouna Traoré précise : « Tous ceux qui sont sortis ont connu le même sort que le PF, le président du Faso, alors même qu’ils avaient abattu celui qu’ils voulaient. »

Alouna Traoré est le seul survivant de l’assaut du 15 octobre 1987. © Carine Frenk/RFI

Alouna Traoré est le dernier à sortir de la salle. « Je suis allé me coucher parmi ceux qui avaient déjà été abattus », dit-il. Puis il entend l’un des assaillants : « Y a un qui n’est pas mort, il faut le conduire dans la salle – [où l’on avait conduit d’autres membres du CNR, NDLR]. » Il le suit, pensant que sa dernière heure a sonné.

« J’ai simplement demandé à celui qui m’escortait la permission d’uriner, après quoi je me disais que le temps était arrivé pour moi de partir. Mais non ! Il m’a poliment conduit à une salle où j’ai retrouvé certains collègues du Conseil de l’entente. Nous sommes restés dans la salle toute la nuit. Puis le matin, tout bonnement, on nous a demandé de rentrer chez nous. » 

Trente ans après, Alouna Traoré ne sait toujours pas pourquoi il a été épargné ce jour-là. Il a fait plusieurs dépressions nerveuses. Il est marqué à jamais. Dans les différentes interviews qu’il a données à la presse, le rescapé n’a pas toujours donné les mêmes détails sur ce qui s’était passé ce jour-là. Il sait que son témoignage a été remis en question par certains.

« Je suis un humain. Imaginez-vous l’émotion ! » Mais s’il reconnaît « quelques variances », comme il dit, il insiste sur l’essentiel : « Thomas Sankara a été abattu, assassiné les mains en l’air. Je dis bien les mains en l’air. Je m’en tiens au fait. »

En tout, treize personnes ont donc été tuées ce 15 octobre. Thomas Sankara, cinq participants à la réunion, cinq gardes : Emmanuel Bationo, Abdoulaye Gouem, Wallilaye Ouédraogo, Hamado Sawadogo et Noufou Sawadogo ; Der Somda, le chauffeur de Thomas Sankara ; et un gendarme, Paténéma Soré, venu distribuer un courrier, qui a également trouvé la mort ce jour-là. 

Le 15 octobre 1987, après les tirs. C’est la confusion à Ouagadougou. La radio nationale interrompt ses programmes et diffuse de la musique militaire. Puis le soir, entre 19h et 20h, un militaire en tenue lit un communiqué à la radio nationale. Il y annonce la démission du président, la dissolution du Conseil national de la Révolution et proclame la création d’un Front populaire dirigé par le capitaine Blaise Compaoré. 

Quelques jours plus tard, un certificat de décès de Thomas Sankara est publié dans la presse. Un certificat selon lequel Thomas Sankara est « décédé de mort naturelle ». 

Quant aux cadavres, ils sont enterrés en catimini, la nuit du 15 au 16, au cimetière de Dagnoen, un quartier à l’Est de Ouagadougou. Enterrés par un groupe de 20 détenus. Parmi les fossoyeurs, il y a Malick Yamba Sawadogo  qui purge une peine de douze mois de prison. Aujourd’hui, il témoigne : « Nous étions en prison. Le régisseur a appelé le chef de poste pour demander à ce qu’on lui prépare vingt détenus pour une corvée. Et j’ai demandé à mon collègue Rasmané ici présent de faire la liste… dix-neuf plus moi. […]

On est venus nous embarquer à la maison d’arrêt. On est passés d’abord au Conseil de l’entente prendre le matériel de creusage. C’était noir, on ne voyait plus rien… Et on nous a dirigés au cimetière de Dagnoen, ici… »

Ce 15 octobre 1987, quand les détenus arrivent au cimetière, on leur demande de creuser une dizaine de tombes. Puis les treize corps arrivent. « C’est la raison pour laquelle vous voyez dix tombes alignées, deux tombes en haut et une tombe avancée, celle de Thomas Sankara.

Nous avons reconnu tout de suite le président Sankara, se souvient Malick Yamba Sawadogo. Il était couvert de sang, il avait le corps criblé de balles. Essentiellement à la poitrine. Quand nous avons reconnu ce corps de Thomas Sankara, tout le monde était glacé au cimetière. » Les corps sont enterrés en pleine terre. Sans dalle, sans natte, sans cercueil.

« Nous avons reconnu tout de suite le président Sankara. » Témoignage de Malick Yamba Sawadogo, le fossoyeur
 

Aujourd’hui, trente ans après, les herbes ont envahi le cimetière de Dagnoen. Les treize tombes ont été démolies, en mai 2015, pour exhumer les corps et procéder aux analyses ADN. A l’emplacement de la dalle de Thomas Sankara, il ne reste sur le sol qu’un petit morceau de la sépulture où l’on peut encore lire « président ».

 

Ce qu’il reste de la tombe de Thomas Sankara en septembre 2017.<br>© Carine Frenk/RFI Des Burkinabès devant la tombe de Thomas Sankara le 20 octobre 1987. <br>© François Rojon/AFP

La tombe de Thomas Sankara le 4 août 1988. <br>© Pascal Guyot/AFP

La tombe de Thomas Sankara le 16 octobre 2007. © Kambou Sia/AFP

Ce qu’il reste de la tombe de Thomas Sankara en septembre 2017. © Carine Frenk/RFI

Ramsané – Ramsané Tiendrébogo  -, l’homme qui a préparé la liste des fossoyeurs est là, lui aussi. Aujourd’hui pour RFI, il raconte pour la première fois ce qu’il a vécu cette nuit-là. Il avoue qu’il avait peur de parler. « On ne sait jamais ce qui peut arriver. » Mais il se souvient : « Tous les détenus ont su que c’était le président comme ça. Il n’y avait rien. C’était un corps comme les autres, posé, avec sa tenue de sport rouge. Il y avait du sang sur son corps. Tellement qu’on ne pouvait pas savoir si c’était des balles… C’était la nuit. On a creusé et on l’a mis dedans. » L’image reste. Ineffaçable. « On le voit encore posé. Comme je suis avec vous, je le vois encore posé devant nous comme ça. Nous ne pouvons pas oublier. »

« Il y avait du sang sur son corps. Tellement qu’on ne pouvait pas savoir si c’était des balles… » Témoignage de Rasmané Tiendrébogo, un autre fossoyeur

Rasmané Tiendrébogo (g) et Malick Yamba Sawadogo (d). © Carine Frenk/RFI

Aujourd’hui, Malick Yamba Sawadogo regrette que l’Etat n’ait pas mieux protégé le site : « Même si on ne ramène pas son corps ici, que ce soit protégé pour l’histoire, ne serait-ce que par respect pour d’autres morts. » Puis il raconte l’histoire d’une vielle dame qui habitait à côté du cimetière et qui venait chaque jour entretenir la tombe. A sa mort, elle a été enterrée juste à côté de Thomas Sankara.

L’histoire, la mémoire… Les Burkinabè n’ont pas oublié « Thom Sank ». Ils ne peuvent pas. Ils ne veulent pas. Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara avait 38 ans. Sams’K Le Jah en avait 16. Il était au lycée quand un surveillant lui a dit, ainsi qu’à ses camarades de classe, qu’il y avait des coups de feu en ville, qu’il fallait rentrer. Le porte-parole du mouvement Le Balai citoyen se souvient : « Quand tu fermes les yeux, tu revois le film. Chacun a son film du 15 octobre ». Lui a pris son vélo. Il devait passer par le camp Sangoulé Lamizana.

Sams’K en septembre 2017. © Carine Frenk/RFI

La route était déjà barrée. « Il a fallu trouver des détours. Je suis rentré un peu tard. C’est des moments qu’on ne peut jamais oublier. Jamais. » Sams’K a vu des gens pleurer. « C’est certain qu’il y en a qui ont fêté. Ça on l’a su un peu plus tard. Ceux qu’il emmerdait… mais pour la plupart des jeunes, c’était un choc. » Le lendemain, Ouagadougou est une ville morte. « Ouaga appartenait aux militaires qui venaient de gagner. Beaucoup de gens qu’on connaissait n’avaient plus de force pour faire quoi que ce soit. Il y avait quelque chose qui venait d’être brisé. »

 

Par Carine FRENK – @CarineFrenk

RFI 

 

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